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tait entre ces lames le bout des doigts de la main ou du pied jusqu'à l'ongle et on serrait. La souffrance était atroce; la victime sortait de l'épreuve les doigts entièrement écrasés. Venait ensuite l'échelle. C'était une échelle ordinaire dont une extrémité touchait terre, tandis que l'autre reposait sur un tréteau à trois pieds du sol. L'accusé était étendu nu ou en chemise sur l'échelle, les pieds attachés au barreau inférieur, les mains liées, à l'autre extrémité, à une corde qui s'enroulait autour d'un tourniquet; on mettait en mouvement le tourniquet, et les bras, le corps entier s'allongeait. « L'accusé, dit Claude Bourgeois, souffre ainsi de grandes douleurs, tant à cause de l'extension violente de tout le corps qui s'allonge contre nature que pour les diverses parties affligées en cette extension, comme veines, artères, muscles, mais principalement les nerfs et tendons, qui sont toutes parties douées d'un sentiment fort exquis et conséquemment susceptibles de grandes douleurs. » Pour augmenter les souffrances de l'accusé, on lui faisait passer sous le dos un morceau de bois pendant qu'on l'étirait. On lui jetait aussi souvent de l'eau froide à la figure; on lui introduisait par un entonnoir une certaine quantité d'eau dans la bouche, ou encore l'on imprimait à cette échelle mobile des secousses savamment calculées.

Tandis que la victime reste couchée sur l'échelle, on lui infligera la troisième épreuve, les tortillons. Les bras et les jambes nus sont attachés par de grosses cordes aux montants, et la corde est serrée autant qu'il est possible. Puis entre les membres et la corde on passe des bâtons ronds qu'on emploie comme un tourniquet. La corde est serrée davantage encore; elle pénètre dans les chairs, qui sont de plus en plus comprimées en certains endroits et ressortent plus loin en bourrelets meurtris.

Enfin, si l'accusé n'a pas avoué, on a recours à l'estrapade. Au plafond de la chambre de torture est attachée une poulie, dans laquelle on passe une corde, semblable aux poulies dont se servent les maçons pour monter leurs pierres. L'accusé, en chemise, les mains liées derrière le dos, est attaché par la ceinture à ce crochet et tiré violemment en l'air. On lui fait exécuter ainsi un certain nombre de tours; parfois, pour augmenter sa souffrance, on étire le corps en attachant au pied de grosses pierres; Claude Bourgeois assure que quelques-unes de ces pierres pesaient de soixante à quatre-vingts livres.

C'étaient là les seules tortures autorisées en Lorraine par les

échevins de Nancy. Et ils se croyaient des esprits libéraux. Ils prohibaient les modes plus atroces encore. Ils défendaient de faire asseoir l'inculpé sur une selle hérissée de pointes, de le pendre dans une cheminée pour l'enfumer, de le priver de sommeil pendant une longue période, en le tenant éveillé par des moyens artificiels. Ceux qui ont visité certains musées de torture d'Allemagne seront obligés de reconnaître que les échevins de Nancy ont été moins cruels que certaines justices d'outre-Rhin1.

La torture est toujours administrée en présence d'un chirurgien. Celui-ci doit arrêter le bourreau quand il lui semble que le patient est à bout de forces; on ne doit pas détacher de l'échelle un cadavre; le fait s'est produit parfois. On commence en général par montrer à l'inculpé les instruments de torture; on lui explique la manière dont on s'en sert, les souffrances qu'ils produisent, et, devant cette menace, on l'interroge de nouveau; on le conjure d'avouer son crime. S'il persiste dans ses dénégations, le bourreau fait son office. Rarement une femme résiste jusqu'au bout. Tout à coup elle s'écrie que c'est trop souffrir; elle raconte tout ce qu'on veut; oui, elle a été au sabbat; elle a eu accointance avec le Diable. Le juge lui demande le nom de ses complices; elle nomme tous les noms qui lui traversent la tête, noms illustres ou noms ignorés, grands personnages de l'état ou pauvres mendiants. C'étaient de nouvelles victimes qu'elle désignait, et chaque procès en engendrait une série d'autres. Parfois le juge, pour obtenir plus vite l'aveu, usait de stratagème. Il promettait à la pauvre torturée sa grâce et une chaumière; mais il sous-entendait par restriction mentale la grâce d'être étranglée avant d'être brûlée, et la chaumière, c'étaient les bottes de paille du bûcher. Le juge aussi, dans la recherche des complices, désignait parfois un homme ou une femme par son nom : « N'étiez-vous pas au sabbat avec un tel ou avec une telle? » Ces pratiques, il est juste de le reconnaître, étaient condamnées par les échevins de Nancy. Claude Bourgeois écrit : « Il n'est loisible d'user d'artifices, de

