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d'eux, la Russie et la Chine souhaitaient la fin des hostilités. Les propositions de K'ang-hi indiquaient des dispositions conciliantes. La Russie accueillit ces ouvertures avec empressement. Elle répondit au message de K'ang-hi par l'envoi de deux <courriers »1, N. Vénioukov et J. Favorov. Ils devaient annoncer que la Russie faisait partir une ambassade solennelle pour résoudre à l'amiable les différends, en conséquence, prier K'ang-hi de suspendre les hostilités à Albazin. Vénioukov, Favorov parvinrent à Pékin le 31 octobre 1686 (ils y restèrent jusqu'au 14 novembre). Leur mission eut pour effet de décider K’ang-hi à lever le siège d'Albazin, en partie le 6 mai, en totalité le 30 août 1687.

Cependant, le chef de l'ambassade russe, Th. Al. Golovin, quittait Moscou le 26 janvier 1686. Ses instructions lui interdisaient de céder Albazin et de livrer le prince daour2 Gantimour, baptisé et devenu sujet russe. Mais de nouvelles instructions << personnelles et secrètes » du 14 juin 1687, qu'il reçut le 30 septembre, lui permettaient, en vue d'établir des relations commerciales régulières, d'abandonner Albazin. Golovin dut être à la fois général et diplomate. Une petite armée, forte d'un millier de << striéltsy »3, recrutés à Moscou et en Sibérie, accompagnait l'ambassade. Il en fut le chef suprême, et elle lui rendit des services marquants. Golovin avait adressé à Pékin, le 19 novembre 1687, St. Korovin pour demander à la Chine de fixer l'endroit où se tiendraient les conférences. Korovin, arrivé à Pékin le 14 mars 1688, y resta jusqu'au 17 avril. Le 21 juin 1688, Golovin recevait de lui avis que Selenginsk était la place

1. Il convient de distinguer avec soin les titres des envoyés russes à la cour de Chine. Les « Courriers », « Gontsy, ne sont que des porteurs de messages. Les Envoyés », « Poslanniki, ne doivent pas être confondus avec les Ambassadeurs », « Posly », dont le rang est supérieur. Ainsi, Izbrant n'était que « Poslannik, Izmailov Envoyé Extraordinaire », et seuls, les chefs des deux plus importantes ambassades dans la période considérée, Golovin et Sava Vladislavitch, eurent le titre, le premier, d' « Ambassadeur Plénipotentiaire, le second, d'Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire ».

2. Daourie est le nom que porte la Transbaïkalie dans les documents russes du XVII siecle. Il est à noter que ces mêmes instructions invitaient Golovin à demander au Houtoukhtou mongol d'Ourga (qualifié de kalmouk dans le texte) sa médiation entre la Russie et la Chine.

3. On sait que les Striéltsy, mot à mot tireurs », étaient les soldats de l'infanterie russe aux XVI et xvII° siècles. Ces mousquetaires furent abolis par Pierre le Grand en 1698.

désignée. C'était compter sans les Kalmouks et sans les Mongols. Les Kalmouks avaient à leur tête un chef hardi et habile, Galdan, que les documents russes appellent Bouchoukhtou ou Bochoktou Khan1. Il étudiait au Tibet quand le meurtre d'un de ses frères le rappela en Dzoungarie. Bientôt maître de toute la Dzoungarie, en 1688 il envahit la Mongolie septentrionale. Une aile de son armée opérait contre le riche couvent bouddhique d'Erdeni tszou (sur la Selenga); lui-même, avec le gros de ses troupes, continuait sa marche vers l'est, s'avançait vers le Kéroulen, barrant ainsi la route de Chine en Sibérie. C'est à ce moment que le rencontra l'ambassadeur chinois, parti de Pékin pour rejoindre Golovin à Selenginsk. Les Chinois, sur l'ordre de K'ang-hi, abandonnèrent la partie, revinrent en Chine et en informèrent Golovin. Celui-ci était aux prises, de son côté, avec de grosses difficultés. Il semble probable que c'est la diversion des Kalmouks sur Erdeni tszou qui provoqua une panique chez les Mongols et leur fuite, les uns, le Houtouktou en tête, vers le sud, les autres vers le nord, en Sibérie. Mais là ils se heurtèrent à l'armée de Golovin. Surpris par cette invasion inopinée, Golovin se laissa d'abord assiéger et enfermer dans Selenginsk. Il réussit à se dégager, battit les Mongols au combat du Khilok 2 (28 août-16 septembre 1688), leur imposa deux traités d'alliance défensive et offensive (15 janvier et 12 mars 1689). Malgré les obstacles, la situation s'améliorait pour les Russes. Elle ne tarda pas à prendre un tour favorable aux négociations. Golovin reçut le 7 juillet 1688 des instructions dernières, datées du 29 octobre 1687. Elles lui enjoignaient d'envoyer le porteur, Iv. Loginov, à Pékin s'assurer des dispositions de la cour; s'il le fallait, Loginov traiterait à Pékin même avec les pleins pouvoirs d'un ambassadeur. Loginov arriva à Pékin le 13 mai 1689 et reconnut que la Chine se montrait toute disposée à une entente. Les ministres chinois se préparaient à un nouveau départ pour la

