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ment en état. L'on peut tout espérer de l'intelligence et de l'activité de cet officier1. »

Cette question du Portugal préoccupait aussi la cour de Versailles. Il y avait plutôt tension dans nos rapports avec ce pays, et bien des froissements d'amour-propre s'étaient produits qui ne paraissaient pas de nature à les améliorer. Louis XV, afin de savoir à quoi s'en tenir, envoya, le 15 novembre 1761, M. O'Dunne comme ministre plénipotentiaire à Lisbonne. Il devait, avant de rejoindre son poste, passer par Madrid et se concerter avec M. Wall pour prendre ses instructions et recevoir les ordres de Charles III. « Les sentiments, les intérêts et les vues étant les mêmes entre les deux souverains que nous avons l'honneur de servir (disait Choiseul à M. Wall), il est naturel et nécessaire qu'il y ait une parfaite et constante unanimité de propos et de démarches entre leurs ministres respectifs, et le roi ne peut donner une preuve plus sensible de ses intentions à cet égard que de subordonner la mission de M. O'Dunne aux volontés de S. M. C.2. »

Choiseul complétait sa pensée sur ce point et la révélait tout entière à d'Ossun dans sa lettre du 17 novembre 17613:

Vous savez, lui écrivait-il, que les démarches à Lisbonne doivent être entamées par le roi d'Espagne. Le ministre du Roi ne peut paraître qu'à l'appui de celui de S. M. C. Aussi, c'est de Madrid que doivent partir les règles de sa conduite. Il serait fort à désirer que le parti sur le Portugal fût brusque. Je crois que l'intérêt des deux couronnes exige qu'on ne se laisse pas amuser par la cour du Portugal qui, d'après sa faiblesse, pourra nous promettre ce qu'on lui demandera, mais finira, à coup sûr, par nous tromper.

L'avantage des deux couronnes est que le Portugal soit contre elles. Pourquoi, pour une forme, se mettre dans le cas de perdre cet avantage? En vérité, le gouvernement portugais mérite-t-il que l'on cherche des prétextes pour l'écraser, surtout quand de son anéantissement il doit résulter un grand bien?

Afin de mieux convaincre Charles III de l'intérêt qu'il y avait pour lui à entreprendre cette campagne, le ministre ajoutait : Si le roi d'Espagne a du scrupule, qu'il songe que, s'il ne veut

1. D'Ossun à Choiseul, 9 novembre 1761.

2. Espagne 534, fol. 169.

3. La minute de cette lettre, au quai d'Orsay, est de la main du ministre.

pas garder le Portugal (que je lui conseillerais très fort de garder, car il lui appartient), il le restituera pour la Saxe et les états du roi son beau-père.

Ces dispositions belliqueuses ne pouvaient pas choquer la cour de Madrid, puisque à cette même date d'Ossun annonçait à Choiseul que le roi et son ministère s'occupaient sérieusement des préparatifs exigés par une expédition éventuelle contre le Portugal. On devait rapprocher de la frontière les troupes nécessaires, disposer l'artillerie de siège et de campagne et former des magasins d'approvisionnements. M. Wall, devenu partisan de l'action, estimait alors que l'on devait tout faire pour priver les Anglais d'auxiliaires aussi précieux. Il regardait le Portugal et la Hollande comme les deux bras de l'Angleterre, et il pensait qu'il fallait << ou les couper ou les armer contre leur corps ».

VI.

Choiseul, que les informations successives et bien différentes du marquis d'Ossun faisaient passer par des alternatives d'espoir ou de découragement, ne pouvait que se réjouir des tendances à la fermeté manifestées alors par la cour de Madrid. Il commençait à croire que le moment de la rupture entre l'Espagne et l'Angleterre approchait enfin, et cela convenait à ses plans, car il était décidé à ne pas entamer de nouveaux pourparlers pacifiques avec Londres. Le roi Louis XV ne se montrait d'ailleurs pas plus disposé que lui à accepter désormais des bases de paix. aussi désavantageuses que celles présentées par Bussy.

