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parlent aux sens et à l'âme, c'est perdre de vue ce qui peut coopérer le plus efficacement à sa réformation, c'est compromettre la liberté, en négligeant de créer un caractère national qui identifie de plus en plus le peuple à sa Constitution. Si la tyrannie a besoin d'abrutir l'espèce humaine pour la mieux comprimer, la République exige que chacun connaisse ses droits et ses devoirs, pour que, jaloux de conserver les premiers, il devienne plus scrupuleux à remplir ses obligations.

» La société est un échange journalier de secours réciproques, et celui-là n'est pas bon citoyen dont l'âme ne s'épanouit pas quand il trouve l'occasion d'obliger son semblable. Concentrer le bonheur en soi-même c'est s'isoler au détriment de l'association civile, c'est circonscrire ses propres jouissances en renonçant aux plus douces sensations, à la bienfaisance, à la gratitude, à l'amitié même.

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Citoyens, vous aurez beaucoup fait pour la patrie, si, par le désintéressement qui illustra les fondateurs des républiques anciennes, vous apprenez aux Français à se dépouiller de ce funeste égoïsme, reste impur du système monarchique, qui divise pour constituer sa puissance dans la désunion, et par suite dans la faiblesse de ceux qu'il opprime; égoïsme qui, ne montrant à chacun que sa ville ou soi-même, engage les uns à tout arrêter, et les autres à youloir obtenir au-delà du besoin, ce qui dérange sans cesse les répartitions combinées du gouvernement; égoïsme qui fournit un moyen de plus à la malveillance en réussissant encore à nous fédéraliser par département, par district, par commune, par famille, par individu. Quoi! dans la contrée la plus industrieuse et la plus fertile, une disette factice se perpétue! Est-ce à nous à nous souiller des crimes de la tyrannie! Que firent de plus l'infâme Terray et l'odieux Foulon? Jetés sur la terre pour jouir de ses bienfaits, comment pouvons-nous en être plus avares qu'elle-même ? Voyez les campagnes; jamais elles ne donuèrent de plus belles espérances, et c'est nous qui les rendrions vaines! c'est nous qui disputerions d'inhumanité avec les barbares qui nous cernent! c'est nous qui calculerions de sang-froid notre propre ruine! Français, que faites-vous ? L'ennemi nous a-t-il vaincus? La liberté est-elle perdue, pour songer nous-mêmes à

nous exterminer? Mais ce projet exécrable n'appartient qu'à quelques monstres cachés encore dans le repaire anfractueux du crime. Ils ont beau faire; ils n'échapperont pas à l'œil perçant de la justice : elle est déjà sur leurs traces, et son bras vengeur et inexorable saura dans peu en délivrer l'univers!

» Assurément ce serait avoir une étrange idée de la liberté que de supposer qu'à l'exemple du royalisme licencieux elle ne pût même tolérer des vertus civiles; ce n'eût pas été la peine de faire une révolution, qui a coûté tant de sacrifices, et ce n'est point pour la prolongation d'un régime tissu de forfaits. que les soldats de la patrie affrontent la mort, et déploient chaque jour tant de constance et d'héroïsme! La République est la fusion de toutes les volontés, de tous les intérêts, de tous les talens, de tous les efforts, pour que chacun trouve dans cet ensemble des ressources communes une portion de bien égale à sa mise. Prétendre au delà c'est être injuste; s'en emparer c'est devenir coupable: une seule exception est légitime, celle qui réclame en faveur des infirmités de la vieillesse, des revers imprévus. Citoyens, nous avons promis d'honorer le malheur; il sera bien plus beau de le faire disparaître : aussi la mendicité va-t-elle eufin trouver son extinction dans la munificence nationale, non à la manière des rois; ils entassent des milliers d'infortunés dans les hospices, tombeaux qui engloutissent le misérable pour prolonger son existence dans l'oppression et dans la douleur, tandis que l'orgueil du despotisme en retire un double avantage, celui de pouvoir se parer d'une apparence de commisération et de libéralité, et celui plus dangereux encore de se montrer moins odieux en dérobant aux regards de la multitude une partie du tableau révol– tant des maux que ses folies et ses concussions attirent sur l'humanité. Un peuple généreux, au contraire, uniquement mu par des sentimens d'équité, distribue des secours sans ostentation; ils parviennent à domicile. C'est la vraie bienfaisance qui va elle-même chercher le besoin relégué dans l'obscurité, et qui sait qu'on n'a rien fait pour l'indigence si on ne lui tend la main que pour lui enlever la plus douce consolation, que pour l'arracher des bras de sa famille et de ses

amis.

» Voulez-vous empêcher que cette lépre politique attaque désormais le corps social, faites qu'on ne puisse pas se dispenser, sans se couvrir de honte, de se mettre en état d'exercer une profession utile; faites surtout que nul, avec des bras vigoureux et l'amour du travail, ne cherche vainement à s'occuper: que des édifices publics, que des ateliers, que des canaux, que des grandes routes offrent partout aux citoyens laborieux un travail assuré. Le despotisme place le misérable entre le besoin et le crime; dans un état libre on épargne à l'innocence indigente la nécessité de se rendre coupable.

