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titres ont-ils pour en opposer même aux plus vils tyrans? Une faction pardonnerait à une autre faction; bientôt les scélérats vengeraient le monde en s'entr'égorgeant eux-mêmes, et s'ils échappaient à la justice des hommes ou à leur propre fureur, échapperaient-ils à la justice éternelle, qu'ils ont outragée par le plus horrible de tous les forfaits ?

» Pour moi, dont l'existence paraît aux ennemis de mon pays un obstacle à leurs projets odieux, je consens volontiers à leur en faire le sacrifice si leur affreux empire doit durer encore. Eh! qui pourrait désirer de voir plus longtemps cette horrible succession de traîtres plus ou moins habiles à cacher leur âme hideuse sous un masque de vertu jusqu'au moment où leur crime paraît mûr, qui tous laisseront à la postérité l'embarras de décider lequel des ennemis de ma patrie fut le plus lâche et le plus atroce?

» Si l'on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la sauvegarde d'un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de nous; mais laisser sur la tête des représentans fidèles le devoir de dénoncer les crimes, et cependant d'un autre côté les livrer à la rage d'une ligue insolente s'ils osent le remplir, n'est-ce pas un désordre encore plus révoltant? C'est plus que protéger le crime, c'est lui immoler la vertu!

» En voyant la multitude des vices que le torrent de la révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices; ils ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s'oppose à leurs projets a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien; mais si les Verrès et les Catilina de la France se croient déjà assez avancés dans la carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tête de leur accusateur, j'ai promis aussi naguère de laisser

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mes concitoyens un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès ce moment l'opprobre et la mort! Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul homme; mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui peut mourir en défendant la cause genre humain. J'ai vu dans l'histoire tous les défenseurs de la liberté accablés par la fortune ou par la calomnie; mais bientôt après leurs oppresseurs et leurs assassins sont morts aussi les bons et les méchans, les tyrans et les amis de la liberté disparaissent de la terre, mais à des conditions différentes. Français, ne souffrez pas que vos ennemis cherchent à abaisser vos âmes et à énerver vos vertus par une funeste doctrine! Non, Chaumette, non Fauchet, la mort n'est point un sommeil éternel! Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie, qui jette un crêpe funèbre sur la nature et qui insulte à la mort; gravez-y plutôt celle-ci : la mort est le commencement de l'immortalité.

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Peuple, souviens-toi que si dans la République la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom! Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise; toi, souverain reconnu, qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes, et non de destinées !

» Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens !

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Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique !

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Sache que tout homme qui s'élevera pour défendre la cause et la morale publique sera accablé d'avanies, et proscrit par les fripons; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie; que ceux qui ne pourront

être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition; que Pinfluence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie! Tel est l'empire des tyrans armés contre nous; telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir. Ainsi donc les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs! Souscrirons-nous à cette loi? Non! Défendons le peuple, au risque d'en être estimés; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu!

» Dirons-nous que tout est bien? Continuerons-nous de louer par habitude ou par pratique ce qui est mal? Nous perdrions la patrie. Révélerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées, que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle? Disons donc qu'il existe une conspiration contre la liberté publique; qu'elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention; que cette coalition a des complices dans le comité de sûreté générale et dans les bureaux de ce comité, qu'ils dominent; que les ennemis de la République ont opposé ce comité au comité de salut public, et constitué ainsi deux gouvernemens; que des membres du comité de salut public entrent dans ce complot; que la coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie. Quel est le remède à ce mal? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du comité de sûreté générale, épurer ce comité lui-même, et le subordonner au comité de salut public; épurer le comité de salut public luimême, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité

nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté : tels sont les principes. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive le taire; car que peut-on objecter à un homme qui a raison, et qui sait mourir pour son pays?

» Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie; les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits tant que la horde des fripons. dominera. »

Le gant était jeté, et Robespierre se présentait au combat sans autre soutien que lui-même : sa longue absence avait paralysé le dévouement de ceux de ses partisans que la haine ou l'intrigue n'avait pas attirés dans les rangs de ses ennemis, et son discours, ou plutôt son manifeste, armait contre lui toutes les petites passions. Néanmoins, s'il ne retrouva plus dans la majorité un appui si longtemps fidèle, il n'y rencontra pas d'abord une opposition fortement décidée : c'est que ses adversaires se voyaient surpris sans défense concertée, et que la crainte et l'intérêt personnel enchaînaient encore les esprits; d'ailleurs il fallait être bien fort pour entrer sur le champ en lice avec l'homme qui n'appelait que le peuple pour témoin et pour juge de sa conduite, et dont les mœurs simples et pures étaient à la fois pour tant d'autres un exemple et une accusation.

Robespierre avait été écouté sans interruption. Il quitte la tribune ; une sombre agitation se manifeste dans l'Assemblée; des membres se consultent, inquiets, incertains. Lecointre (de Versailles) ouvre enfin les débats en votant l'impression du discours qui vient d'être prononcé. Bourdon (de l'Oise) s'y oppose : ce discours renferme des assertions si graves, qu'il lui paraît dangereux de le publier; il en demande le renvoi à l'examen des deux comités de salut public et de sûreté générale. Barrère soutient que dans un pays libre tout doit être publié, la vérité comme l'erreur, et il insiste pour l'impression, qui fera reconnaître

l'une ou l'autre; du reste il pense que Robespierre aurait supprimé son discours s'il eût connu les délibérations du comité de salut public, dans lequel il ne s'est point rendu depuis quatre décades. Couthon regarde la proposition de Bourdon comme un outrage fait à la Convention, qui sait sentir et juger, et pour prouver à la France qu'il est encore des hommes qui ont le courage de dire la vérité tout entière, il demande que le discours de Robespierre soit envoyé dans toutes les communes de la République. Par un mouvement d'habitude sans doute, la majorité appuie cet avis, et l'impression et l'envoi sont décrétés à la presque unanimité. Mais aussitôt des réclamations s'élèvent.

Vadier, piqué du dédain que Robespierre a jeté sur l'affaire de Catherine Théos (1), maintient avec chaleur les faits qu'il a dénoncés, et persiste à montrer une conspiration des plus étendues dans les relations de la mère de Dieu avec ses élus. Cambon justifie ses opérations de finances. Panis parle beaucoup de lui-même ; il rapporte quelques ouï-dire, et fait un crime à Robespierre de son influence dans la société des Jacobins. Billaud-Varenne défend le comité de salut public, et le premier il ramasse le gant... Robes

(1) Une vieille folle, renfermée une partie de sa vie à Bicêtre, rendue à la liberté depuis la révolution, s'était livrée de nouveau aux déréglemens de son esprit ; elle réunissait chez elle d'autres fous, des niais, des fanatiques, des illuminés. Elle se disait la mère de Dieu, envoyée sur la terre pour accorder l'immortalité de l'âme et du corps à ceux qu'elle jugerait dignes d'être initiés à ses mystères. Son nom était Catherine Théot; mais un savant de la troupe avait prouvé qu'il fallait prononcer Théos (du grec, Dieu). Des épreuves, des grimaces, des sermens ridicules étaient imposés aux élus, éclairés ensuite par P'explication merveilleuse des rêveries de l'Apocalypse.

C'est dans cette société d'échappés des petites maisons que le comité de sûreté générale s'était plu à voir de dangereux conspirateurs: au fond c'était un prétexte, une tactique de police pour atteindre et frapper d'autres individus. Le 27 prairial la Convention fut informée de l'existence de la mère du verbe par un rapport très plaisant que lut Vadier, mais dans lequel on reconnut une carmagnole de Barrère. Un décret renvoya les prétendus conjurés devant le tribunal révolutionnaire; toutefois l'affaire n'eut pas de suite: Robespierre usa de son influence pour éviter à ses collègues une cruauté inutile. On l'accusa plus tard de n'avoir pas été étranger aux inspirations de la mère de Dieu, qui l'aurait un jour proclamé son fils... Cette imputation ne mérite pas d'être relevée.

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