Il faudrait avoir à traiter avec un second Pitt pour oser négocier sur de pareilles propositions, disait Choiseul à d'Ossun. Je sais l'effroi qu'elles m'ont coûté. La guerre est le seul bon parti à prendre... De la fermeté et de la patience ne nous construiront pas des vaisseaux, mais nous feront triompher de nos ennemis'.

Les nouvelles que l'ambassadeur d'Espagne à Londres transmettait à son collègue de Versailles ne semblaient pas indiquer en Angleterre des dispositions aussi belliqueuses que celles manifestées par Choiseul et par M. Wall. D'après le comte de Fuen

1. Espagne 534, fol. 182.

tès, le ministère britannique désirait la paix; seulement il se rendait bien compte que la France ne se prêterait plus, à l'heure actuelle, aux conditions rejetées par Pitt. Un des principaux hommes d'État anglais, lord Egremont, lui déclara que, dans la Chambre haute comme dans la Chambre des communes, on ne partageait pas les vues intransigeantes exprimées par notre infatigable adversaire. Il ajouta, il est vrai, que « les entrepreneurs qui s'enrichissaient par les marchés qu'ils faisaient pour la guerre et les corsaires qui comptaient aussi s'enrichir par la prise des gabions et des vaisseaux espagnols préféraient leur intérêt personnel à celui de la patrie1 ».

M. de Fuentès ne pensait pas que Pitt revînt au pouvoir à cause de l'opposition que son énergie, parfois brutale, avait soulevée contre lui parmi ses collègues. Ceux-ci redoutaient également l'empire absolu qu'il exercerait s'il venait à rentrer au ministère. Mais l'ambassadeur écrivait à M. de Grimaldi : << Comme le motif de sa retraite, ainsi qu'il l'a publié lui-même, est qu'il voulait nous prévenir à cause de la certitude qu'il avait de notre union avec la France pour faire la guerre à l'Angleterre, si les assurances qu'il a données à ce sujet se réalisent, ses affaires deviendront meilleures. »

M. Wall partageait cette manière de voir. C'est pour cela que la cour d'Espagne (à en croire une pièce jointe dans les archives du quai d'Orsay à la lettre de M. de Fuentès) répondit à lord Bristol que « le Roi n'avait conclu aucun traité avec la France au préjudice et au détriment de l'Angleterre2 ». Si la réponse fut faite en ces termes, il faut bien convenir que, dans cette occasion, l'on usa sans réserve à Madrid du droit de mentir attribué parfois aux hommes d'État dans l'intérêt de leur patrie. L'ambassadeur britannique sentit néanmoins que sa situation devenait impossible en Espagne au milieu des préparatifs de guerre qui ne pouvaient lui échapper. Il demanda sa retraite sous prétexte que le climat et l'air du pays étaient contraires à sa santé.

Le ministère anglais ne voulut pas lui accorder une permission qui, dans l'état de choses actuel, aurait singulièrement ressemblé à une rupture. Ainsi que l'avait prédit Choiseul, au lieu de montrer trop de raideur à l'Espagne, le cabinet de Londres

1. Espagne 534, fol. 185. 2. Espagne 534, fol. 185.

prit vis-à-vis d'elle un ton beaucoup moins hautain et pressant; il s'efforçait encore d'éviter une guerre nouvelle. C'est que, si la France était épuisée par les efforts accomplis dans ces dernières années, l'Angleterre ne se trouvait pas dans une situation moins critique et moins ruineuse. Voilà pourquoi le gouvernement, assagi par le départ de Pitt, ne tenait pas à se créer des complications nouvelles.

Cela ne l'empêchait pas, d'ailleurs, de prendre les mesures exigées par les circonstances. C'est ainsi qu'il envoyait au général Amherst l'ordre d'ajouter 5,000 hommes aux bataillons que l'Angleterre destinait à une expédition contre la Martinique. De plus, l'amirauté donnait les ordres nécessaires pour la levée de 8,000 marins qui devaient compléter l'armement de l'escadre chargée d'une croisière sur les côtes de Biscaye. Elle en préparait une seconde pour la Méditerranée, ou pour telle autre destination qui serait indiquée, en cas de rupture avec l'Espagne.

