Slike stranica
PDF
ePub

lâches et méprisables! Sur ces dénonciations, l'officier public se mettait en mouvement, souvent même il ne les attendait pas. Le procureur général faisait des tournées en Lorraine et, par le procédé de l'enquête, qu'il est devenu odieux le mot inquisitio! il recherchait les coupables.

Sur toute dénonciation, sur tout soupçon du ministère public, une information est ouverte1. On entend toutes les personnes qui peuvent fournir des renseignements sur les inculpés et on consigne avec soin tous leurs dires. Tous les actes de la malheureuse femme soupçonnée, — car la proportion des femmes sorcières par rapport aux hommes était de 9/10,- sont scrutés avec soin et tout va devenir indice qu'elle est réellement sorcière. On l'a appelée dans une querelle sorcière, et elle n'a rien répliqué; elle n'a pas traîné son calomniateur devant les tribunaux; indice sûr. Au contraire, elle s'est hâtée de poursuivre celui qui l'avait injuriée; elle a voulu détourner les soupçons; indice sûr. On ne voit jamais une femme à l'église; c'est, dit Nicolas Remy, qu'elle s'est donnée au Diable. Elle court sans cesse à la messe, autre indice; car une force irrésistible pousse les sorcières vers l'église; constatation curieuse qui montre chez ces femmes une sorte de folie religieuse. L'information est ainsi presque toujours défavorable. La malheureuse est arrêtée et jetée en prison; à Nancy, on la mène dans les tours de la porte de la Craffe.

Nous connaissons déjà les tribunaux qui vont la juger. Elle n'est point renvoyée devant des inquisiteurs ou devant le tribunal ecclésiastique, l'officialité. Elle comparaît, comme les autres criminels, devant la justice ordinaire, échevins, prévôts, justice municipale. Les juges font venir l'inculpée devant eux et procèdent à son interrogatoire; c'est l'audition de bouche. L'un des échevins, nous supposons que le procès se déroule à Nancy, — lui demande son nom, son âge, si elle sait de quoi elle est accusée. A cette dernière question, en général, l'inculpée ne

1. Souvent le procureur général de Lorraine ou le procureur des Vosges ou d'Allemagne requièrent les officiers judiciaires inférieurs, substituts ou prévôts d'informer secrètement des cas de sortilège et vénéfice. Une réquisition de ce genre a été publiée par L. Quintard, Procès de deux sorciers en 1605, dans les Bulletins mensuels de la Société d'archéologie lorraine, 1906, p. 16. Il s'agit de Catherine, veuve de Claude Bailliot, et de Claude, son fils, demeurant à Mataincourt (Vosges). On reprochait à Catherine de tenir et nourrir des crapauds dans sa maison. Les deux accusés, qui n'avouèrent pas, furent condamnés au bannissement.

répond rien. Finalement, le juge lui dit son crime et expose les charges qui ont été recueillies dans l'information; il lui demande de se défendre. D'ordinaire, l'accusée se récrie; elle se déclare innocente des méfaits qu'on lui impute. Le juge essaie toujours de l'effrayer par la violence de ses gestes, la véhémence de son langage. Il a recours à toutes sortes de ruses pour obtenir l'aveu attendu, l'aveu qui sera considéré par lui comme une véritable victoire. S'il y a deux inculpés, il ne manque d'affirmer au second que le premier a tout avoué, alors qu'il n'en est rien; il se complaît dans les équivoques, les sousentendus. Jamais, dans ces interrogatoires, l'accusée n'est assistée d'un avocat; l'avocat est même toujours absent de ces tristes procès une sorcière ne doit point être défendue. Du reste, l'avocat ne courrait-il pas de trop grands risques? La sorcière ne pourrait-elle pas lui jeter un sort? Mais qu'on admire la logique des croyances! Il est admis que ces méchantes femmes ne peuvent rien ni sur les juges ni sur les bourreaux, qui, par une sorte de grâce d'état, sont à l'abri de leurs coups. Nicolas Remy nous raconte que le terrible onguent que maître Persin donnait aux sorcières perdait toute vertu dès qu'il était saisi par les juges. Lui-même, qui a été sans cesse en contact avec les sorcières, est resté toujours sain de corps et d'esprit, chrétien parfait. La femme Lasnier, de Nancy, interrogée par lui, lui lança cette apostrophe : « Comme vous avez de la chance que nous ne puissions rien sur vous, ô juges! Il n'y a point d'hommes que nous désirerions plus tourmenter que vous, qui poursuivez toute notre race par de tels supplices'. » Nicolas Remy pouvait procéder sans risque ni péril.

