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malheureux dans les Pyrénées, dans le Mont-Blanc; tout le monde nous trahissait, et l'on semblait ne se charger plus de gouverner l'Etat et de commander les troupes que pour les livrer et en dévorer les débris. Les flottes étaient vendues; les arsenaux, les vaisseaux en cendre, les monnaies avilies, les étrangers maîtres de nos banques et de notre industrie, et le plus grand de nos malheurs était alors une certaine crainte de déployer l'autorité nécessaire pour sauver l'Etat ; en sorte que la conjuration du côté droit avait brisé d'avance par un piége inouï les armes avec lesquelles vous pouviez le combattre et le punir un jour : ce sont ces armes que l'on veut briser encore.

» La Constitution rallia le souverain. Vous maîtrisâtes la fortune et la victoire, et vous déployâtes enfin contre les ennemis de la liberté l'énergie qu'ils avaient déployée contre vous; car, tandis qu'on vous suggérait des scrupules de défendre la patrie, Précy, Charrette et tous les conjurés brûlaient la cervelle à ceux qui n'étaient point de leur avis et refusaient de suivre leurs rassemblemens et ceux qui cherchent à nous énerver ne font rien et ne proposent rien pour énerver nos ennemis ; on croirait à les entendre que l'Europe est tranquille et ne fait point de levées contre nous; on croirait à les entendre que les frontières sont paisibles comme nos places publiques.

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Citoyens, on veut nous lier, et nous abrutir pour rendre nos défaites plus faciles. A voir avec quelle complaisance on vous entretient du sort des oppresseurs, on serait tenté de croire que l'on s'embarrasse peu que nous soyons opprimés.

» Telle est la marche des factions nouvelles elles ne sont point audacieuses, parce qu'il existe un tribunal qui lance une mort prompte; mais elles assiégent tous les principes, et dessèchent le corps politique. On nous attaqua longtemps de vive force; on veut nous miner aujourd'hui par des maladies de langueur; car voilà ce que présente la République, dégénérée de la rigidité où la porta le supplice de Brissot et de ses complices : c'est alors que partout vous fûtes vainqueurs ; c'est alors que les denrées baissèrent et que le change reprit quelque valeur.

» L'essor du gouvernement révolutionnaire, qui avait établi

la dictature de la justice, est tombé; on croirait que les cœurs des coupables et des juges, effrayés des exemples, ont transigé tout bas pour glacer la justice et lui échapper.

>> On croirait que chacun, épouvanté de sa conscience et de l'inflexibilité des lois, s'est dit à lui-même : Nous ne sommes pas assez vertueux pour étre si terribles.... Législateurs philosophes, compatissez à ma faiblesse ; je n'ose point vous dire : je suis vicieux ; j'aime mieux vous dire : vous étes cruels.

» Ce n'est point avec ces maximes que nous acquerrons de la stabilité. Je vous ai dit qu'à la destruction de l'aristocratie le système de la République était lié.

» En effet, la force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avons point pensé. L'opulence est dans les mains d'un assez grand nombre d'ennemis de la révolution; les besoins mettent le peuple, qui travaille, dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu'un empire puisse exister si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement? Ceux qui font des révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau. La révolution nous conduit à reconnaître ce principe, que celui qui s'est montré l'ennemi de son pays n'y peut étre propriétaire. Il faut encore quelques coups de génie pour nous sauver.

» Serait-ce donc pour ménager des jouissances à ses tyrans que le peuple verse son sang sur les frontières, et que toutes les familles portent le deuil de leurs enfans? Vous reconnaîtrez ce principe que celui-là seul a des droits dans notre patrie qui a coopéré à l'affranchir. Abolissez la mendicité, qui déshonore un état libre; les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernemens qui les négligent. Ces principes sont éversifs des gouvernemens corrompus; ils détruiraient le vôtre si vous le laissiez corrompre: immolez donc l'injustice et le crime, si vous ne voulez point qu'ils vous immolent.

» Il faut appeler aussi votre attention sur les moyens de rendre inébranlables la démocratie et la représentation. Tous

les pouvoirs et tout ce qu'il y a d'intermédiaire entre le peuple et vous est plus fort que vous et le peuple.

>> Rendez une loi générale qui appelle aux armes toute la nation; votre loi est exécutée, toute la nation prend les armes : rendez un décret contre un général, contre un abus particulier du gouvernement; vous ne serez point toujours obéis. Cela dérive de la faiblesse de la législation, de ses vicissitudes, et des propositions éhontées en faveur de l'aristocratie, qui dépravent l'opinion; cela dérive de l'impunité des fonctionnaires, et de ce que dans les sociétés populaires le peuple est spectateur des fonctionnaires au lieu de les juger; de ce que mille intrigues sont en concurrence avec la justice, qui n'ose frapper. Plus les fonctionnaires se mettent à la place du peuple, moins il y a de démocratie. Lorsque je suis dans une société populaire, que mes yeux sont sur le peuple, qui applaudit et qui se place au second rang, que de réflexions m'affligent! La société de Strasbourg, quand l'Alsace fut livrée, était composée de fonctionnaires qui bravaient leurs devoirs ; c'était un comité central d'agens responsables qui faisaient la guerre à la révolution sous les couleurs patriotiques. Mettez tout à sa place : l'égalité n'est pas dans les pouvoirs utiles au peuple, mais dans les hommes; l'égalité ne consiste pas en ce que tout le monde ait de l'orgueil, mais en ce que tout le monde ait de la modestie.