1. Il descendait du prince Khotok hotszin', surnommé le Batour Khoun-taitchji. Les successeurs de ce prince continuèrent à porter ce titre, dont les Russes, les jésuites, etc., firent le mot « Kontaicha ». Voy. A. Pozdniéev, la Chronique mongole, Erdéniin Erikhé », Saint-Pétersbourg, 1883, in-8°, p. 175 et suiv. (en russe); Contribution à l'histoire des Kalmouks de Dzoungarie (en russe), dans Zapiski de la Société I. russe de géographie, section d'ethnographie, t. X, livr. 2. Saint-Pétersbourg, 1887; tirage à part : Saint-Pétersbourg, 1887, in-8°, p. 240, n. 1.

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2. Affluent de droite de la Selenga.

frontière du nord; Nertchinsk, plus à l'est, plus éloignée que Selenginsk du théâtre des hostilités, serait le lieu de la rencontre. Dans ces conditions, le rôle de Loginov était terminé; il s'effaça devant Golovin. Les conférences commencèrent à Nertchinsk à partir du 12 août 1689. Les PP. Gerbillon et Pereira, qui accompagnaient le ministre chinois Songotou et ses compagnons, jouèrent un rôle actif dans les négociations. La défection des Brates ou Mongols Bouriates et des Onkotes, qui passèrent aux Chinois sous Nertchinsk même, au milieu d'août, la faiblesse de la petite armée de Golovin et des garnisons de Sibérie obligèrent l'ambassadeur russe à des concessions. Par le traité de Nertchinsk (27 août-6 septembre 1689), Albazin dut être rasée, Argoun déplacée sur la rive nord de la rivière du même nom; la Gorbitsa, petite rivière qui se jette dans la Chilka, formait limite entre la Russie et la Chine. A l'est de la Gorbitsa, la frontière était laissée indécise jusqu'à une nouvelle ambassade. On décidait seulement qu'elle passerait par la chaîne de montagnes qui sépare la Gorbitsa du Toungir (c'est-à-dire le bassin de l'Amour de celui de la Léna) et se prolongerait à l'est par les << Monts de pierre », « Kamennyia gory», et la rivière Ouda, qui ne représentaient à cette époque que de vagues indications géographiques. Les

transfuges » devaient être désormais extradés, les relations commerciales développées.

Ainsi, la Chine avait forcé la Russie à reculer. Une section de la frontière se trouvait délimitée. Mais l'oeuvre de partage restait encore inachevée, tant à l'ouest de Nertchinsk qu'à l'est. Ce fut la tâche des ambassades suivantes de chercher, du côté de la Russie, à développer les rapports commerciaux ; pour la Chine, à compléter la démarcation de son territoire.

Le traité de Nertchinsk était à peine signé que les Kalmouks offrirent aux Russes une occasion de prendre leur revanche. A la nouvelle du traité, désavantageux pour les Russes, Galdan leur adressa, à Nertchinsk et à Irkoutsk, ses émissaires. Le 22 février 1690, ils rencontrèrent à Irkoutsk Golovin, qui s'en retournait à Moscou. Ils lui remirent une lettre de Galdan, où il excitait les Russes à une action, de concert avec lui, contre les Mongols. Golo

1. Il faut entendre par « transfuges les gens qui passaient la frontière de l'un ou l'autre empire sans autorisation spéciale. Russes et Chinois les considéraient comme des déserteurs.

REV. HISTOR. XCIV. 1er FASC.

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vin, dans sa réponse, encouragea le Kontaicha1 à la guerre, mais déclina toute alliance offensive. La Chine aurait appris la réserve de l'ambassadeur russe et en aurait témoigné sa satisfaction: cette conduite lui permit de se tourner tout entière contre Galdan, de le vaincre à Oulanboutoun (1690), de l'anéantir en 1696. La Russie ménageait la Chine, autant à cause de son propre épuisement que dans l'intérêt de la paix et du commerce. Elle entendait appliquer désormais tous ses efforts au développement de ses relations commerciales avec l'Empire du Milieu.