1. Des procureurs lorrains demandaient des supplices plus terribles. Un procureur, Didier Colin, écrit sur un exemplaire de la Pratique civile et criminelle, de Claude Bourgeois: Aucuns disent qu'il n'y a douleur si grande que celle qui vient de la distillation d'eau froide sur le nombril. Aucuns que les millepèdes, cloportes ou pourcelets Saint-Antoine, appliqués et retenus sur le nombril, font plus grand rage et tourment. » Cité par R. de Souhesmes, la Torture et les anesthésiques, dans les Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1901, p. 10.

paroles mensongères ou captieuses comme de faire entendre au criminel qu'il confesse librement ce qu'on luy demande soubs espérance et promesse de pardon et autres, cela étant très pernicieux, et dont les juges practiquant tels abus et injustices en répondront devant Dieu, et, cela estant descouvert, debvront estre châtiés exemplairement par les juges supérieurs qu'il appartiendra »; — et, en effet, certains juges ont été destitués pour n'avoir pas suivi ces préceptes. Claude Bourgeois écrit encore : « Il ne faudra particulariser ou nommer personne, suggérer, le mot est dans le texte, ou désigner par habits ou autrement, ains faudra interroger généralement qui sont les complices. »

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Le lendemain des aveux, l'accusée était interrogée à nouveau hors du lieu de torture. Il arrivait souvent qu'elle rétractait ses aveux antérieurs, qu'elle déclarait n'avoir su ce qu'elle disait, n'avoir parlé que sous l'empire de la douleur. Le juge aurait dû réfléchir à ses rétractations; il aurait dû se rappeler le proverbe latin torquere est extorquere; il aurait dû se dire, comme plus tard l'auteur tragique1 :

La torture interroge et la douleur répond;

mais, dans ces rétractations, il voit une nouvelle manœuvre de Satan; et l'accusée est remise aussitôt à la question. Après les grésillons, l'échelle; après l'échelle, les tortillons et puis l'estrapade. Quelques-unes résistent jusqu'au bout et sont renvoyées des fins de la plainte3, mais le cas est tout à fait extraordinaire. L'aveu une fois fait est aussitôt consigné par écrit : c'est la sentence de mort. Les juges n'ont qu'à en prendre acte et à prononcer en conséquence. Dans les juridictions inférieures, la sentence

1. Raynouard, les Templiers.

2. Claude Bourgeois se rend bien compte des objections qu'on peut faire à la torture: La question est dangereuse, écrit-il; le plus souvent l'innocent y confesse; autrefois, le coupable malfaicteur l'endure et à ce moyen est absous. › Mais de ces prémisses il n'ose pas tirer la conclusion.

3. Quelques accusées très exaltées arrivaient à devenir insensibles à la douleur. Le juge le savait et voyait dans ce fait une manoeuvre de Satan. Le Diable aidait ses suppôts: il se logeait sous les ongles et dans les poils. C'était un autre motif pour raser les victimes. Le diable leur avait appris des formules magiques qui supprimaient la douleur; aussi on les exorcisait. Cf. R. de Souhesmes, loc. cit., p. 5 et suiv. Les accusées qui ne manifestaient pas de douleur n'étaient pas relâchées; on renvoyait seulement celles qui n'avouaient pas, malgré leurs évidentes souffrances.

est provisoire, les pièces du procès sont renvoyées aux échevins de Nancy; ceux-ci déclarent en général que le procès a été bien jugé, et, aussitôt leur réponse arrivée, les juges rendent la sentence définitive. A Nancy, il n'y a qu'une sentence définitive.

