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avait prêté serment pour la charge de secrétaire d'État aux Relations extérieures. Par une mesure que justifiait la confiance de Louis XV et la gratitude du roi d'Espagne, Choiseul conservait la correspondance diplomatique avec l'Espagne, le Portugal et les cours de famille (Naples et Parme). Mais il prenait possession du ministère de la Marine, et toute son activité ne serait pas de trop pour mener de front les occupations si lourdes que lui imposaient ses multiples fonctions. Il se montrait plein d'ardeur pour se mettre à la besogne et de courage pour l'accomplir. « C'est une machine bien en désordre, disait-il en parlant de son nouveau département. Avec de la patience, de la suite, du travail et plus de talents que je n'en ai, on vient à bout de tout. » Il devait justifier, et au delà, les espérances qu'il concevait alors.

Pour la réussite de cette œuvre, l'entente avec l'Espagne était un point capital, et le concours empressé du marquis d'Ossun lui demeurait des plus précieux. Aussi Choiseul fut-il heureux d'obtenir de Louis XV un témoignage matériel de satisfaction pour son ambassadeur à Madrid. Le jour même où il faisait part à d'Ossun de son entrée en fonctions à la Marine, il lui annonçait << une gratification de 20,000 livres qui serait jointe à ses appointements du premier quartier de l'année prochaine ». Récompense bien méritée des efforts accomplis par ce fidèle serviteur et stimulant de zèle pour l'activité qu'il lui faudrait encore témoigner dans l'avenir.

Un événement sensationnel venait de se produire à Londres qui pouvait modifier sensiblement les conditions de la politique générale. C'était la retraite du ministre qui possédait à un si haut degré la confiance de la nation britannique. Pitt avait donné sa démission, et Georges III, consentant sans peine à l'accepter, avait aussitôt confié le pouvoir à lord Bute, qui lui était bien autrement sympathique.

Je ne doute pas, disait Choiseul, que la rupture de notre négociation avec la cour de Londres n'ait été un des motifs de ce changement dans le ministère britannique ou, du moins, le prétexte plausible qu'ont saisi les ennemis de M. Pitt pour l'obliger à se retirer, et, conséquemment, je pense que Milord Bute va s'attacher par toutes sortes de moyens à conjurer l'orage qui était prêt à fondre sur son pays par l'union de la France et de l'Espagne; mais les ministres

anglais peuvent changer, je suis bien sûr que la volonté du Roi et celle du roi d'Espagne ne changeront pas'.

On sait que Choiseul devinait juste en bien augurant pour l'avenir de la chute de l'homme qui avait impitoyablement poussé son pays à la lutte contre la France. Mais, en attendant l'heure où les conséquences de son départ se feraient sentir, il ne fallait rien négliger pour se mettre en état d'en profiter. Nous venions de faire à la cour de Londres les avances les plus désavantageuses pour obtenir la paix. Elles n'avaient pas réussi, et Choiseul persistait à croire que l'état de guerre pouvait seul, à cette date, nous dédommager de l'humiliation des sacrifices que nous aurions consentis.

Voilà, disait-il, le moment d'arrêter les progrès de l'ennemi commun. Le trouble de son intérieur, les embarras qu'il rencontre dans ses moyens doivent nous faire augurer que la déclaration de l'Espagne réduira l'Angleterre à un système pacifique et modéré tel qu'il convient aux intérêts et à l'honneur des deux couronnes... La rupture de l'Espagne avec l'Angleterre nous paraît instante. Nous croyons être dans la circonstance où cet événement fera une sensation à Londres très avantageuse pour nous, et nous sommes impatients d'apprendre si la cour de Madrid pense de même que le Roi sur ce point important.

