Slike stranica
PDF
ePub

» Il est dès ce moment de grandes conséquences à tirer des principes que nous venons d'exposer.

>>

Puisque l'âme de la République est la vertu, l'égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s'ensuit que la première règle de votre condu te politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu ; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi tout ce qui tend à exciter l'amour de la patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l'intérêt public, doit être adopté ou établi par vous; tout ce qui tend à les concentrer dans l'abjection du moi personnel, à réveiller l'engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le sytème de la révolution française ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contrerévolutionnaire. La faiblesse, les vices, les préjugés sont le chemin de la royauté. Entraînés trop souvent peut-être par le poids de nos anciennes habitudes, autant que par la pente insensible de la faiblesse humaine, vers les idées fausses et vers les sentimens pusillanimes, nous avons bien moins à nous défendre des excès d'énergie que des excès de faiblesse : le plus grand écueil peut-être que nous ayons à éviter n'est pas la ferveur du zèle, mais plutôt la lassitude du bien, et la peur de notre propre courage. Remontez donc sans cesse le resort sacré du gouvernement républicain, au lieu de le laisser tomber. Je n'ai pas besoin de dire que je ne veux ici justifier aucun excès; on abuse des principes les plus sacrés : c'est à la sagesse du gouvernement à consulter les circonstances, à saisir les momens, à choisir les moyens ; car la manière de préparer les grandes choses est une partie essentielle du talent de les faire, comme la sagesse est elle-même une partie de la vertu.

» Nous ne prétendons pas jeter la République française dans le moule de celle de Sparte; nous ne voulons lui donner ni l'austérité ni la corruption des cloîtres. Nous venons de vous présenter dans toute sa pureté le principe moral et politique du gouvernement populaire. Vous avez donc une bous

sole qui peut vous diriger au milieu des orages de toutes les passions, et du tourbillon des intrigues qui vous environnent; vous avez la pierre de touche par laquelle vous pouvez essayer toutes vos lois, toutes les propositions qui vous sont faites. En les comparant sans cesse avec ce principe, vous pourrez désormais éviter l'écueil ordinaire des grandes assemblées, le danger des surprises et des mesures précipitées, incohérentes et contradictoires; vous pourrez donner à toutes vos opérations l'ensemble, l'unité, la sagesse et la dignité qui doivent annoncer les représentans du premier peuple du monde.

» Ce ne sont pas les conséquences faciles du principe de la démocratie qu'il faut détailler; c'est ce principe simple et fécond qui mérite d'être lui-même développé.

» La vertu républicaine peut être considérée par rapport au peuple et par rapport au gouvernement; elle est nécessaire dans l'un et dans l'autre. Quand le gouvernement seul en est privé il reste une ressource dans celle du peuple; mais quand le peuple lui-même est corrompu la liberté est déjà perdue.

» Heureusement la vertu est naturelle au peuple, en dépit des préjugés aristocratiques. Une nation est vraiment corrompue lorsqu'après avoir perdu par degrés son caractère et sa liberté, elle passe de la démocratie à l'aristocratie ou à la monarchie; c'est la mort du corps politique par la décrépitude. Lorsqu'après quatre cents ans de gloire l'avarice a enfin chassé de Sparte les mœurs avec les lois de Lycurgue, Agis meurt en vain pour les rappeler! Démosthènes a beau tonner contre Philippe, Philippe trouve dans les vices d'Athènes dégénérée des avocats plus éloquens que Démosthènes! Il y a bien encore dans Athènes une population aussi nombreuse que du temps de Miltiade et d'Aristide; mais il n'y a plus d'Athéniens. Qu'importe que Brutus ait tué le tyran! La tyrannie vit encore dans les cœurs, et Rome n'existe plus que dans Brutus. :

» Mais lorsque par des efforts prodigieux de courage et de raison un peuple brise les chaînes du despotisme pour en faire des trophées à la liberté; lorsque par la force de son tempérament moral il sort en quelque sorte des bras de la mort pour reprendre toute la vigueur de la jeunesse ; lorsque, tour à tour

TOME XIV.

2

sensible et fier, intrépide et docile, il ne peut être arrêté ni par les remparts inexpugnables ni par les armées innombrables des tyrans armés contre lui, et qu'il s'arrête lui-même devant l'image de la loi, s'il ne s'élance pas rapidement à la hauteur de ses destinées ce ne pourrait être que la faute de ceux qui le gouvernent.

» D'ailleurs on peut dire en un sens que pour aimer la justice et l'égalité le peuple n'a pas besoin d'une grande vertu ; il lui suffit de s'aimer lui-même.

