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démarche si inconsidérée et qui, par malheur pour le genre humain, n'a point cessé d'animer le gouvernement britannique que s'est faite dans ce moment-là même une déclaration de guerre et une insulte à la grandeur du Roi. V. E. peut songer à se retirer dans le temps et de la manière qui lui conviendra. C'est l'unique réponse que V. E. aura de moi et que S. M. m'a ordonné, sans hésiter, de lui faire'.

On comprend sans peine la surprise que put éprouver lord Bristol, peu accoutumé de la part du secrétaire d'État à un langage d'une concision aussi forte et à une attitude aussi hautaine visà-vis du représentant de la nation britannique. Il est vrai que M. Wall ajoutait pour l'homme une note plus courtoise en disant Que V. E. emporte avec elle tout le bonheur que méritent ses qualités personnelles. » Malgré cela, le ton général de cette lettre de rupture effaroucha véritablement l'ambassadeur anglais. Il ne pouvait faire autrement que de demander ses passeports, et il les demanda. Mais il avait été tellement ébranlé de la secousse reçue qu'il fut subitement incommodé et obligé de rester quelques jours de plus à Madrid. C'est ce qui faisait dire à d'Ossun « Mylord Bristol a montré en cette occasion une sensibilité qu'on peut qualifier de faiblesse. J'avoue qu'à sa place j'aurais haussé la tête d'un pied et je serais parti dans les vingtquatre heures?. »

Lord Bristol ne fut pas le seul à se montrer surpris de l'énergie soudaine de M. Wall. Plusieurs membres du corps diplomatique témoignèrent un étonnement qui ne le cédait en rien à celui de l'agent anglais. Bon nombre d'Espagnols, imbus de longue main du système de neutralité et d'indifférence, n'imaginaient pas non plus que cet événement fût possible. « C'est un amusement pour moi, écrivait d'Ossun, d'entendre les raisonnements pour et contre et de voir des visages gais et d'autres mines fort allongées. »

Il fallait vraiment bien mal connaître le roi d'Espagne pour se ranger parmi les mines allongées ». ». Depuis longtemps, en effet, l'on sentait combien lui pesaient les hauteurs du cabinet britannique. Aussi lui avait-il fallu une patience extraordinaire, doublée d'un espoir persévérant d'entente pour les supporter jusqu'alors. Voilà pourquoi d'Ossun n'avait jamais vu l'air << plus satisfait et plus serein » à Charles III que depuis sa rupture avec

1. Espagne 535, fol. 275. 2. Espagne 534, fol. 302.

l'Angleterre. Ce prince n'hésita pas à souligner sa joie par un acte qui était un soufflet de plus au gouvernement britannique. Non seulement il donna l'ordre au comte de Fuentès de déclarer que la démarche insultante de lord Bristol nécessitait son départ d'Espagne et d'en prévenir lord Egremont, ainsi que les ministres étrangers, mais encore il lui envoya la Toison d'or pour lui témoigner toute la satisfaction qu'il éprouvait de ses services et de sa conduite. C'était une revanche complète de ce que le souverain espagnol avait enduré de la part des Anglais.

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X.

« Enfin la rupture de l'Espagne avec l'Angleterre est décidée. » C'est en ces termes que Choiseul résumait ses impressions après avoir été mis par M. de Grimaldi au courant de tout ce qui s'était passé :

Je ne m'attendais pas à cette démarche maladroite de la cour de Londres, quoique je voye depuis plusieurs années que les systèmes politiques, fruits de la prévention, de la hauteur et de la déraison, ne sont point aussi heureux que les expéditions militaires des Anglais. La cour de Londres nous ramène au vrai système, dont nous ne devons jamais nous écarter; elle nous fait plus de bien qu'elle ne nous a jamais fait de mal'.