Cette hypothèse apparaissait alors comme si probable que lord Bristol commençait, bien que son ministre n'eût pas accédé à sa demande de retraite, à faire emballer ses meubles et ses effets. Il n'ignorait pas, sans doute, que l'on travaillait à Madrid au rassemblement d'un corps de 30,000 hommes à la portée des frontières du Portugal, et cette mesure, projetée contre un ami si fidèle de la puissance britannique, ne pouvait qu'être un son de cloche des hostilités prochaines entre l'Espagne et l'Angleterre.

VII.

Et, en effet, si Charles III faisait ces préparatifs, c'est qu'il était bien décidé, du jour où il romprait avec le cabinet de Londres, à obliger la cour de Lisbonne à prendre un parti. Il dit à d'Ossun, le 23 novembre 1761, qu'il donnerait un terme très court au roi de Portugal pour se déterminer en lui déclarant que, faute de réponse dans le délai fixẻ, il le traiterait comme un ennemi. Il aurait désiré, d'autre part, que la France agît avec la Hollande comme il se proposait de le faire avec le Portugal. A ses yeux, si les Anglais, déjà épuisés par la guerre d'Allemagne, se trouvaient obligés de venir en aide à ces deux pays avec des troupes, de l'argent et des vaisseaux, ils ne seraient plus en état de diriger des expéditions contre l'Amérique, avantage énorme pour l'Espagne comme pour nous.

Choiseul partageait bien cette manière de v. puisqu'il écrivait à d'Ossun : « Quant à l'article de votre lettre qui regarde la déclaration à la Hollande pour l'obliger à prendre parti, j'avoue que ce projet m'a séduit depuis plusieurs années. Je l'ai proposé à différentes fois à S. M. sans succès1. » Le ministre pensait toutefois qu'à l'heure actuelle pareille combinaison était difficile, même impossible.

Une telle entreprise ne pouvait pas être improvisée, et les mesures prises à Versailles étaient tellement considérables qu'il ne fallait pas songer, sans une vraie imprudence, à modifier nos plans de campagne. C'est l'ensemble de nos préparatifs que contient une lettre, du 25 novembre 1761, adressée par Choiseul à d'Ossun. Tout entière écrite par lui, elle mérite d'être connue, car elle montre l'infatigable activité du ministre qui concentrait alors entre ses mains les triples pouvoirs de la Guerre, de la Marine et, partiellement, des Affaires étrangères.

Le Roi compte avoir 135,000 hommes en Allemagne. Ce nombre y est nécessaire pour conserver la Hesse, le comté de Hanau, la partie conquise de l'électorat de Hanovre et les pays du roi de Prusse sur le Bas-Rhin. Avec ce nombre, vu la nature du pays, nous ne parviendrons peut-être pas à faire des conquêtes, mais nous conserverons des pays dont la conservation est nécessaire, comme vous l'aurez jugé par le détail de notre négociation 2.

Nous avons envoyé ou nous enverrons dix bataillons en Amérique, dont trois sont embarqués sur l'escadre de Brest, deux sont partis à présent de Bordeaux pour aller directement à Saint-Domingue sur des bâtiments marchands. Il y a apparence qu'ils arriveront sans accident, mais, s'ils étaient pris, nous sommes déterminés à en risquer deux autres, et ainsi successivement jusqu'à ce qu'il en arrive le nombre suffisant dans cette colonie, avec l'artillerie et les munitions nécessaires. Nous embarquerons quatre bataillons sur l'escadre de Rochefort pour les expéditions que les deux cours jugeront utiles. Enfin, l'on embarquera encore un bataillon à Bordeaux avec des munitions de guerre pour la Louisiane. Voilà les dix bataillons, qui iront peut-être à quatorze si ceux de Bordeaux sont dans le cas d'être remplacés.

Nous aurons deux camps en Normandie pour la sûreté de nos

1. Espagne 534, fol. 213.

2. Celle de Bussy à Londres. Cf. Rev. hist., t. LXXI, année 1899, le Duc de Choiseul et l'Angleterre.

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