» J'ose dire que la République serait bientôt florissante si le peuple et la représentation avaient la principale influence, et si la souveraineté du peuple était épurée des aristocrates et des comptables, qui semblent l'usurper pour acquérir l'impunité. Ya-t-il quelque espérance de justice lorsque les malfaiteurs ont le pouvoir de condamner leurs juges? dit William. Que rien de mal ne soit pardonné ni impuni dans le gouvernement; la justice est plus redoutable pour les ennemis de la République que la terreur seule. Que de traîtres ont échappé à la terreur, qui parle, et n'échapperaient pas à la justice, qui pèse les crimes dans sa main! La justice condamne les ennemis du peuple et les partisans de la tyrannie parmi nous à un esclavage éternel: la terreur leur en laisse espérer la fin; car toutes les tempêtes finissent, et vous l'avez vu la justice condamne les fonctionnaires à la probité; la justice rend le peuple heureux,

et consolide le nouvel ordre de choses: la terreur est une arme à deux tranchans, dont les uns se sont servi à venger le peuple, et d'autres à servir la tyrannie ; la terreur a rempli les maisons d'arrêt, mais on ne punit point les coupables; la terreur a passé comme un orage. N'attendez de sévérité durable dans le caractère public que de la force des institutions; un calme affreux suit toujours nos tempêtes, et nous sommes aussi toujours plus indulgens après qu'avant la terreur.

» Les auteurs de cette dépravation sont les indulgens, qui ne se soucient pas de demander de compte à personne, parce qu'ils craignent qu'on ne leur en demande à eux-mêmes ; ainsi, par une transaction tacite entre tous les vices, la patrie se trouve immolée à l'intérêt de chacun, au lieu que tous les intérêts privés soient immolés à la patrie.

» Marat avait quelques idées heureuses sur le gouvernement représentatif que je regrette qu'il ait emportées : il n'y avait que lui qui pût les dire; il n'y aura que la nécessité qui permettra qu'on les entende de la bouche de tout autre,

» Il s'est fait une révolution dans le gouvernement; elle n'a point pénétré l'état civil. Le gouvernement repose sur la liberté, l'état civil sur l'aristocratie, qui forme un rang intermédiaire d'ennemis de la liberté entre le peuple et vous pouvez-vous rester loin du peuple, votre unique ami?

» Forcez les intermédiaires au respect rigoureux de la représentation nationale et du peuple. Si ces principes pouvaient être adoptés notre patrie serait heureuse, et l'Europe serait bientôt à nos pieds.

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Jusques à quand serons-nous dupes et de nos ennemis intérieurs par l'indulgence déplacée, et des ennemis du dehors, dont nous favorisons les projets par notre faiblesse !

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Epargnez l'aristocratie, et vous vous préparerez cinquante ans de troubles. Osez ce mot renferme toute la politique de notre révolution.

>>

L'étranger veut régner chez nous par la discorde : étouffons-la en séquestrant nos ennemis et leurs partisans ; rendons guerre pour guerre! Nos ennemis ne peuvent plus nous résister longtemps; ils nous font la guerre pour s'entre-détruire. Pitt

veut détruire la maison d'Autriche, celle-ci la Prusse, tous ensemble l'Espagne; et cette affreuse et fausse alliance veut détruire les Républiques de l'Europe.

» Pour vous, détruisez le parti rebelle; bronzez la liberté; vengez les patriotes victimes de l'intrigue; mettez le bon sens et la modestie à l'ordre du jour; ne souffrez point qu'il y ait un malheureux ni un pauvre dans l'Etat : ce n'est qu'à ce prix que vous aurez fait une révolution, et une République véritable. Eh! qui vous saurait gré du malheur des bons et du bonheur des méchans? »

DÉCRET. (Adopté dans la même séance, sans discussion, et à

l'unanimité.)

<< La Convention nationale, après avoir entendu le rapport des comités de salut public et de sûreté générale réunis, décrète :

» Art. 1. Le comité de sûreté générale est investi du pouvoir de mettre en liberté les patriotes détenus. Toute personne qui réclamera sa liberté rendra compte de sa conduite depuis le premier mai 1789.

» 2. Les propriétés des patriotes sont inviolables et sacrées. Les biens des personnes reconnues ennemies de la révolution seront séquestrés au profit de la République; ces personnes seront détenues jusqu'à la paix, et bannies ensuite à perpétuité.

» 3. Le rapport, ainsi que le présent décret, seront imprimés, et envoyés sur le champ par des courriers extraordnaires aux départemens, aux armées et aux sociétés populaires. »

MODE D'EXÉCUTION.

Saint-Just. Séance du 13 ventôse an 2. (3 mars 1794.)

Citoyens, je vous présente, au nom du comité de salut public, le mode d'exécution du décret rendu le 8 de ce mois contre les ennemis de la révolution.

» C'est une idée très généralement sentie que toute la sagesse d'un gouvernement consiste à réduire le parti opposé à la révolution, et à rendre le peuple heureux aux dépens de tous les vices et de tous les ennemis de la liberté.

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