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Ah! lui aussi aimait les lettres, les sciences et les arts; il ne poursuivait que la foule mercenaire qui déshonore leur culte.

Au surplus, aucune des accusations portées contre Robespierre n'a été prouvée. Les papiers trouvés chez lui et écrits de sa main déposent qu'il ne comprenait pas le mot conspirateur, à moins que d'avoir tout le peuple pour complice. Les lettres qu'on lui adressa, monumens honteux de lâches adulations, de platitude et de folie, sont-elles des pièces contre lui? Les rapports du député Courtois, qui mit à contribution l'histoire de tous les peuples et toutes les mythologies, tous les pamphlets et tous les ouï-dire pour prouver que Robespierre avait été un tyran; ces rapports, fruit laborieux d'une année de travail, et dans lesquels la bonne foi n'est pas toujours respectée, auront-ils un grand poids devant le tribunal de la postérité? Lecointre, qui révéla prudemment après le 9 thermidor le courageux dessein que neuf membres de la Convention avaient formé depuis longtemps d'assassiner Robespierre en plein sénat; Lecointre, par ses éternelles dénonciations contre les anciens membres du comité de salut public, par la réimpression et le rapprochement des séances et des procès verbaux de cette époque, a fait sans le vouloir l'éloge des accusés, et la censure la plus amère de la majorité de ses collègues. La défense, les justifications que les prétendus complices de Robespierre ont publiées sont généralement grandes, généreuses : l'homme y est sacrifié; c'est une faiblesse humaine, c'est un entraînement de l'opinion dominante, c'est une sorte de déférence que les thermidoriens se sont chargés de faire apprécier. Peu de jours d'ailleurs s'étaient écoulés, et déjà des républicains avaient reconnu le piège tendu à leur vertu. Nous pourrions en citer pour qui cet aveuglement est l'unique faute qu'ils se reprochent dans les derniers momens d'une vie honorable.

Robespierre a été un homme extraordinaire; il eût été un grand homme s'il eût mieux connu son siècle. Il n'a apporté dans sa carrière législative que l'étude de l'histoire ; il lui manquait celle du monde. S'il n'eût fait que des livres on l'admirerait encore; on le placerait au premier rang des publicistes. Mais il a donné la malheureuse expérience que

le rêve politique d'un homme de bien mis en action par un homme puissant peut devenir une calamité publique. Du reste il a fait à lui seul une époque dans les annales de la France. Saint-Just était supérieur à Robespierre par l'étendue de son instruction et par son génie; mais il portait plus loin encore l'ignorance des hommes et du pays qu'ils voulaient instituer. Tous deux étaient des premiers Romains vivant dans la corruption de l'empire. Robespierre est mort à trente-cinq ans, et Saint-Just à vingt-six.

Le peuple applaudit au supplice de ces hommes longtemps ses idoles. Il avait vu en eux ses libérateurs et ses soutiens; sa haine égala son amour lorsqu'on l'eut convaincu qu'ils n'avaient été que ses tyrans et ses assassins. Le peuple s'était trompé, et on le tronpa : on a vu que les bienfaits comme les crimes avaient eu pour auteurs et ces hommes et leurs collègues. Cette tactique de rejeter tour à tour sur tel ou tel parti les maux nécessaires ou inévitables de la tourmente révolutionnaire était celle de l'étranger et de l'aristocratie, qui espéraient ainsi de détruire la Convention par elle-même. Les intrigans et les fripons suivirent la même marche pour se soustraire à l'ignominie. Tous ces calculs égarèrent le peuple. Une imposture qui contribua beaucoup à l'abandon presque subit de Robespierre dans la journée du 9 thermidor est celle qui signala son parti aux citoyens comme un parti royaliste; jamais les harangues ni les dispositions militaires du général Barras et de ses adjoints n'auraient eu le succès de cette foudroyante révélation faite au peuple que les signes de l'esclavage avaient été arborés par la commune rien n'était plus faux cependant. Mais une force d'opinion pouvait seule renverser les dominateurs : on l'avait créée à l'avance par le concours de toutes les

calomnies.

En effet, sans cette force d'opinion qu'auraient pu faire un Tallien, connu par ses excès révolutionnaires, poussé par le besoin d'échapper à un juste châtiment, invoquant la liberté publique pour n'obtenir que celle d'une femme, Tallien, déjà et depuis méprisé de tous les partis? Un

Fréron, cet Orateur du peuple (1) ignoble doublure de Marat, qui, ne pouvant remplacer son père dans la carrière des lettres, embrassa la carrière des intrigues, et ne s'y distingua que par des crimes? Un Louchet (2), dont le nom frappait pour la première fois les oreilles de la multitude, terroriste non par vues politiques, mais par faiblesse de caractère, homme inégal et sans capacité, cherchant à secouer sa nullité en se montrant à la fois l'admirateur de Marat et l'ennemi de Robespierre? Un Barras, dont la vie a été l'exemple de toutes les débauches et de toutes les perfidies, dont le nom semble n'être resté que pour exprimer la réunion des vices et des penchans qui dans un homme affligent toute la société? Qu'auraient pu faire enfin tant de thermidoriens, les uns ignorés, sans talent, sans considération, les autres le déshonneur du gouvernement révolutionnaire? Il a donc fallu qu'une force d'opinion factice prît un moment la place de l'opinion publique égarée. Ainsi le peuple a laissé tomber un parti dans lequel on ne lui montrait que des tyrans et des assassins; à la voix de leurs dignes compagnons, les dilapidateurs, les hommes adonnés au faste et à la volupté se sont empressés d'accourir; les ambitieux ont tout espéré avec les fauteurs de trouble et de désorganisation; les modérés et les égoïstes ont cru redevenir libres s'ils n'étaient plus forcés d'être patriotes; les girondins ont pensé aux réparations, à la vengeance; les hommes d'état, ou plutôt les constitutionistes, ont applaudi au retour d'un système qui leur promettait l'autorité ou tout au moins l'opposition. Les thermidoriens, qui presque tous avaient voté la mort du roi, ont encore trouvé un appui dans les royalistes, parce que ceux-ci, selon leur tactique, arrivaient par degré à la destruction de la République et de ses auteurs.

