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côtes et la protes on du cabotage; deux autres camps en Bretagne, l'un, vis-à-vis de Belle-Isle, qui fera les simulacres pour l'attaque de cette ile, qu'il faut bien se garder de tenter, parce que son occupation par les ennemis ne nous nuit en rien et leur coûte beaucoup, mais, pour produire cet effet, il est nécessaire que nous ayons toujours l'air offensif contre cette ile. Le second sera à Saint-Malo avec tout ce qui sera nécessaire pour une entreprise contre Jersey et Guernesey.

Les îles de Ré et d'Oléron seront garnies de troupes, de manière à ne pas nous laisser d'inquiétude. Il y aura dix bataillons dans l'une et huit bataillons dans l'autre. A Rochefort et dans l'Aunis, dix-huit bataillons, des dragons et de la cavalerie qui seront dispersés depuis la Rochelle jusqu'à Bayonne. Nous armerons onze vaisseaux à Toulon qui seront destinés selon les vues des deux couronnes. La Provence sera garnie des bataillons qui reviendront de Minorque. En Flandre, il y aura entre Calais et Dunkerque un camp de 30,000 hommes avec tout l'appareil en bateaux plats, chaloupes, canonnières, etc., pour un débarquement en Angleterre.

Voilà, M., en détail le plan du Roi pour l'année prochaine. Il est défensif dans de certains points et offensif en ce qu'il forcera nécessairement l'Angleterre d'employer une partie de ses forces sur nos côtes et de diminuer d'autant celles que cette puissance pourrait employer contre l'Espagne'.

Si l'on examine le détail des opérations projetées, on voit avec quel soin Choiseul réglait la conduite de nos affaires. L'ensemble en apparaît comme un courageux effort vraiment digne de notre pays. Le ministre savait trop bien, par l'expérience qu'il en avait faite ces dernières années, que nous ne pouvions compter avec certitude que sur nous-mêmes. Aussi, pour ne pas éprouver de déceptions, ne formait-il ses plans de guerre qu'avec les ressources de la France. Il se réservait toutefois la possibilité (si la cour de Madrid se décidait enfin à entrer en lutte) de combiner avec Charles III toute une série de mesures qui viendraient se joindre aux nôtres et renforcer nos moyens d'action. N'est-il pas regrettable de penser qu'à cette date du 25 novembre 1761, plus de trois mois pourtant après la signature du pacte de famille, c'était encore la conduite la plus sage et la seule attitude possible?

1. Espagne 534, fol. 213 et suiv.

REV. HISTOR. XCIV. 1er FASC.

2

VIII.

Il y avait, en effet, quelque chose d'étrange dans la situation de l'Espagne à cette époque. La cour de Madrid se trouvait liée à notre sort en vertu du pacte de famille et faisait tous les préparatifs que comportait le traité d'alliance. Elle conservait cependant ses bons rapports officiels avec l'Angleterre, puisque l'ambassadeur espagnol demeurait à Londres et ne paraissait nullement songer à en partir.

C'est pour cette raison que Choiseul ne tablait d'une façon ferme que sur nos armements particuliers. En ce qui concernait les forces militaires de notre allié, le ministre se bornait à émettre des voeux. Il les faisait connaître à d'Ossun en le chargeant de les communiquer au souverain et à ses secrétaires d'État qui pouvaient seuls les réaliser. Il les résumait en ces

termes :

Pour ce qui est de la cour de Madrid, je croirais qu'en supposant que ses possessions en Amérique soient en état, elle devrait former un plan défensif sur ses côtes, et je ferais entrer dans ce plan les projets de deux camps, l'un ordinaire devant Gibraltar, l'autre sur les côtes de Galice en menaçant par des préparatifs d'une descente en Irlande. L'Espagne aurait aussi deux projets offensifs à exécuter, l'un, selon nos conventions, contre le Portugal (il faudrait y employer au moins 30,000 hommes et que cette attaque vigoureuse n'éprouvât aucun ralentissement qui la fit échouer), l'autre sur la Jamaïque, en se concertant avec nous, en joignant à ses forces l'escadre de Rochefort et en venant la chercher à l'île d'Aix'.