Le grand avantage de cette rupture était de mettre un terme à la situation fausse qui, depuis la conclusion du pacte de famille, pesait sur la politique franco-espagnole et empêchait l'alliance entre les deux pays de produire des fruits. Charles III, ne craignant plus désormais de faire connaître à l'Europe son union avec Louis XV, se hâta d'en profiter pour envoyer à Choiseul la Toison d'or, qu'il lui réservait à l'occasion du traité du 15 août. Les remerciements du ministre montrèrent une fois encore ses sentiments de délicatesse et de fierté nationale. Sa conduite allait désormais se ressentir de la liberté d'action que lui créait la déclaration de guerre.

Choiseul fut d'autant plus heureux des termes dans lesquels M. Wall avait répondu à lord Bristol qu'ils constituaient une

1. Choiseul à d'Ossun, 25 décembre 1761.

nouvelle justification de notre attitude à Londres au moment des pourparlers de paix. Quant au roi Louis XV, « il sentit cette attention de Madrid avec reconnaissance ». Il ne s'agissait donc plus maintenant que d'établir avec l'Espagne le concert de nos mesures défensives ou offensives. A ce titre, la célérité de l'opération contre le Portugal paraissait indispensable au ministre français. Elle donnerait, d'après lui, « une secousse à toute l'Europe qui déconcerterait les plans que les Anglais pouvaient avoir formés pour l'année 1762 ». « Je crois, écrivait-il à d'Ossun, que l'avantage augmenterait en proportion de la promptitude. Quelque faible que soit un ennemi, il ne faut pas lui donner le temps de se reconnaître. »

Par le nombre des troupes que le roi d'Espagne parlait de laisser en Catalogne, Choiseul présumait que ce prince avait quelque appréhension en ce qui concernait la tranquillité de l'Italie. Le ministre s'efforça de dissiper ses craintes en lui faisant démontrer par d'Ossun que le roi de Sardaigne n'avait ni la volonté ni le pouvoir d'entamer des hostilités contre le royaume de Naples « Je crois connaître sans prévention la cour de Turin. Le roi de Sardaigne ne veut point la guerre parce qu'il ne peut plus y aller et qu'il serait au désespoir que son fils y allât. » A cette raison bien humaine, Choiseul en ajoutait une autre toute politique et des plus sérieuses: « Il ne peut pas faire la guerre parce qu'il est démontré que, sans secours étrangers, il courrait les plus grands risques. » Or, l'Angleterre, qui, seule, aurait pu lui venir en aide, avait bien assez à faire à secourir le roi de Prusse, ses alliés d'Allemagne et le Portugal si l'on entreprenait contre ce dernier l'expédition projetée. Malgré le désir constant qu'avait le cabinet de Londres de pêcher en eaux troubles, il paraissait peu probable qu'il cherchât à provoquer en Italie une guerre dont il aurait eu, à peu près seul, à supporter le poids. Il y avait en outre, pour le roi de Sardaigne, un motif intéressé de ne pas casser les vitres. C'eût été, de sa part, vraie maladresse que de perdre sans retour, par une démarche imprudente, le profit de la parole donnée par Louis XV de lui reconnaître des droits sur une portion du Plaisantin.

une

L'ensemble de ces raisons persuadait Choiseul (et les événements prouvèrent la justesse de ses vues) qu'il n'y avait rien à craindre pour les Bourbons du côté de Turin. Au surplus, comme il n'est jamais mauvais de prendre des précautions et qu'il est

bon d'être fort pour être respecté, le ministre n'entendait pas rester désarmé. Il proposait donc à Charles III d'envoyer contre le Portugal les troupes que ce prince pensait laisser en Catalogne.

Nous mettrons en Provence, lui disait-il, les dix bataillons de Minorque qui, joints aux troupes qui sont dans cette province et en Dauphiné, feront un corps de 15,000 hommes, qui serait à portée d'être rendu à Nice ou en Savoie et qui procurerait une diversion efficace et beaucoup plus prompte que ce qui arriverait de Catalogne.

Mais, suivant la forte expression du ministre, c'eût été servir nos ennemis que d'immobiliser en trop grand nombre des forces que l'on pourrait employer utilement ailleurs.