On trouvait des accusés, surtout parmi les femmes, qui avouaient dès le début. Il se présente ici un cas d'auto-suggestion fort curieux. La femme croit réellement qu'elle a conclu un pacte avec le Diable; elle le crie à son juge; et, en général, avec cet aveu, elle tient des propos incohérents et orduriers; elle se complaît dans la crapule. Ces femmes ont été désignées comme sorcières parce qu'elles sont des hystériques; elles réalisent en quelque sorte les scènes qu'elles ont entendu raconter autour d'elles; oui, elles se sont données au Diable, elles ont assisté au sabbat qu'elles décrivent avec un luxe incroyable de détails.

1. Démonolatrie, p. 38.

REV. HISTOR. XCIV. 1er FASC,

3

L'hystérie est héréditaire; et voilà pourquoi souvent les filles ont été brûlées après les mères, parce qu'elles présentaient les mêmes symptômes morbides. La maladie chez des personnes faibles d'esprit est contagieuse; voilà pourquoi beaucoup de villages sont décimés1. Si la femme ne se suggère pas à elle-même toutes ces visions, le juge qui l'interroge les fait naître en son esprit. Ses questions sont si nettes, si précises qu'elle arrive à douter d'elle-même. Elle avoue. L'aveu est une condamnation à mort; le procès finit après l'information et l'interrogatoire.

Mais, après tout, ces aveux étaient rares; le plus souvent, l'accusée nie. Elle déclare qu'elle n'a point eu commerce avec Satan, qu'elle n'est point sorcière. Dès lors, on procède aux recolements et aux confrontations. Le juge convoque à jour et heure déterminés tous les témoins entendus dans l'information; il les interroge d'abord en l'absence de l'accusée; il leur demande s'ils persistent en leur première déposition; il les invite à y ajouter ou à en retrancher à leur gré; c'est le recolement. Puis, pour la première fois, l'accusée est mise en présence de ses accusateurs; et ici la Lorraine était en avance sur d'autres pays, où jamais la victime ne connaissait les témoins, où l'on continuait d'employer l'ancien système de l'Inquisition. Témoins et accusée sont interrogés contradictoirement sur les faits de la cause : c'est la confrontation. Celle-ci terminée, le procureur ou le substitut présent prend ses conclusions. Si elles tendent à l'absolution de l'inculpée, elles sont définitives; mais, avec des procureurs imbus de l'esprit de Nicolas Remy, de telles conclusions devaient être rares, l'on en trouve pourtant des exemples. - Mais, en général, les conclusions sont interlocutoires. Le procureur peut requérir que l'accusée nomme des témoins à décharge; mais la malheureuse n'en trouvait presque jamais. Il peut requérir aussi que l'accusée soit soumise à la question; c'était le cas ordinaire. Quand le procès avait lieu loin de Nancy, l'on demandait sur ces conclusions l'avis des échevins de Nancy; mais presque toujours dans les procès de sorcellerie les échevins opinent pour la torture. A Nancy même, point n'était besoin de consulter personne,

1. Dans le petit village d'Azelot, au canton de Saint-Nicolas-de-Port, qui compte aujourd'hui 200 habitants, et qui en comptait à peine 100 autrefois, il y eut à la fin du xvre et au début du xvir° siècle jusqu'à trente procès de sorcellerie. Cf. Lepage, les Communes de la Meurthe, art. Azelot.

et la sentence interlocutoire ordonnant la question était immédiatement rendue.

Avant de procéder à la question, l'on soumettait l'inculpé à un chirurgien ou à un médecin. L'inculpé, homme ou femme, était rasé des pieds à la tête « partout où poil se trouve », disent les procès-verbaux, par la personne vile, c'est-à-dire par l'homme qui tond les chiens et récure les égouts; puis le chirurgien cherchait s'il retrouvait sur son corps la marque du Diable. De même que Dieu mettait son sceau sur certains élus en reproduisant sur leurs mains, sur leur flanc et leurs pieds les blessures du Christ, de même, dans les croyances de l'époque, le Diable marquait d'un signe ineffaçable la créature qui s'était donnée à lui. Nicolas Remy consacre tout un chapitre de sa Démonolatrie à cette marque diabolique. C'était au médecin à trouver ce signe, qu'on reconnaissait de la façon suivante : si à l'endroit du corps marqué par Satan l'on enfonce une longue épingle, l'inculpé ne sentira aucune douleur et pas une goutte de sang ne coulera de la blessure. Cette partie du corps est devenue tout à fait insensible :