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Saisissez l'homme dès la naissance pour le conduire à la vertu par l'admiration des grandes choses et l'enthousiasme qu'elles inspirent ; que chaque action héroïque ait son trophée; que chaque sentiment généreux soit célébré dans des fêtes publiques et fréquentes. Ce sont ces tableaux animés et touchans qui laissent des impressions profondes, qui élèvent l'âme, qui agrandissent le génie, qui électrisent tour à tour le civisme et la sensibilité : le civisme, principe sublime de l'abnégation de soi-même; la sensibilité, source inépuisable de tous les penchans affectueux et sociables. Ce sont des rapprochemens réitérés qui conduisent insensiblement les hommes à se faire un besoin de se rechercher, de se mêler ensemble; qui les accoutument à placer leur plaisir le plus vif dans leur réunion, et leur joie dans une participation générale aux mêmes transports, aux mêmes jouissances. Que la patrie, mère commune, serre indistinctement dans ses bras tous ses enfans: sans les préférences injustes et marquées de nos parens, les membres d'une même famille s'estimeraient et se chériraient à l'envi.

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Que ses soins s'étendent jusqu'aux derniers instans de l'existence, et songez qu'il ne serait point inutile pour l'opinion que la patrie présidât elle-même à la pompe funèbre de tous les citoyens. La mort est un rappel à l'égalité, qu'un peuple libre doit consacrer par un acte public qui lui retrace sans cesse cet avertissement nécessaire : une pompe funèbre est un hommage consolant qui efface jusqu'à l'empreinte hideuse du trépas; c'est le dernier adieu de la nature. L'homme pervers est le seul que la réprobation publique précipitera dans le tom

beau avec le mépris ou l'indignation qui doivent poursuivre le crime au delà même du néant.

>>

Citoyens, c'est ainsi qu'au sein de l'erreur, des préjugés, de l'ignorance, l'antiquité a produit de si grands hommes; c'est ainsi qu'on monte les consciences et l'opinion au ton des âmes libres ; c'est ainsi que le gouvernement trouve toute facilité d'opérer le bien par l'ascendant de la moralité; en un mot c'est ainsi que chaque jour on attache plus fortement le peuple à la liberté, et qu'on intéresse de plus en plus ses défenseurs à hâter son triomphe, ne fût-ce que pour venir plus promptement jouir des fruits de la victoire, de la constance et de la raison !

Voici le projet de décret que je suis chargé de vous pré

senter. »>

De vifs applaudissemens avaient souvent interrompu le rapport; c'est aux acclamations unanimes que le projet est décrété en ces termes :

« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, déclare qu'appuyée sur les vertus du peuple français elle fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis.

» Ce décret et le rapport seront imprimés dans toutes les langues, envoyés aux départemens et aux armées; on en distribuera six exemplaires à chaque député.

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RAPPORT fait au nom du comité de salut public, par Robespierre, sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fétes nationales. - Du 18 floréal an 2. (7 mai 1794.)

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Citoyens, c'est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent pour ainsi dire se recueillir pour écouter, dans le silence des passions, la voix de la sagesse. Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l'univers est donc celui où les législateurs de la République française doivent veiller avec une nouvelle sollicitude sur eux-mêmes et sur la patrie, et affermir les principes sur lesquels doivent reposer la

stabilité et la félicité de la République. Nous venons aujourd'hui soumettre à votre méditation des vérités profondes qui importent au bonheur des hommes, et vous proposer des mesures qui en découlent naturellement.

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» Le monde moral, beaucoup plus encore que le monde physique, semble plein de contrastes et d'énigmes. La nature nous dit que l'homme est né pour la liberté, et l'expérience des siècles nous montre l'homme esclave; ses droits sont écrits dans son cœur, et son humiliation dans l'histoire le genre humain respecte Caton, et se courbe sous le joug de César : la postérité honore la vertu de Brutus, mais elle ne la permet que dans l'histoire ancienne : les siècles et la terre sont le partage du crime et de la tyrannie; la liberté et la vertu se sont à peine reposées un instant sur quelques points du globe : Sparte brille comme un éclair dans des ténèbres immenses.

»Ne dis pas cependant, ô Brutus, que la vertu est un fantôme! Et vous, fondateurs de la République française, gardezvous de désespérer de l'humanité, ou de douter un moment du succès de votre grande entreprise!

» Le monde a changé; il doit changer encore. Qu'y a-t-il de commun entre ce qui est et ce qui fut? Les nations civilisées ont succédé aux sauvages errans dans les déserts; les moissons fertiles ont pris la place des forêts antiques qui couvraient le globe; un monde a paru au-delà des bornes du monde; les habitans de la terre ont ajouté les mers à leur domaine immense; l'homme a conquis la foudre, et conjuré celle du ciel. Comparez le langage imparfait des hieroglyphes avec les miracles de l'imprimerie; rapprochez le voyage des Argonautes de celui de Lapeyrouse; mesurez la distance entre les observations astronomiques des mages de l'Asie et les découvertes de Newton, ou bien entre l'ébauche tracée par la main de Dibutade et les tableaux de David.

>> Tout a changé dans l'ordre physique; tout doit changer dans l'ordre moral et politique. La moitié de la révolution du monde est déjà faite; l'autre moitié doit s'accomplir.

» La raison de l'homme ressemble encore au globe qu'il habite; la moitié en est plongée dans les ténèbres quand l'autre est éclairée. Les peuples de l'Europe ont fait des progrès éton

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