L'entreprise contre la Hollande serait réservée pour plus tard si on la jugeait nécessaire.

Le projet relatif à la Jamaïque était depuis longtemps à l'étude en Espagne, mais il traînait avec une lenteur qui désespérait le marquis d'Ossun. Celui-ci voyait dans le succès de cette expédition un coup terrible porté à la puissance anglaise en Amérique et une source de revenus considérables pour les alliés. D'après l'ambassadeur, en dehors des richesses de produits que l'on y trouverait, l'on pourrait en tirer plus de 60,000 nègres qui,

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répartis entre les possessions françaises et espagnoles, y produiraient des avantages considérables, car, disait-il, « les nègres sont les bras des colonies, et peut-être l'habileté des Anglais et le peu d'entendement des Français dans la traite de ces esclaves ont-ils été en partie cause de la supériorité que les colonies anglaises ont prise sur les nôtres. En effet, tandis qu'un nègre ne leur revient qu'à 800 francs, nous le payons 1,500 et jusqu'à 2,000 livres, et, comme ce sont les Anglais qui nous les fournissent, il est à présumer qu'ils gardent les meilleurs pour leurs colonies1».

Ces considérations, qui n'entreraient plus en ligne de compte de nos jours, avaient bien leur importance à l'époque où d'Ossun les exposait. Elles ne faisaient néanmoins pas avancer les préparatifs de l'Espagne, puisque l'ambassadeur en était réduit à écrire, le 7 décembre 1761 :

Il est certain que S. M. catholique désire que le projet contre la Jamaïque puisse avoir lieu. Reste à savoir si MM. Wall et d'Ariaga ne le regardent pas comme trop hasardeux et si ce n'est pas cette prévention qui les rend si lents dans la combinaison des mesures et si difficile dans le choix des moyens. On peut, au moins en général, dire qu'on met plus d'activité aux choses lorsqu'on veut qu'elles réussissent 2.

Il y avait, en effet, près de trois mois que d'Ossun en avait parlé pour la première fois au secrétaire d'État, et aucune décision ferme ne semblait encore prise par les ministres espagnols.

IX.

On en était là quand se produisit le coup de théâtre longtemps attendu par Choiseul et qu'il finissait par ne plus espérer : je veux dire la rupture entre l'Espagne et l'Angleterre.

Le 8 décembre 1761, l'ambassadeur britannique à Madrid se présenta chez M. Wall, obligé de garder ses appartements par suite d'une légère indisposition, et demanda à être reçu par lui. Ce qui se passa dans cette entrevue, nous le savons par une

1. D'Ossun à Choiseul, 29 novembre 1761.

2. Espagne 534, fol. 259.

lettre au comte de Fuentes, que le secrétaire d'État espagnol lui adressa le jour même à Londres1 :

Mylord Bristol, dit-il, m'a fait ce matin la déclaration suivante ou l'équivalent : que le roi son maître lui ordonne de demander une réponse catégorique au Roi pour savoir s'il est ou non dans le dessein de s'unir à la France contre l'Angleterre et, en cas qu'on ne lui donne pas une réponse bien claire, de déclarer que cela équivaut à une agression de notre part et de se retirer de cette cour. Il est presque impossible que le Roi puisse satisfaire à cette demande, s'il ne veut pas manquer à sa dignité, autrement que par la négative. Cependant, comme je suis indisposé et que je ne puis aller au palais, il n'a pas encore pris de résolution. J'expédierai un autre courrier à V. E. pour lui porter ses derniers ordres.