Sanguis hebet, frigentque effetae in corpore vires

(la citation est de Nicolas Remy). Ainsi, en octobre 1590, on arrête à Briey la femme Claude Bogart. Après lui avoir rasé la tête, on découvre au sommet une cicatrice que les cheveux cachaient; Claude affirme que cette cicatrice a été causée par une pierre qui lui a été lancée. Mais le chirurgien enfonce son épingle et déclare qu'en cet endroit le Diable a mis sa griffe sur sa créature. On découvre de même une verrue sur la jambe droite de la femme Muguet, arrêtée à Essey-lès-Nancy en juin 1591. Elle ne sent aucune douleur lorsqu'on y enfonce l'épingle; mais, dès qu'elle est piquée à côté, elle pousse des hurlements effroyables. Signe diabolique, conclut Nicolas Remy, et il écrit : « Ceux-là errent cent et cent fois, ceux-là sont des fous qui prétendent expliquer de tels phénomènes par des causes naturelles. » N'en déplaise à Nicolas Remy, n'en déplaise à l'excellent abbé Lionnois, qui composait au XVIIIe siècle une histoire de Nancy et qui faisait preuve d'un bien grand scepticisme en disant : « Les épingles de ces chirurgiens n'étaient-elles pas semblables à celles de nos joueurs de gobelets qui, en se perçant le front, ne se font

de mal que dans l'esprit des sots? », - de tels phénomènes existent et la médecine actuelle les explique par des causes naturelles; cette insensibilité partielle est l'un des signes de l'hystérie; elle peut même être provoquée par simple suggestion du médecin.

Dans tous ces procès de sorcellerie, le médecin ou le chirurgien doit partager la responsabilité du juge. Il procédait à l'examen du corps, trouvait la marque et donnait son certificat, qui était une condamnation à mort. Dans ce certificat, il ne constatait pas seulement, il interprétait. Il affirmait que cette insensibilité était causée par l'empreinte du Démon. Dans un livre de chirurgie, paru en 1585, on lit : « Nul ne peut nier, il n'en faut douter, qu'il y ait des sorciers; car cela se prouve par authorité de plusieurs docteurs et expositeurs, tant vieux que modernes, lesquels tiennent pour chose résoluë qu'il y a des sorciers et enchanteurs qui, par moyens subtils, diaboliques et inconnus, corrompent le corps, l'entendement, la vie et la santé des hommes et autres créatures, comme animaux, herbes, l'air, la terre et les eaux. D'avantage l'expérience et la raison nous contraignent le confesser, parce que les lois ont établi des peines contre telles manières de gens1. » Singulier raisonnement : il y a des sorciers, puisqu'il y a des lois contre les sorciers. L'auteur de ce livre est Ambroise Paré, et peut-être le grand chirurgien, qui passait en son temps pour un novateur hardi, a-t-il causé sorcellerie avec Nicolas Remy, lorsqu'en 1575 il arriva en Lorraine pour guérir la duchesse Claude de France, femme de Charles III.

Le médecin a donné son certificat; mais il faut obtenir de l'inculpé lui-même l'aveu qu'il a eu commerce avec le Diable; et cet aveu lui sera arraché par la torture. Nous connaissons par un livre de praticien écrit par Claude Bourgeois, maître-échevin de Nancy après Nicolas Remy, quels modes de torture étaient usités en Lorraine2. Il y avait quatre épreuves qui étaient graduées.

C'étaient d'abord les grésillons. L'instrument était formé de trois lames de fer qu'on rapprochait à l'aide d'une vis. On met

1. Ambroise Paré, Œuvres complètes, éd. Malgaigne, t. III, p. 53. Ce passage, tiré du Livre sur les monstres et les prodiges, ne se trouve que dans l'édition de 1585.

2. Pratique civile et criminelle pour les justices inférieures du duché de Lorraine, conformément à celle des sièges ordinaires de Nancy, Nancy, J. Garnich, 1614, Iv-53 feuillets in-4°.

« PrethodnaNastavi »