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sun disait : « La crainte pourra faire ce que l'amitié ne produira pas. »

Entre le secrétaire d'État espagnol et le représentant de Louis XV, les relations les meilleures et les plus cordiales existaient enfin. C'est ainsi que M. Wall n'hésita pas à confier à d'Ossun le précis d'une lettre qu'il avait récemment écrite à M. de Grimaldi << pour justifier ses principes et sa conduite passée ». Il lui témoigna d'ailleurs les sentiments les plus conformes aux désirs de Choiseul de voir les deux ministères s'accorder « une confiance, une amitié, une estime réciproques ». Charles III ne s'était donc pas trompé jadis en affirmant à l'ambassadeur que « la barque devait marcher dans le sens où l'on donnait le coup de gouvernail ». Sa fermeté et sa constance n'avaient pas moins fait que les événements pour convaincre et pour convertir notre adversaire d'autrefois.

La loyauté constamment témoignée par le ministre dirigeant de Louis XV n'était pas non plus étrangère à ce résultat. Elle avait, en tout cas, mérité la franche sympathie et l'estime du roi d'Espagne. D'Ossun trouva dans la lettre que Choiseul lui écrivait pour refuser la « grandesse » une exposition si noble et si vive de ses sentiments qu'il crut devoir la mettre sous les yeux de Charles III. Celui-ci, loin d'en être froissé, n'y vit qu'une preuve nouvelle de la délicatesse et de la fierté de son signataire. Il laissa donc entendre à l'ambassadeur qu'il ne différerait l'admission de Choiseul dans l'ordre de la Toison d'or qu'« autant qu'il serait indispensablement nécessaire d'éviter que la publicité de cette grâce puisse compromettre le secret du système convenu entre les deux couronnes 1

».

L'intimité entre les deux cours allait sans cesse en augmentant. Le 22 septembre 1761, Louis XV écrivait à Charles III pour lui demander d'être parrain de son petit-fils le comte d'Artois (le futur Charles X), et le roi d'Espagne lui répondait bien vite pour lui témoigner << le doux empressement avec lequel il acceptait cette proposition >>.

Afin de ne pas différer l'accomplissement de mes vœux, disait-il à son cousin, j'envoie aujourd'hui même ma procuration au duc de Berry, le priant d'exécuter à ma place cette cérémonie et de donner à mon filleul le nom de Charles. Mais comme je souhaite que rien ne

1. Espagne 533, fol. 450.

manque à ma satisfaction et aux marques de tendresse que je dois à mon neveu le comte d'Artois, je prie aussi V. M. de vouloir bien lui mettre, après la célébration de son baptême, la Toison d'or que mon ambassadeur remettra à V. M., et cela sans aucune cérémonie, en attendant qu'il parvienne à l'âge requis pour observer les solennités établies par l'ordre. Qu'il est doux pour moi de pouvoir donner à ce jeune prince ce doux gage de mon affection, d'acquérir un filleul aussi aimable par ses qualités et de procurer en même temps à mon ordre un aussi illustre membre qui en augmentera l'éclat autant par ses verlus que par son auguste rang'.

II.

Le même jour où le roi de France avait sollicité de son cousin une adhésion si promptement et si affectueusement donnée, Choiseul informait d'Ossun que la négociation pour la paix avec l'Angleterre était entièrement rompue et qu'il avait fait parvenir ses passeports à M. de Stanley, l'agent choisi par Pitt pour transmettre ses prétentions au cabinet de Versailles. M. de Bussy, de son côté, se préparait à quitter Londres, et la diplomatie allait de nouveau céder la parole au canon.

