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barre. Au seul nom de Goujon, la Convention leur refusa l'entrée, et les renvoya, pour la forme, au Comité de Sûreté générale1. Elles s'en furent à la maison, désespérées.

Les huit accusés passèrent la matinée à écrire. Goujon acheva de rédiger sa défense, dont il avait fait remettre un abrégé au tribunal, et qu'il voulait laisser complète après lui. Duquesnoy rédigea la sienne, en y joignant une lettre pour sa femme3. A midi, la garde vint les prendre, et ils parurent pour la dernière fois devant leurs juges. Ils se tenaient debout en face du tribunal, entourés par douze grenadiers. Goujon les dépassait tous de la tête; ses cheveux blonds flottaient sur ses épaules, et il avait soigné sa toilette pour aller à la mort. Sous son habit de représentant du peuple, en drap bleu à boutons jaunes d'uniforme, il portait un gilet de basin blanc moucheté, et, sur la tête, un chapeau à trois cornes, à la mode de l'ancien régime®.

Rouhière, imposant dans son habit rouge, se leva et donna lecture, au milieu d'un profond silence, du jugement de la Commission. Romme, Duquesnoy, Du Roy, Bourbotte, Soubrany et Goujon, « attendu qu'ils se sont montrés les auteurs, fauteurs et complices des désastreux événements qui ont eu lieu dans la journée du 1er prairial, qu'ils ont conspiré contre la République, provoqué la dissolution de la Convention nationale et l'assassinat de ses membres, entrepris, par tous les moyens, d'organiser la révolte et la guerre civile et ressusciter tous les excès, toutes les horreurs de la tyrannie qui ont (sic) précédé le 9 thermidor », étaient condamnés à la peine de mort; Peyssard à la déportation, << attendu qu'il n'a pas déployé le même caractère de rébellion ». Forestier, faute de preuves positives « qu'il eût pris une part active aux événements du 1er prairial », n'était pas condamné, mais resterait néanmoins en prison, à la disposition du Comité de Sûreté générale, « comme prévenu de faits antérieurs au 12 germinal et au 1er prairial ». Il n'y eut ni applaudissements ni murmures. Goujon s'approcha du bureau, y déposa son portefeuille,

1. Moniteur, réimpr., t. XXV, p. 11.

2. Voy. aux appendices la fin de cette Défense.

3. Voy. cette lettre aux appendices.

4. Jourdan, relation insérée au Moniteur, réimpr., t. XXV, p. 26.

5. Il était de très haute taille, six pieds un pouce (Tissot, Hist. de la Révolution, t. V, p. 507).

6. Procès-verbal du commissaire de police de la section de la place Vendôme, 29 prairial (Arch. nat., W 547, n° 139).

7. Voy. le texte dans la réimpr. du Moniteur, t. XXV, p. 27.

le portrait de Lise et le manuscrit de sa Défense. « Pour ma femme», dit-il simplement. Il déposa encore une petite montre en argent que Bourbotte venait de lui faire passer. Puis il regagna sa place au milieu des soldats. Soubrany déposa son portefeuille et 1,013 livres en assignats pour son domestique'. Duquesnoy remit une enveloppe au président et dit : « Je vous charge de cette lettre. Elle contient mes adieux à ma femme et à mes amis. Je désire que mon sang soit le dernier sang innocent qui coule. Puisse-t-il consolider la République! Vive la République'!» Sur un ordre du tribunal, les condamnés sortirent de la salle. Ils descendaient l'escalier qui conduit au rez-de-chaussée, lorsqu'on entendit la voix de Bourbotte : « Vous allez voir comme un homme de cœur sait mourir ! » A l'instant même, Goujon, sortant le couteau qu'il tenait caché, s'en frappait au cœur et tombait, la bouche crispée, sans une plainte. Romme, arrachant l'arme de la plaie, s'en frappait à son tour de plusieurs coups à la poitrine, s'en labourait le cou et le visage; il tombait aussi, couvert de sang, méconnaissable. Duquesnoy n'avait qu'une lame de ciseaux3; il se l'enfonça tout entière dans le cœur. Bourbotte cachait un autre couteau; il s'en porta un coup, puis le tendit à Soubrany, qui fit de même. Du Roy n'eut pas le temps de se frapper à mort; il n'était que blessé quand on lui arracha l'arme, qu'il avait prise des mains de Soubrany. On les emporta dans la salle basse. Un officier de gendarmerie, affolé, courut avertir le président : il tenait à la main le couteau de Bourbotte. Un autre entra l'instant d'après, portant le second couteau, celui de Goujon, et les ciseaux dont s'était frappé Duquesnoy1. Capitain donna sur-le-champ l'ordre d'arrêter le commandant du corps de garde, qui avait négligé de fouiller les condamnés; ensuite, il fit chercher un officier de santé. On n'en découvrit un qu'à grand'peine. Il s'appelait Marmouget et demeurait rue neuve du Luxembourg. En arrivant, il trouva Romme, Goujon et Duquesnoy déjà

1. La Commission militaire au Comité de Sûreté générale, 1" messidor (Arch. nat, W 548, reg. de correspondance). Les détails donnés sur cette scène par les journaux ne paraissent pas tous exacts. Nous ne donnons que ceux sur lesquels les journaux s'accordent entre eux et avec les pièces originales.