La cour de Madrid était moins pressée que le cabinet de Versailles. Le roi d'Espagne approuvait sans restriction les préparatifs de Choiseul, et il avait appris avec la plus vive satisfaction le nouvel arrangement qui mettait entre les mains de ce ministre les deux départements de la Marine et de la Guerre. Il augurait les plus heureux résultats de cette réunion des forces maritimes et militaires sous la même direction, mais il hésitait encore à se déclarer contre l'Angleterre. En dépit des instances du marquis de Grimaldi, qui se joignait de Versailles à Choiseul pour le pousser aux mesures immédiates, Charles III voulait attendre les informations qu'il avait demandées à son ambassadeur à Londres. Le départ de Pitt ne l'avait pourtant pas moins réjoui que . C'était d'ailleurs (s'il faut en croire M. de Fuentès) à ance qui regardait l'Espagne que l'on devait le

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i, fol. 87.

départ du ministre anglais1». M. Wall, on s'en souvient, avait adressé à l'ambassadeur britannique à Madrid un mémoire pour affirmer que la remise de celui de Bussy à Londres avait été faite d'accord avec l'Espagne. M. Pitt aurait minuté une réplique qui contenait en substance que « l'Angleterre étant informée que le roi catholique avait fait un traité avec la France, ce prince eût à remettre au ministère britannique une copie de ce traité afin qu'il pût se déterminer, avec connaissance de cause, sur le parti à prendre ».

On serait assez disposé à croire, en voyant le ton rogue et hautain de ces mots, qu'ils répondaient bien à la pensée comme à la forme ou plutôt à l'absence de formes de l'homme d'État anglais. M. de Fuentès prétend que, cette réponse ayant été entièrement désapprouvée par les collègues de Pitt, celui-ci, piqué, donna sa démission. L'explication n'a rien d'impossible.

En tous cas, la France et l'Espagne se trouvaient débarrassées d'un adversaire implacable, et cet événement ne pouvait que leur causer une véritable satisfaction. M. Wall s'était même flatté, dans le premier moment, que cette retraite faciliterait une pacification générale. Choiseul avait une vue plus juste de la situation en n'escomptant que pour l'avenir le changement survenu à Londres. Le secrétaire d'État espagnol dut vite reconnaître que Charles III partageait le sentiment du ministre français et qu'il fallait, sans se laisser arrêter par un espoir prématuré de conciliation, continuer les préparatifs militaires. Ils amèneraient plus sûrement la paix que ne le feraient des négociations nouvelles avec la cour de Londres.

IV.

Poursuivre les armements paraissait beaucoup à Madrid. Il semblait à Versailles que c'était encore bien peu. Aussi, en apprenant que Charles III ne croyait pas pouvoir déclarer la guerre à l'Angleterre avant la date fixée par la convention secrète, Choiseul ne pouvait-il pas s'empêcher d'écrire à d'Ossun: « Dieu veuille que d'ici au 1er mai il ne se rencontre pas de nouveaux obstacles à la déclaration. » Puis il ajoutait ce trait, qui ne manque pas de saveur :

J'ai gagé un cheval avec M. de Grimaldi que ce qui arrive arrive1. Espagne 534, fol. 128.

rait, et ce pari a été fait dans le temps que cet ambassadeur me pressait si vivement de signer la convention et me faisait des reproches du retardement que je mettais à la consommation de cet ouvrage. Alors il aurait voulu que j'eusse mis à la déclaration de guerre de l'Espagne un terme plus rapproché. Je ne voulus pas, en lui disant que le roi d'Espagne serait toujours le maître d'entrer en guerre, que je pariais qu'il ne se déclarerait pas cette année et que j'éloignais le moment de la guerre espagnole afin qu'elle fût sûre et que nous n'eussions pas, au premier pas de l'alliance, à nous plaindre de notre allié. M. de Grimaldi s'échauffa et paria que son maître serait en guerre cette année. Je pariai; croyez-vous à présent que j'ai gagné1?