Que V. E. commence à se préparer à sortir de cette cour, qu'Elle avertisse de bonne heure le sieur del Giro, notre trésorier, pour qu'il prenne les mesures convenables relativement aux finances du Roi et qu'Elle fasse avertir sous main les vaisseaux espagnols qui sont sur la Tamise ou dans d'autres ports pour qu'ils s'échappent, s'il est possible, de peur d'être pris.

Ce dernier trait prouve à quel point M. Wall jugeait grave la situation, surtout étant donné le caractère anglais et la manière plus que brusque dont le gouvernement de ce pays aime à entamer les hostilités. Le secrétaire d'État espagnol faisait preuve d'ailleurs, en cette circonstance, d'une finesse (pour ne pas employer un mot plus sévère) bien digne de l'adversaire avec lequel l'Espagne allait se mesurer. Ne se réjouissait-il pas, en effet, d'avoir pu «< assurer sans risque qu'il n'existait pas d'autre traité que le pacte de famille signé le 15 août », parce qu'on avait convenu avec la cour de Versailles de postdater la convention secrète de façon à ce qu'elle parût avoir été signée seulement comme riposte à la rupture des négociations entre la France et l'Angleterre ?

M. Wall ne se contentait pas d'avertir le comte de Fuentès à Londres et M. de Grimaldi à Versailles des événements qui se préparaient. Il prenait les mesures nécessaires pour qu'aussitôt la rupture consommée les autorités maritimes s'assurassent des bâtiments anglais qui se trouvaient dans les ports espagnols, non

1. La traduction de cette lettre est au quai d'Orsay. Espagne 534, fol. 264.

pas pour les déclarer de bonne prise, mais afin d'avoir sous la main des objets d'échange avec l'Angleterre. « Il a paru à S. M., disait-il, que c'était une précaution juste, cette nation étant accoutumée à n'observer aucune loi quand elle veut faire quelque insulte1. » Le gouvernement de Madrid faisait en outre informer Choiseul qu'afin d'empêcher que la nouvelle de la rupture ne se répandît en mer et ne parvînt aux navires anglais, l'embargo serait mis, pour quelques jours seulement, sur les bâtiments des autres nations.

Le secrétaire d'État expédia également en Amérique des << ordres circulaires ». Il y disait aux commandants espagnols, non seulement de se défendre contre les Anglais, mais encore de les attaquer quand l'occasion s'en présenterait. Ils devaient, en outre, << prêter secours aux Français sur terre et sur mer toutes les fois qu'ils en auraient besoin, attendu que les deux nations sont unies pour la guerre comme si les possessions françaises et espagnoles appartenaient au même maître2 ». M. Wall espérait que le cabinet de Versailles donnerait de son côté les mêmes instructions à nos marins et à nos soldats.

C'était pour se ménager le temps de prendre ces diverses mesures que M. Wall avait pris prétexte de son indisposition pour ne pas répondre le jour même à lord Bristol. Le secrétaire d'État ne souffrait, paraît-il, que d'un léger mal au pied causé par un ongle coupé trop ras, et ce n'est pas un aussi mince bobo qui l'aurait empêché de recevoir les ordres du roi Charles III. Deux jours lui suffirent pour tout achever, et, le 10 décembre 1761, il envoyait du Buen-Retiro à l'ambassadeur anglais la lettre suivante dont le ton énergique contrastait singulièrement avec la patience témoignée jusque-là par l'Espagne :

V. E. me déclara avant-hier, disait-il, et même elle voulut bien me mettre par écrit qu'Elle avait ordre de me demander une réponse positive et catégorique par laquelle elle pût savoir si l'Espagne songeait à s'unir à la France contre l'Angleterre, déclarant en même temps qu'elle prendrait le refus pour une agression et déclaration de guerre et qu'en conséquence elle serait obligée de se retirer. C'est bien plutôt par l'esprit d'arrogance et de discorde qui a conseillé une

1. Espagne 534, fol. 263.

2. Wall à Grimaldi, 8 décembre 1761.

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