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pierre avait raison, dit Billaud; il faut arracher le masque sur quelque visage qu'il se trouve, et s'il est vrai que nous ne jouissions pas de la liberté des opinions, j'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence le complice de ses forfaits!

Encouragé par cet exemple, Fréron s'écrie: Le moment de faire ressusciter la liberté est celui de rétablir la liberté des opinions! Je demande que l'Assemblée rapporte le décret qui accorde aux comités le droit de faire arrêter des représentans du peuple. Quel est celui qui peut parler librement lorsqu'il craint d'être arrêté ? (Quelques applaudissemens.)

Mais Billaud-Varenne reprend : Si la proposition qui est faite pouvait être adoptée, la Convention serait dans un état d'avilissement effrayant! Celui que la crainte empêche de dire son avis n'est pas digne du titre de représentant du peuple! (Nombreux applaudissemens.)

La Convention passe à l'ordre du jour sur la motion de Fréron, et Fréron garde le silence.

Mais Bentabole, Charlier, Amar, Thirion, Bréard ne veulent pas que cette première journée soit totalement infructueuse; ils rappellent l'attention de la majorité sur le discours de Robespierre: ils ne le discutent pas; ils se bornent à le tenir pour très dangereux, et à demander le rapport du décret qui en ordonne l'impression. La majorité se range à cet avis. Bourdon (de l'Oise) reproduit sa motion; elle est également accueillie. Quoi! dit Robespierre, j'aurai eu le courage de venir déposer dans le sein de la Convention des vérités que je crois nécessaires au salut de la patrie, et l'on renverrait men discours à l'examen des membres que j'accuse! -Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, lui répond Charlier, il faut avoir celui de la vérité. Nommez tous ceux que vous accusez ! Je persiste dans ce que j'ai dit, reprend Robespierre; jamais on ne tirera de moi une rétractation qui n'est pas dans mon cœur ; en jetant mon bouclier je me suis présenté à découvert à mes ennemis je n'ai flatté personne, je n'ai calomnié personne, je ne crains personne! Je déclare au sur plus que je ne prends aucune

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part à ce qu'on pourra décider pour empêcher l'envoi de mon discours.

La Convention renvoie définitivement le discours à l'examen des deux comités de salut public et de sûreté générale.

Cette première lutte, encore comprimée par la crainte, donna du moins le signal d'un engagement décisif. Dans la soirée, dans la nuit les ennemis de Robespierre, tous ceux qu'il a dénoncés ou menacés se cherchent, se réunissent; naguère divisés d'opinion, ou secrètement attachés à tel ou tel parti, ils n'ont plus qu'une volonté, comme ils n'ont plus qu'un moyen commun de salut; c'est la perte du tyran ils ne préparent point de réponses à son discours; ce serait 's'exposer à une défaite : ils n'ont qu'un moment; il faut le saisir; inspirés par le courage de la peur, ils improviseront des cris, ils montreront des poignards.

Quant à Robespierre, il espère encore un retour de cette majorité incertaine et mobile qui vient de lui accorder, puis de lui reprendre la faveur de l'impression. Il se rend à la société des Jacobins ; il y fait lecture de son discours : les jacobins le couvrent d'applaudissemens, et s'élèvent contre les membres de la Convention qui en ont empêché la publicité. Du reste il croit devoir se dispenser d'un appel plus direct à ses partisans; toute menée secrète lui paraîtrait un outrage à leur dévouement: il compte sur les jacobins, sur la commune de Paris, sur le peuple; mais il compte trop sur lui-même. La présence de Saint-Just, arrivé de l'armée depuis quelques heures seulement, lui donne aussi trop de confiance; il se repose sur l'adresse, sur l'éloquence, sur le dévouement de son jeune collègue : mais comme lui SaintJust a perdu son influence, et la terreur même qu'il pourrait inspirer aux conjurés serait pour eux un motif de plus de précipiter leurs coups. En effet, à l'ouverture de la séance du 9 Saint-Just paraît à la tribune avec un discours qu'il a composé dans la nuit ; mais à peine en a-t-il prononcé quelques lignes qu'il est forcé de céder la parole à ses accusateurs.

Dernier DISCOURS de Saint-Just, commencé dans la séance du 9 thermidor. (Déposé sur le bureau et imprimé par ordre de la Convention nationale.)

« Je ne suis d'aucune faction: je les combattrai toutes. Elles ne s'éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l'autorité, et feront ployer sans retour l'orgueil humain sous le joug de la liberté publique.

» Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. J'ai cru que la vérité vous était due offerte avec prudence, et qu'on ne pouvait rompre avec pudeur l'engagement pris avec sa conscience de tout oser pour le salut de la patrie.

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Quel langage vais-je vous parler ? Comment vous peindre des erreurs dont vous n'avez aucune idée, et comment rendre sensible le mal qu'un mot décèle, qu'un mot corrige?

>> Vos comités de sûreté générale et de salut public m'avaient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu'avait éprouvée l'opinion publique dans ces derniers temps.

» La confiance des deux comités m'honorait; mais quelqu'un cette nuit a flétri mon cœur, et je ne veux parler qu'à vous.