Aussi fit-elle choix d'un agent de commerce, trois ans après le traité de Nertchinsk, pour la représenter à Pékin. L' « Envoyé » Izbrant se qualifie de marchand danois. Il faisait du trafic par mer à Arkhangelsk. La cour de Russie lui confia une mission commerciale en Chine: il devait fournir un rapport exact sur les produits d'importation et d'exportation entre la Russie et la Chine et essayer d'attirer les marchands chinois à Moscou et dans toute la Russie. Il devait aussi s'informer secrètement des intentions du Bogdy Khan2 sur la partie de la Daourie (ou Transbaïkalie) laissée indivise. Parti de Moscou le 14 mars 1692, Izbrant resta à Pékin du 3 novembre 1693 au 19 février 1694. Admis à l'audience impériale, il ne put faire accepter ni la « Gramota »3 des tsars ni les présents dont il était chargé. Les Chinois alléguèrent que, dans cette pièce, les titres de leur maître étaient écrits au-dessous des qualifications des tsars et y virent un manque de respect. Izbrant se vit obligé de revenir sans avoir pu remplir sa mission. Tout au plus fut-il en état de donner quelques indications, d'après le dire des Jésuites, sur les dispositions pacifiques de K'ang-hi et d'apporter un petit nombre de remarques sur le commerce. De retour à Moscou, le 1er février 1695, il transmit une lettre datée du cinquième jour, deuxième mois de la trente-troisième année de K'ang-hi. Elle lui aurait été donnée par les ministres de l'empereur en réponse aux prétentions qu'il leur avait exposées point par point, suivant ses instructions. La lettre est écrite en très mauvais russe, et, avec

1. Sur ce mot, voir ci-dessus, p. 48, n. 1.

2. Nom que les Russes donnent à l'empereur de Chine. Il paraît dérivé du mot mongol « bogdo », « saint ».

3. << Gramota », « lettre », était le nom réservé aux communications offi. cielles du Collège (Ministère) des Affaires étrangères, du Saint-Synode, etc.

les difficultés de lecture, il est à peu près impossible de l'entendre pleinement1. Elle semble indiquer que la frontière n'est pas encore établie du côté de la Mongolie et que les Chinois reçoivent les marchands étrangers en Chine mais ne sortent pas de leur propre pays.

Cependant, les relations de la Chine et de la Russie avec les Kalmouks gardaient, en se prolongeant, un caractère différent pour l'une et pour l'autre puissance. Si Galdan se vantait à tort de secours importants que lui auraient fournis les Russes, du moins est-il sûr que les rapports de la Russie avec les Kalmouks restèrent amicaux dans les vingt-cinq années qui suivirent le traité de Nertchinsk (1689-1714). De part et d'autre, on échangeait des ambassades, et les Boukhariotes, agents commerciaux du Kontaicha, trouvaient facilités et même faveurs pour leur trafic en Sibérie. La Chine, au contraire, continuait ses campagnes contre les Éleuthes. A Galdan avait succédé son neveu, Tsevang Raptan (1697), qui, non seulement reprenait la politique agressive de Galdan, mais cherchait, par des alliances ou par la force, à se constituer un vaste empire en Asie centrale, au détriment des Mongols, des princes du Koukou Nor, du Tibet.

Est-ce au désir de susciter sur les derrières de Tsevang Raptan un adversaire inopiné qu'il faut attribuer l'envoi par la Chine d'une ambassade aux Tourgoutes de la Volga en 1713? T'ou-li-tch'en en fut le chef. Il déclare que ses instructions lui interdisaient de conclure avec les Tourgoutes une alliance offensive contre les Éleuthes. S'agissait-il alors d'obtenir d'eux une neutralité favorable? Faut-il croire que la Chine se fût exposée aux difficultés d'une ambassade à travers la Sibérie pour avertir le khan des Tourgoutes, Aïouk, que son neveu, Arabtchour2, était retenu et bien traité à Pékin? Reste une hypothèse : elle est exprimée par Glazounov, secrétaire du Collège (Ministère) des Affaires étrangères, qui avait mission officielle d'accompagner les ambassadeurs chinois en Russie à leur voyage de 1731. Fon

1. Aussi, sur la demande de la Russie, le Li-fan-yuan, sorte de Ministère chinois des Affaires étrangères, ajouta-t-il désormais une traduction en latin à ses lettres en mongol et en russe.

2. Ce prince était parti, plusieurs années auparavant, en pèlerinage au Tibet. A son retour, il avait trouvé la route coupée par les armées kalmoukes. Il s'était alors dirigé vers la Sibérie par Pékin. Mais là, il semble qu'on l'ait gardé comme olage, dans une sorte de demi-captivité.

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