Il était donc temps de combiner ses mouvements avec l'Espagne et de mettre en jeu l'alliance pour autre chose que des réjouissances de famille. Aussi Choiseul écrivait-il, de sa main, sur la lettre où d'Ossun lui communiquait les idées de Charles III :

Les projets qui regardent l'Amérique méridionale, tels que la reprise de la Guadeloupe et la conquête de la Jamaïque, sont les plus profitables. Il faut y joindre celui du Portugal avec vigueur et la plus grande étendue, de sorte que je penserais qu'une entreprise sur Riode-Janeiro serait aussi bien nécessaire en même temps que celle qu'on exécuterait sur le continent portugais. Ces objets et ceux de conservation et d'approvisionnement des possessions des deux couronnes doivent être les seuls projets en cours à ce qu'il me semble. On verra dans la suite s'il reste assez de moyens et l'à-propos pour donner des alarmes à la cour de Londres sur l'Irlande2.

Suffisait-il même de faire des plans? Ce n'était pas l'avis de Choiseul, qui aurait voulu brusquer la situation maintenant qu'il

1. Espagne 534, fol. 14. 2. Espagne 533, fol. 361.

était sûr de ne plus pouvoir signer la paix de la France avec l'Angleterre. Sans doute, le roi catholique n'ayant pris que pour le 1er mai 1762 l'engagement de déclarer la guerre à l'Angleterre, nous ne pouvions pas (en vertu de la convention secrète du 15 août 1761) exiger qu'il entrât en campagne avant le terme stipulé. Mais, comme la flotte espagnole était revenue des Indes en parfait état et chargée de galions, il y avait, suivant le mot du ministre, tant de raisons de convenance, d'intérêt et de prévoyance à alléguer pour avancer le temps de cette déclaration qu'il n'était pas déraisonnable de croire qu'elle aurait lieu avant la date fixée tout d'abord.

Une chose paraissait d'ailleurs étrange à Choiseul (et il pensait que l'Europe serait de son avis), c'était qu'après l'incident du mémoire remis par M. de Bussy à la cour britannique sur la nécessité de la jonction des intérêts de l'Espagne à ceux de la France, on vit l'ambassadeur espagnol demeurer à Londres et le roi Charles ne pas témoigner, par son rappel, du ressentiment qu'il devait éprouver. << Ne pourra-t-on pas, disait-il, nous soupçonner d'avoir pris sur nous de faire penser et parler selon nos vues particulières la cour de Madrid, et l'opinion que l'Espagne est fort éloignée de vouloir rompre avec l'Angleterre ne sera-t-elle pas un moyen efficace pour le ministère anglais de s'assurer d'avance les fonds nécessaires pour la campagne de 1762? » Pour ces diverses raisons, Choiseul espérait que l'on arriverait à convaincre Charles III et son secrétaire d'Etat de l'utilité d'avancer l'heure de la déclaration de guerre. Il donna même l'ordre à d'Ossun, le 29 septembre 1761, d'insister sur l'importance qu'il y aurait à commencer les hostilités au mois de décembre au plus tard.

A vrai dire, l'ambassadeur trouva auprès de la cour de Madrid les dispositions les plus favorables. Le roi d'Espagne apprit sans peine et sans crainte la rupture de notre négociation avec l'Angleterre, et M. Wall dit à d'Ossun de son propre mouvement : << Vous savez que je n'aime pas la guerre, mais, puisqu'elle est devenue inévitable, je n'omettrai rien pour la rendre aussi nuisible aux Anglais qu'il sera possible ». Tous les autres ministres espagnols parurent à d'Ossun « remplis de confiance et de fermeté ». Mais, en dépit de ces bonnes intentions, le souverain lui exprima la crainte de ne pas pouvoir entamer les hostilités avant l'époque prévue par le traité.

Choiseul crut donc indispensable de revenir à la charge et le 13 octobre 1761 il écrivit à d'Ossun une seconde lettre où il développait une fois encore ses vues sur l'entrée en campagne de la monarchie espagnole. Plus il croyait apercevoir de lenteur à Madrid et plus il se montrait pressant pour que cette question fût promptement réglée. Aussi disait-il : « J'ai longtemps conféré avec M. l'ambassadeur d'Espagne sur la déclaration de guerre de S. M. C. contre l'Angleterre. Je crois avoir prouvé à cet ambassadeur qu'elle ne peut pas être trop prompte et qu'il était important qu'elle se fît vers le mois de novembre. »

Il ne fallait pas s'attendre, d'après Choiseul, à ce que le ministère britannique traitât avec hauteur M. de Fuentès à Londres. Il semblait certain, au contraire, « que la cour d'Angleterre aurait pour celle d'Espagne la douceur la plus marquée » et que << M. Pitt s'étudierait à endormir S. M. C. par des complaisances et même des espérances de terminer les différends à la satisfaction du roi d'Espagne », afin d'empêcher ou tout au moins de retarder le plus possible l'union des armes françaises et espagnoles.