» J'en appelle à vous de l'obligation que quelques uns semblaient m'imposer de m'exprimer contre ma pensée.

» On a voulu répandre que le gouvernement était divisé : il ne l'est pas ; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu.

» Ils ne sont point passés tous les jours de gloire! et je préviens l'Europe de la nullité de ses projets contre la vigueur du gouvernement.

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Je vais parler de quelques hommes que la jalousie me paraît avoir portés à accroître leur influence, et à concentrer dans leurs mains l'autorité par l'abaissement ou la dispersion de ce qui gênait leurs desseins, en outre en mettant à leur disposition la milice citoyenne de Paris, en supprimant ses magistrats pour s'attribuer leurs fonctions; qui me parais

sent avoir projeté de neutraliser le gouvernement révolutionnaire, et tramé la perte des plus gens de bien pour dominer plus tranquillement.

» Ces membres avaient concouru à me charger du rapport. Tous les yeux ne m'ont point paru dessillés sur eux : je ne pouvais pas les accuser en leur propre nom; il eût fallu discuter longtemps dans l'intérieur le problême de leur entreprise : ils croyaient que, chargé par eux de vous parler, j'étais contraint par respect humain de tout concilier, ou d'épouser leurs vues et de parler leur langue.

» J'ai profité d'un moment de loisir que m'a laissé leur espérance pour me préparer à leur faire mesurer devant vous toute la profondeur de l'abîme où ils se sont précipités. C'est donc au nom de la patrie que je vous parle : j'ai cru servir mon pays et lui éviter des orages en n'ouvrant mes lèvres sincères qu'en votre présence.

» C'est au nom de vous-mêmes que je vous entretiens, puisque je vous dois compte de l'influence que vous m'avez

donnée dans les affaires.

» Je suis donc résolu de fouler aux pieds toutes considérations lâches, et de vider en un moment à votre tribunal une affaire qui eût causé des violences dans l'obscurité du gouvernement. La circonstance où je me trouve eût parų délicate et difficile à quiconque aurait eu quelque chose à se reprocher : on aurait craint le triomphe des factions, qui donne la mort ; mais certes ce serait quitter peu de chose qu'une vie dans laquelle il faudrait être ou le complice ou le témoin muet du mal!

» J'ai prié les membres dont j'ai à vous entretenir de venir m'entendre. Ils sont prévenus à mes yeux de fâcheux desseins contre la patrie je ne me sens rien sur le cœur qui m'ait fait craindre qu'ils récriminassent; je leur dirai tout ce que je pense d'eux sans pitié.

>> J'ai parlé du dessein de détruire le gouvernement révolutionnaire. Un complice de cet attentat est arrêté et détenu à la Conciergerie; il s'appelle Legray : il avait été receveur des rentes ; il était membre du comité révolutionnaire de la section du Muséum. Il s'ouvrit de son projet à quelques personnes qu'il

crut attirer dans son crime.

» Le gouvernement révolutionnaire était à son gré trop rigoureux; il fallait le détruire : il manifesta qu'on s'en occupait.

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Legray ajouta que des discours étaient préparés dans les sections contre la Convention nationale; il se plaignit de l'expulsion des nobles; que ç'avait été un moyen de les reconnaître pour les assassiner; que la mémoire de Danton allait être réhabilitée; qu'on ferait repentir Paris des jugemens exécutés sous ses yeux.

» Dans le même temps le bruit dans toute l'Europe se répandait que la royauté en France était rétablie, la Convention nationale égorgée, et l'arbre de la liberté et les instrumens du supplice des traîtres brûlés au pied du trône; il s'y répandait que le gouvernement était divisé... On se trompe; les membres du gouvernement étaient dispersés.

» Dieu! vous avez voulu qu'on tentât d'altérer l'harmonie d'un gouvernement qui eut quelque grandeur, dont les membres ont sagement régi, mais n'ont point voulu toujours en partager la gloire! Vous avez voulu qu'on méditât la perte des bons citoyens ! Je déclare avoir fait mon possible pour ramener tous les esprits à la justice, et avoir reconnu que la résolution évidente de quelques membres y était opposée.

» Je déclare qu'on a tenté de mécontenter et, d'aigrir les esprits pour les conduire à des démarches funestes, et l'on n'a point espéré de moi sans doute que je prêterais mes mains pures à l'iniquité. Ne croyez pas au moins qu'il ait pu sortir de mon cœur l'idée de flatter un homme ! Je le défends parce qu'il m'a paru irréprochable, et je l'accuserais lui-même s'il devenait criminel.

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Quel plan d'indulgence, grand Dieu! que celui de vouloir la perte d'hommes innocens! Le comité de sûreté générale a été environné de prestiges pour être amené à ce but ; sa bonne foi n'a point compris la langue que lui parlait un dessein si funeste; on le flattait, on lui insinuait qu'on visait à le dépouiller de son autorité : les moindres prétextes sont saisis pour grossir l'orage. Trois ouvriers de la poudrerie, habitans d'Arcueil, mêlés à dix ou douze pensionnaires de Bicêtre, qui s'étaient enivrés ensemble, sont présentés aux deux comités

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