» Mais le magistrat est obligé d'immoler son intérêt à l'intérêt du peuple, et l'orgueil du pouvoir à l'égalité : il faut que la loi parle surtout avec empire à celui qui en est l'organe; il faut que le gouvernement pèse sur lui-même pour tenir toutes ses parties en harmonie avec elle. S'il existe un corps représentatif, une autorité première constituée par le peuple, c'est à elle de surveiller et de réprimer sans cesse tous les fonctionnaires publics. Mais qui la réprimera elle-même, sinon sa propre vertu? Plus cette source de l'ordre public est élevée, plus elle doit être pure; il faut donc que le corps représentatif commence par souinettre dans son sein toutes les passions privées à la passion générale du bien public. Heureux les représentans lorsque leur gloire et leur intérêt même les attachent autant que leurs devoirs à la cause de la liberté !

» Déduisons de tout ceci une grande vérité; c'est que le caractère du gouvernement populaire est d'être confiaut dans le peuple, et sévère envers lui-même.

» Ici se bornerait tout le développement de notre théorie si vous n'aviez qu'à gouverner dans le calme le vaisseau de la République; mais la tempête gronde, et l'état de révolution où vous êtes vous impose une autre tâche.

» Cette grande pureté des bases de la révolution française, la sublimité même de son objet est précisément ce qui fait notre force et notre faiblesse notre force, parce qu'il nous donne l'ascendant de la vérité sur l'imposture, et les droits de l'intérêt public sur les intérêts privés; notre faiblesse, parce qu'il rallie contre nous tous les hommes vicieux, tous ceux qui dans leur cœur méditaient de dépouiller le peuple, et tous ceux qui veulent l'avoir dépouillé impunément, et ceux

que

qui ont repoussé la liberté comme une calamité personnelle, et ceux qui ont embrassé la révolution comme un métier, et la République comme une proie. De là la défection de tant d'hommes ambitieux ou cupides, qui depuis le point du départ nous ont abandonnés sur la route, parce qu'ils n'avaient pas commencé le voyage pour arriver au même but. On dirait les deux génies contraires que l'on a représentés se dispu tant l'empire de la nature combattent dans cette grande époque de l'histoire humaine pour fixer sans retour les destinées du monde, et que la France est le théâtre de cette lutte redoutable. Au dehors tous les tyrans vous cernent; au dedans tous les amis de la tyrannie conspirent : ils conspireront jusqu'à ce que l'espérance ait été ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle; or dans cette situation la première maxime de votre politique doit être que l'on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur.

» Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible; elle est donc une émanation de la vertu : elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressans besoins de la patrie.

» On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis, il a raison comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté, et vous aurez raison comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n'est-elle faite que pour protéger le crime, et n'est-ce pas pour frapper les têtes orgueilleuses que la foudre est destinée?

» La nature impose à tout être physique et moral la lọi

de pourvoir à sa conservation : le crime égorge l'innocence pour régner, et l'innocence se débat de toutes ses forces dans les mains du crime. Que la tyrannie règne un seul jour; le lendemain il ne restera plus un patriote. Jusques à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du pour les peuple barbarie ou rébellion? Comme on est tendre oppresseurs, et inexorable pour les opprimés! Rien de plus naturel; quiconque ne hait point le crime ne peut aimer la

vertu.

>>

pour

» Il faut cependant que l'un ou l'autre succombe. Indulgence pour les royalistes! s'écrient certaines gens; grâce pour l'innocence, grâce pour les les scélérats!... Non! Grâce faibles, grâce pour les malheureux, grâce pour l'humanité! » La protection sociale n'est due qu'aux citoyens paisibles; il n'y a de citoyens dans la République que les républicains. Les royalistes, les conspirateurs ne sont pour elle que des étrangers, ou plutôt des ennemis. Cette guerre terrible que soutient la liberté contre la tyrannie n'est-elle pas indivisible? Les ennemis du dedans ne sont-ils pas les alliés des ennemis du dehors? Les assassins qui déchirent la patrie dans l'inté rieur, les intrigans qui achètent les consciences des mandataires du peuple, les traîtres qui les vendent, les libellistes mercenaires soudoyés pour déshonorer la cause du peuple, pour tuer la vertu publique, pour attiser le feu des discordes la civiles, et pour préparer la contre-révolution politique par contre-révolution morale; tous ces gens-là sont-ils moins coupables ou moins dangereux que les tyrans qu'ils servent? Tous ceux qui interposent leur douceur parricide entre ces scélérats et le glaive vengeur de la justice nationale ressemblent à ceux qui se jeteraient entre les satellites des tyrans et les baïonnettes de nos soldats; tous les élans de leur fausse sensibilité ne me paraissent que des soupirs échappés vers l'Angleterre et vers l'Autriche.

[ocr errors]

Eh! pour qui donc s'attendriraient-ils ? Serait-ce pour moissonnés le par deux cent mille héros, l'élite de la nation, fer des ennemis de la liberté, ou par les poignards des assas» sins royaux ou fédéralistes? Non, ce n'étaient que des pléhéiens, des patriotes!... Pour avoir droit à leur tendre intérêt

« PrethodnaNastavi »