Choiseul redoutait beaucoup, si Pitt parvenait à ce résultat, de lui voir acquérir dans les cabinets de l'Europe « une grande supériorité sur nous » en leur inspirant une crainte très vive par le seul fait que l'Espagne paraîtrait avoir peur de se déclarer contre l'Angleterre. Le ministre anglais ne pourrait-il pas non plus, si l'on venait à apprendre notre alliance avec l'Espagne, nous couvrir de confusion en la traitant d'inutile et même de chimérique puisqu'elle ne produisait aucun résultat?

Ce serait là pour notre adversaire un succès moral considérable devant les puissances étrangères et devant ses concitoyens, toujours prêts à l'admirer. En outre, le crédit financier se soutiendrait à Londres « en proportion de l'opinion qu'on aurait que l'Espagne ne se déclarerait pas contre l'Angleterre ». Si le ministère britannique, disait Choiseul, flattait et entretenait pendant quelques mois cette croyance, il se donnerait le temps de réunir des fonds pour une campagne nouvelle contre la France et il remporterait ainsi un grand avantage sur nous. L'un des objets intéressants de l'alliance n'était-il pas d'empêcher << l'opération de fonds qui serait consommée si l'Espagne ne prenait pas un parti dans le courant de novembre. « En vérité, concluait le ministre, je ne conçois pas quel avantage le retardement de la

déclaration de S. M. C. pourra procurer qui puisse compenser celui de l'embarras de la cour d'Angleterre sur ses fonds1. »

Un autre objet politique et essentiel » paraissait de nature à activer les décisions de Charles III. Choiseul avait perdu toute espérance de voir la cour de Vienne triompher dans sa lutte contre le roi de Prusse et il écrivait à d'Ossun : « Quoique les Autrichiens aient pris Schweidnitz par une espèce de miracle et que, dans ce moment, leur énivrement doive faire place à l'abattement qu'ils avaient montré précédemment, il faut s'attendre qu'il arrivera en Silésie, avant les quartiers d'hiver, des événements qui pourront faire renaître cet abattement. Il sera autorisé par l'esprit qui règne à Pétersbourg et qui, nécessairement, influe sur la cour de Vienne. »

Choiseul redoutait que les deux impératrices ne fissent alors des démarches pour la réunion du congrès projeté à Augsbourg. Il estimait que, si l'Angleterre y consentait, nous aurions de la peine à nous y opposer et que « les négociations pourraient se trouver en pleine activité » à la fin de cette année 1761. « Si l'Espagne ne s'est pas déclarée, disait-il très justement à d'Ossun, elle ne sera point admise au congrès. Si elle n'y est point admise, jugez du rôle que jouera la France seule, obligée de se soumettre aux conditions de ses ennemis et de ses alliés... Cette situation de la France sera aussi humiliante que désavantageuse. Au lieu que, si le roi d'Espagne avait un ambassadeur à Augsbourg, unis d'intérêts avec lui nous y jouerions le rôle, pour les affaires d'Espagne et de France, qui nous conviendrait en nous rendant les maîtres absolus de notre négociation avec l'Angleterre2. »

III.

Il faut bien convenir que les raisons exposées par Choiseul étaient des plus sérieuses et méritaient d'être examinées avec soin par Charles III. Le ministre français venait d'ailleurs d'assumer une tâche nouvelle qui devait l'encourager plus encore à solliciter le concours des forces maritimes de l'Espagne.

Le 13 octobre 1761, son cousin, le comte de Choiseul-Praslin,

Espagne 535, fol. 45.
Espagne 534, fol. 47.

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