Mais les thermidoriens deviendront dominateurs à leur tour; ils garderont la République parce qu'elle leur offre une sécurité personnelle, mais ils voudront jouir seuls de

(1) Titre du journal de Fréron.

(2) Louchet remplit son rôle du 9 en se bornant à demander le décret d'arrestation contre Robespierre. On aurait pu l'avoir oublié.

un sens,

leur triomphe, et il résultera du mélange monstrueux de tant d'intérêts blessés et d'espérances déçues une réaction plus horrible que la terreur même. La majorité de la Convention et le peuple n'auront changé que de despotisme. Cependant l'esprit et le génie de la révolution, luttant contre tous les obstacles, continueront d'illustrer la France; si les grands talens qui les dirigent du sein de la représentation nationale ne se sont point faits robespierristes dans ils ne se feront point thermidoriens dans un autre ; ils resteront eux-mêmes, pour la gloire de la République, pour l'honneur de ses derniers jours, pour la mémoire d'une époque la plus féconde en conceptions sublimes, et qui a été l'héritage de ses détracteurs. L'armée surtout ne cessera de bien mériter de la patrie; c'est elle qui fera pâlir l'histoire des anciens peuples par ses inconcevables prodiges, dont l'éclat dérobera aux Français l'aspect de la contre-révolution! Oui, l'affreuse contre-révolution est née au 9 thermidor : nous la verrons marcher, s'abattre, se relever, grandir, et fouler en maître le sol de la République.

La France après le 9 thermidor se trouva dans un état d'agitation et de désordre qui ne peut se comparer à aucune époque de la révolution. La destruction était partout, et nulle part on ne voyait ni la volonté ni le génie capable de réédifier. Les ressorts de l'administration étaient brisés ; les ordres étaient donnés sans force, reçus sans obéissance. Les intrigans, les fripons, les factieux, les agens de l'étranger même se pressaient pour envahir les emplois vacans par la proscription ou la mort des patriotes. Le sang coulait dans le midi. Partout les portes des prisons s'ouvraient pour rendre la liberté à des nobles, à des émigrés, à des prêtres fanatiques; elles se refermaient pour la ravir aux républicains. Il suffisait d'avoir été révolutionnaire alors que tout le monde l'était, et de n'avoir point changé, pour être poursuivi, assassiné. Les tribunaux extraordinaires étaient suspendus, mais les partis se faisaient justice euxmêmes. Dans les spectacles, sur les places publiques, au 24

XIV.

lieu de vive la République, haine à la royauté, on entendait à bas les terroristes, vive le roi; au lieu de ces chants immortels qui avaient provoqué et célébré tant de victoires, on vociférait des vœux de cannibale : on était peu touché de l'annonce d'un nouveau succès de l'armée ; on trépignait de joie à la nouvelle du sac d'une société populaire. Des chars brillans reparaissaient, des hommes étalaient sans houte le produit de leurs concussions, des femmes se montraient dénuées de décence et couvertes de bijoux : on admirait on revoyait la corruption; on croyait revoir un ancien ami.

Au sein de la Convention des révélations tardives et mensongères, de lâches dénonciations, des propositions absurdes, des considérations puériles; ceux qui quelques mois auparavant s'étaient fait une recommandation, une gloire d'avoir parlé ou pensé comme Robespierre à telle ou telle époque (et ces témoignages pusillanimes souillèrent cent fois la tribune), ceux-là se rappelaient alors qu'ils avaient improuvé, détesté le tyran, que même ils avaient osé le lui dire en face: seulement ils oubliaient qu'au premier mot ils s'étaient remontrés soumis, comme à l'occasion de la loi de prairial et de l'accusation de Danton : tous se disputaient l'honneur de la première résistance à ses volontés, du premier vote porté contre lui. Dubois-Crancé ne rougissait pas d'introduire dans la discussion une fade plaisanterie sur Cornélie Copeau (1), tandis que Fréron demandait formellement la démolition de l'Hôtel-de-Ville de Paris parce qu'il avait servi de refuge au tyran.

Ce premier moment passé, les thermidoriens songèrent à comprimer les partis qui les assaillaient. Tallien proposa le maintien du gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix : cet édifice était déjà mutilé. Louchet invoqua l'exécution de la loi des suspects, le retour de la terreur, s'appuyant

(1) Il voulait parler de la fille vertueuse du républicain Dupleix, menuisier, chez qui Robespierre demeurait, et dont il aspirait à devenir le gendre.

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