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DE

LA CONVENTION

NATIONALE.

SÉANCE DU VINGT-TROIS AOUT 1793.

Rapport fait au nom du comité de salut public, par Barrère, sur la réquisition civique de tous les Français pour la défense de la patrie.

"

Citoyens, après les difficultés qui depuis huit jours suspendent votre délibération sur les moyens d'exécuter une grande mesure pour chasser les ennemis du territoire de la république, chacun de nous, attaché au sort de la révolution et au bien de ses concitoyens, a dû chercher dans son cœur et dans ses lumières le meilleur mode de la levée générale, le meilleur plan de réquisition civique pour terminer dans la campagne actuelle le grand procès que le vieux despotisme de l'Europe a suscité à la liberté naissante de la France.

» Délibérer avec soudaineté, avec enthousiasme sur un objet aussi grave et aussi important, c'est s'exposer à des revers militaires, c'est compromettre le salut de la répu blique, l'existence des citoyens, fatiguer et user par des secousses mal réglées le tempérament national. Examinons donc froidement nos besoins et nos ressources; sachons surtout ce que nous voulons, ce que nous entendons par la levée du peuple entier pour la défense de sa constitution et de sa liberté.

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» Que voulez-vous? Un contingent fourni par chaque division départementale ou territoriale?

» Laissons au corps germanique, laissons aux confédérations de l'Allemagne et aux édits impériaux le vénal emploi de ce moyen seigneurial ou fédéraliste : le contingent de la France pour sa liberté comprend toute sa population, toute son industrie, tous ses travaux, tout son génie. Le contingent n'est qu'une contribution levée sur les hommes comme sur de vils troupeaux, et ce mot n'est point de Ja langue des Français : ainsi point de contingent. Les départements populeux ou patriotes, les districts républicains ou menacés par l'ennemi vous ont-ils demandé de fixer par un décret le nombre de leurs bataillons, le degré de leur patriotisme, la mesure de leurs sacrifices, le contingent de leurs citoyens armés? Voyez le département de l'Aube et tant d'autres, plus animés de l'amour de la patrie ou de la haine de ses ennemis, disputer de générosité et de dévouement avec les départements qui les environnent, et envoyer dix-sept bataillons à nos armées !

>> Que voulez-vous? Un nouveau recrutement? L'aristocratie est là qui se cache dans les sections de l'empire, surtout dans les sections des villes; l'aristocratie est là qui vous épie. Elle vote aussi pour le recrutement cette aristocratie incorrigible et avare, parcequ'elle tient en réserve de l'or pour tenter les citoyens faibles ou peu fortunés, des fuyards pour dissoudre nos armées, des royalistes pour en corrompre l'esprit, des sauve qui peut pour débander et perdre les troupes au milieu de la victoire, et des assignats pour exercer l'agiotage sur les défenseurs mêmes de la patrie.

» Auriez-vous oublié tout ce que les contre-révolutionnaires de l'intérieur ont fait de troubles, de machinations et d'intrigues pour empêcher le recrutement? Auriez-vous sitôt perdu de vue les profondes intrigues et les discussions multipliées, les altercations violentes tendant à faire de la défense publique un moyen de guerre civile, tantôt en divisant les sections sur le mode de recrutement, tantôt

par

en rappelant le tirage des milices par le sort, ou l'élection populaire par le scrutin ? Pourriez-vous surtout méconnaître cette violation si fréquente du principe que dans les pays libres tout citoyen est soldat, cette violation impunie faite des riches qui se sont fait remplacer par des assignats, ou par des étrangers, ou par des hommes sans intérêt à l'ordre actuel de notre législation? Prenez garde; par le mode de recrutement, trop souvent employé, vous transformez les égoïstes opulents en recruteurs militaires ; vous donnez à la malveillance des moyens de troubles, à la richesse des instruments d'anarchie et de désordre, à la révolution des hommes qui l'abhorrent assez pour la perdre, et à la patrie des soldats qui ne l'aiment pas assez pour la défendre.

» Ainsi point de recrutement.

» Que voulez-vous ? Une levée en masse ?

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» A ce mot tous les aristocrates de diverses nuances tous les hommes vains et légers, qui n'appartiennent à aucune patrie ni à aucun régime; tous les égoïstes, qui ne sont ni nationaux ni étrangers; tous les parasites de révolution, qui, semblables aux traîtres et aux conspirateurs que vous avez mis hors de la loi, se sont mis euxmêmes hors des nations; tous ces personnages inutiles se sont emparés avec complaisance de ce mot levée en masse ; ils ont tenté de le tourner en ridicule, comme s'ils ignoraient qu'un simple vœu de ce peuple levé en masse les ferait rentrer dans la poussière, dont ils n'auraient jamais dû sortir! comme s'ils pouvaient se dissimuler que le peuple français n'a qu'un mot à dire, et l'aristocratie tout entière n'est plus!

Il a été cependant entendu de la nation ce mot de levée en masse, et chaque citoyen a vu dans cette expression énergique toute la force et toutes les ressources nationales prêtes à se déployer au premier signal, en raison des périls et des besoins de la patrie.

» Je le répète ici, parceque nos expressions ont été prises à mauvais sens, même par des patriotes; je le répète,

ils sont contre- révolutionnaires par le fait ou par l'intention, ils sont auxiliaires de Pitt ou de Cobourg, ceux qui voudraient qu'une nation de vingt-sept millions d'âmes, qu'un peuple tout entier se levât au même instant dans toutes les parties de la république. Qui peut douter que cette commotion simultanée, si elle pouvait exister, ne produirait que des troubles affreux, des besoins immenses, des désordres incalculables et des moyens précieux à l'aristocratie? qui peut douter que cette suspension de travaux, de commerce, de communications, cette électrisation de toutes les âmes, ce froissement de tant d'intérêts, ne fussent plutôt un plan de nos ennemis qu'un moyen de défense nationale?

» Cependant de pareilles levées en masse ne sont pas des chimères; elles existent déjà dans l'histoire de notre révolution. Elle exista cette levée en masse le 14 juillet 1789, lorsque le despotisme conspirait contre la liberté naissante; et si à cette première époque les représentants du peuple avaient secondé l'insurrection nationale, la révolution française aurait été terminée il y a trois ans. Elles pourraient donc exister ces levées en massc; mais elles ne se feraient qu'avec de grands besoins et avec des dangers imminents.

» Sommes-nous donc à cette grande extrémité qui nécessite une commotion aussi extraordinaire? Six cent mille hommes qui combattent sous les drapeaux tricolores ont-ils donc disparu? Nos places fortes sont-elles toutes au pouvoir de l'Autrichien? Les forteresses si honorées de Lille et de Thionville n'existent-elles plus ? L'Anglais a-t-il commis encore tous ses forfaits? L'Espagnol ne compte-t-il que des victoires? Le fanatisme a-t-il agrandi la Vendée, et le royalisme a-t-il grossi ses succès le long du Rhône et de la Loire ?

» Non, non, citoyens! La France, qui sous les races des tyrans n'a pas eu besoin d'une insurrection générale dans les tristes journées de Poitiers, de Crécy et d'Azincourt, en a moins besoin encore aujourd'hui que des

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