Ainsi, concluait-il dans sa lettre à d'Ossun, efforcez-vous de faire oublier à Madrid l'Italie pour opérer vigoureusement et promptement en Portugal et pour former au printemps un camp en Galice qui inquiète sur l'Irlande. Le camp pour cet objet ne suffit pas; il faut réunir des bâtiments de transport. Ce jeu est facile au ministre de la Marine'.

On voit par ces derniers mots combien Choiseul mettait à profit, pour le bien de la France, l'unité de vues que lui permettait l'union entre ses mains des deux secrétaireries d'État militaires. Le chef du département de la Guerre apparaissait dans l'offre faite de tenir prêtes, dans le Roussillon, des troupes destinées à remplacer les bataillons espagnols chargés d'opérer en Portugal et en Galice. Il se manifestait surtout dans un projet contre Gibraltar dont il parlait à l'ambassadeur.

On m'a fait la proposition d'envoyer M. de Vallière, lieutenant général de notre artillerie, examiner Gibraltar. Vous connaissez la réputation de cet officier. Il n'est question que d'un voyage et d'un examen de sa part pour savoir si cette place est décidément imprenable soit de vive force, soit par le moyen des mines. S'il la juge imprenable, il ne faudra plus y songer. Si au contraire, après l'avoir examinée, M. de Vallière estimait qu'il y a de la possibilité dans la réussite de l'entreprise, nous contribuerions en troupes à cet arrangement".

1. Espagne 534, fol. 326.

2. Ibid. Le roi d'Espagne avait eu de son côté l'idée d'une entreprise contre Gibraltar.

C'est surtout du côté de la mer que Choiseul jugeait indispensable de porter nos efforts communs. Il était à craindre que les Anglais ne vinssent insulter et peut-être envahir les États du roi des Deux-Siciles, renouvelant ainsi contre son fils les mesures violentes qui avaient semé dans l'âme de Charles III le germe de sa haine envers eux. Pour parer à cet inconvénient, ce n'étaient plus des troupes qui étaient nécessaires. Il fallait, suivant le mot du ministre français, « opposer des escadres à d'autres escadres ». Voilà pourquoi il songeait à employer les vaisseaux que l'on armait à Toulon et qu'il avait primitivement destinés au Canada avec des troupes de débarquement contre Halifax et l'Acadie. Si le roi d'Espagne estimait utile de les conserver dans la Méditerranée, on pourrait les tenir prêts à partir pour Messine. Il importait seulement d'être fixé le plus rapidement possible sur ce point, car les dispositions à prendre étaient différentes suivant que cette flotte aurait à opérer en Acadie ou devant Messine.

En ce qui concernait l'escadre de Rochefort, Choiseul comptait faire l'impossible pour qu'elle opérât sa sortie. « Rien n'est plus difficile, écrivait-il à d'Ossun, mais j'y mettrai tous les soins possibles, tout ce que j'ai de patience et même des risques. » Puis, après avoir parlé de l'emploi qu'on pourrait en faire soit contre la Jamaïque, soit pour secourir la Martinique ou pour défendre Saint-Domingue, le ministre ajoutait :

L'automne prochain, j'aurai infiniment plus de moyens de marine que je n'en ai et je vous assure que je suis bien déterminé à les employer.

Il terminait enfin par ces lignes qui peignent tout entière la fière énergie inspiratrice de sa conduite :

Je vous supplie de prévenir en Espagne que l'on ne s'épouvante pas si nous avons des échecs; premièrement, j'y suis accoutumé, ils ne me découragent pas; secondement, à force d'en avoir, nous en ferons éprouver à nos ennemis. La constance et le courage ont un mérite qui leur donnent tôt ou tard l'avantage'.

Tant de fermeté et de persévérance méritaient un meilleur sort. L'on se prend à plaindre sincèrement Choiseul quand on pense au

1. De sa main. Choiseul à d'Ossun. Espagne 534, fol. 327.

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