La satisfaction d'avoir prévu ce qui allait se passer n'était pour Choiseul qu'un bien faible dédommagement à la tristesse de voir l'Espagne toujours si longue à se décider. Il avait bien senti d'avance toute la difficulté qu'il éprouverait à faire entrer en guerre une nouvelle puissance. Voilà pourquoi, tant qu'il avait pu, il s'était borné à se servir d'elle comme d'un sujet de crainte pour l'Angleterre. Maintenant que les pourparlers de paix étaient définitivement rompus avec ce pays, il tâchait de stimuler le zèle du roi catholique, mais il n'entendait pas se rendre insupportable à l'allié de la France par une insistance trop vive. Les premières démarches du marquis d'Ossun auprès de Charles III ne semblant pas avoir donné le résultat espéré, Choiseul lui disait, à la date du 27 octobre 1761: « Quoi qu'il en soit, pressez sans chaleur le ministère de S. M. C. Il doit connaître les possibilités de l'Espagne mieux que moi, et, quelque chose qui arrive, notre premier objet est d'être bien avec l'Espagne quand même elle nous abandonnerait. »

Quelques jours seulement se passaient, et d'Ossun lui donnait au contraire des nouvelles qui semblaient faire prévoir, pour une assez brève échéance, la rupture entre Londres et Madrid. Charles III avait, en effet, déclaré à l'ambassadeur qu'aussitôt informé du départ des renforts qu'il envoyait en Amérique, il s'expliquerait clairement vis-à-vis de la cour britannique. D'autre part, son ministre de la Marine travaillait à former le plan de l'expédition projetée contre la Jamaïque. C'étaient là des indices de dispositions belliqueuses.

1. Choiseul à d'Ossun, 27 octobre 1761, de sa main. Espagne 534, fol. 144.

La conduite de M. Wall en présentait d'autres non moins évidents. L'ambassadeur anglais lui ayant demandé, par ordre de sa cour, s'il était vrai que l'Espagne avait fait un traité avec la France, le secrétaire d'État répondit qu'il n'avait rien à ajouter à ce qu'avait dit à Londres M. de Fuentès. Au surplus, continua M. Wall, le refus que venait de faire l'Angleterre des conditions avantageuses de paix que le cabinet de Versailles lui avait offertes montrait assez que le projet du ministère britannique était d'écraser entièrement la France, de même que sa conduite à l'égard de l'Espagne semblait annoncer l'intention de traiter ensuite cette puissance comme la première. Lord Bristol se récria naturellement très fort sur un pareil soupçon et protesta (les protestations en ce cas sont de rigueur) que sa cour en était bien éloignée. Mais M. Wall lui répliqua que, la chose étant suffisamment démontrée par les faits, il avait conseillé et il conseillerait constamment au roi, son maître, « de périr s'il le fallait, mais de périr les armes à la main1 ».

V.

Si l'Espagne se décidait à la rupture, un point qui avait bien son importance était de savoir ce que ferait le Portugal. Charles III n'entendait pas permettre à ce pays de conserver sa neutralité, et il déclara à d'Ossun qu'il obligerait le Roi Très Fidèle à prendre parti pour ou contre les Anglais.

Le souverain espagnol semblait d'ailleurs mépriser un peu trop les forces du Portugal. Ne dit-il pas à l'ambassadeur de Louis XV qu'il n'aurait qu'à permettre aux habitants de la Galice de prendre les armes et qu'ils auraient bientôt conquis ce royaume? A quoi son interlocuteur prit la liberté de répondre qu'il faudrait une armée de 30,000 hommes au moins pour assurer le succès d'une pareille expédition et qu'il serait surtout nécessaire d'avoir un train d'artillerie considérable. Or, sur ce dernier point, d'Ossun se montrait fort alarmiste. « Il n'y a pas actuellement, écrivait-il à Choiseul, dix affûts en état de servir. » Il est vrai qu'il ajoutait : « S. M. C. vient de nommer le comte de Gazo, qu'il a fait venir de Naples, inspecteur d'artillerie et de lui donner les pouvoirs les plus amples pour la mettre incessam

1. Espagne 534, fol. 155.

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