Nous donnons ici la formule de ces sentences de mort, prononcées par les tribunaux locaux, telle que nous la rapporte Claude Bourgeois; cette formule a été répétée des milliers de fois en Lorraine :

<< Veu le procès extraordinairement instruit par Nous les prevôt ou Maire et gens de justice de N. (ici le nom de la localité), à la requeste du procureur d'office, contre N., prevenu et accusé de sortilège et vénéfice, sçavoir l'information, l'audition de bouche dudit accusé, recolements et confrontations, les conclusions dudit procureur en date du ..., notre sentence du .... par laquelle aurions condamné ledit accusé à la question ordinaire et extraordinaire, l'acte et procès-verbal de ladite question, les conclusions définitives dudit sieur procureur et l'avis de Messieurs les maître eschevin et eschevins de Nancy (c'est l'énumération exacte de tous les actes de la procédure; voici maintenant la sentence), disons que, par ladicte procedure et par la confession dudict accusé, iceluy est suffisamment atteint et convaincu dudict crime de sortilege et vénéfice; de quoi l'avons condamné et condamnons à estre delivré entre les mains de l'exécuteur de haulte justice, pour par luy être exposé au carcan à la vue du peuple l'espace d'un demi-quart d'heure ou environ, puis mené et conduict au lieu où l'on a accoustumé supplicier les delinquants, et illec attaché à un poteau, y estre estranglé après qu'il aura aucunement senty l'ardeur du feu, son corps ars, bruslé et reduit en cendres, tous et chascuns de ses biens declarez acquis et confisqués à qui il appartiendra, les frais de justice pris sur iceux au préalable. »

Beaucoup d'accusés, pour ne pas affronter cette série d'horreurs, se donnaient la mort en prison. Que de fois ne trouve-t-on pas dans les archives des mentions comme la suivante : « 1593. Marguerite, veuve de Thiébaut le vigneron, demeurant à Belleau1, accusée de vénéfice et de sortilège, étant détenue en prison de ce lieu, se serait par mains violentes précipitée à la mort. » Nicolas Remy reconnaît que les suicides en prison sont

1. Cant. de Pont-à-Mousson.

nombreux; il avoue par exemple qu'en juillet 1581 Didier Finance, de Mandray1, a échappé au supplice en s'enfonçant dans la gorge un couteau qu'on avait oublié près de sa main, et il ajoute : « Il me souvient qu'en cette année et l'année précédente il s'est trouvé en Lorraine environ quinze personnages qui se sont fait justice à eux-mêmes, pour ne pas être un exemple à tous. » Remy a horreur de ces morts : « J'ai hâte, écrit-il, d'en venir à des procès qui eurent de meilleures issues, - ad ea quae exitus meliores habuerunt », — et il raconte les supplices de Jeanne, sorcière à Ban-sur-Meurthe, d'Anne Drigie, de Haraucourt, et de Didier Gérard, de Vennezey3. Le bourreau ne perdait pas tout droit si la victime se donnait la mort. Le cadavre était exposé aux fourches patibulaires et ensuite brûlé.

La sentence définitive, une fois rendue, était aussitôt mise à exécution. Un confesseur devait préparer la sorcière à la mort; et nous pourrions répéter des confesseurs ce que nous avons dit des médecins; jamais l'un de ceux qui avait reçu les dernières confidences des victimes n'a protesté de leur innocence; si l'accusé niait encore au tribunal de la pénitence, le confesseur attribuait ces dénégations à une méchanceté endurcie et aux ruses du Démon. La condamnée, avant le supplice, était exposée quelques minutes au carcan. A Nancy, cette exposition avait-lieu sur la place Saint-Èvre, tant que les prisons furent à la porte de la Craffe. Plus tard, elle eut lieu dans la Ville-Neuve, sur la place du Marché, devant l'hôtel de ville. Au-dessus de la malheureuse, on plaçait un écriteau indiquant son crime: guenoche et sorcière. On la livrait à la risée d'une multitude sans pitié et qui lançait d'ignobles injures. Après l'exposition, la sorcière était menée au supplice. Au début, devant le portail de l'église Saint

1. Cant. et arr. de Saint-Dié, Vosges.

2. Démonolatrie, p. 347.

3. Haraucourt, cant. de Saint-Nicolas; Ban-sur-Meurthe, Vennezey, cant. de Gerbéviller.

4. Nous devons pourtant citer un jésuite allemand qui osa protester. Frédéric Spee avait accompagné dans les environs de Bamberg et de Würzbourg de nombreuses sorcières au bûcher, et, comme l'évêque de Würzbourg, Jean Philippe de Schönborn, s'étonnait que ses cheveux fussent blancs avant l'âge, il répondit : « C'est à cause de la douleur éprouvée en conduisant des innocentes au supplice. Spee fit paraître en 1631 un livre où il s'élevait contre la sorcellerie: Cautio criminalis seu de processibus contra sagas liber ad magistratus Germaniae hoc tempore necessarius. Sur ce livre, cf. Soldan, Geschichte der Hexenprocesse, t. II, p. 187.

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