2. Moniteur, récit de Jourdan, déjà cité. Journal de Paris, no 279 du 30 prairial.

3. Les fossoyeurs retrouvèrent l'autre cachée dans la semelle de son soulier. Procès-verbal du commissaire de police de la section de la place Vendôme, 30 prairial (Arch. nat., W 547, no 140).

4. Journal de Paris et Moniteur, loc. cit.

morts, étendus sur le carreau et baignant dans leur sang. Du Roy était très vivant. Bourbotte respirait encore. Soubrany agonisait presque, en disant : « Laissez-moi mourir. » Comme leurs blessures ne saignaient plus, on ne prit pas la peine de les panser1, et l'aide de l'exécuteur leur fit la dernière toilette. Pendant qu'on lui liait les mains, Du Roy s'emporta violemment, injuriant les curieux et les journalistes qui l'entouraient : « Les assassins contemplent leur ouvrage! criait-il. Ah! pourquoi me suis-je manqué? Ces mains-là étaient-elles donc faites pour être liées par le bourreau? Jouissez, messieurs les aristocrates?! » On les chargea tous trois sur la charrette. Du Roy faisait bonne contenance, Soubrany ne bougeait plus, Bourbotte parut revenir à la vie. Il s'assit au fond de la voiture et regarda tranquillement autour de lui. A trois heures, escortés par un escadron de cavalerie, ils arrivèrent sur le lieu du supplice. La place de la Révolution était presque vide. On porta Soubrany sur l'échafaud; il était mort déjà, et Sanson n'exécuta qu'un cadavre. Du Roy mourut ensuite avec fermeté et sans rien dire. Bourbotte cependant parlait au peuple et aux soldats « Je meurs innocent, criait-il, vive à jamais la République3! » On emporta les cadavres au cimetière de Monceaux. Les trois autres corps y furent aussi portés le soir. Les valets du bourreau les dépouillèrent, suivant l'usage, et vendirent au fripier leurs pauvres hardes.

R. GUYOT et F. THÉNARD.

1. Procès-verbal de l'officier de santé (Arch. nat., W 547, n° 138).

2. Moniteur et Journal de Paris, loc. cit.

3. Jourdan, qui voulut assister au supplice, ajoute un détail atroce : (A l'instant où Bourbotte était baissé pour recevoir le coup fatal, on s'aperçut que le couteau n'avait pas été remonté. On le redressa pour relever l'instrument. Il employa ce temps à parler encore à ceux qui l'entouraient (Moniteur, 1r messidor, réimpr., t. XXV, p. 28).

MÉLANGES ET DOCUMENTS

LE CODE DE HAMMOURABI ET LA CONSTITUTION ORIGINAIRE DE LA PROPRIÉTÉ DANS L'ANCIENNE CHALDÉée.

Fustel de Coulanges s'est voué à l'histoire des institutions avec une connaissance très imparfaite du droit la critique lui en a fait grief et elle a pu le faire sans trop d'injustice. Jules Oppert regrettait une lacune analogue chez les assyriologues, ses confrères :

Pour l'intelligence des textes juridiques, disait-il, des études de droit sont d'une nécessité inéluctable; sans elles, toutes les interprétations sont boiteuses. Ces études ne permettent pas seulement de reconnaitre les particularités de certaines lois, elles façonnent l'esprit à discerner ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est adéquat et ce qui est un non-sens'. »

La découverte du Code de Hammourabi a mis en claire évidence la justesse de ces paroles. Malgré la science linguistique des interprètes, ni la traduction princeps de Scheil ni les traductions nombreuses, en toutes langues, qui l'ont suivie n'ont échappé au double écueil qu'Oppert signalait. La collaboration même d'un jurisconsulte et d'un assyriologue de profession n'a pas suffi pour en préserver. Voyez le résultat de l'association de MM. Peiser et Kohler2, voyez le biais. auquel ils ont dû se résigner: une traduction mot à mot, — souvent inintelligible, impossible, aurait dit Oppert, et en regard une paraphrase où le sens devient plausible, mais où la version littérale est sacrifiée sans merci.

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C'est que toute traduction d'un document de cette nature exige un corps à corps, un contact intime avec le texte. Faute de quoi, on pourra bien s'en approcher, le contourner, on ne l'enlacera pas.

1. Zeitschrift für Assyriologie, t. XIII, p. 248.

2. Hammurabi's Gesetz. Leipzig, 1904.

L'historien du droit, s'il ne veut pas bâtir sur une base fragile et chancelante, n'a donc d'autre ressource que de maîtriser lui-même la langue des documents. Et comment hésiterait-il devant des découvertes qui reculent de milliers d'années les bornes de l'histoire juridique de l'humanité? Pour ma part, je n'ai pas craint de tenter l'effort, et la traduction de Hammourabi, que je publierai très prochainement, permettra de juger de son fruit.

Mais le Code de Hammourabi n'est pas un monument qui puisse se suffire à lui-même. Il veut être étudié dans ses sources, son milieu et ses prolongements. Il a derrière lui toute une antiquité juridique dont il est l'aboutissant. Nous en avons la preuve directe dans l'existence de fragments de lois beaucoup plus anciennes et qui paraissent même visées par ce Code, les fameuses lois dites sumériennes, dont sept articles nous ont été conservés dans des exercices de grammaire. Nous en avons d'autres preuves dans les contrats antérieurs à Hammourabi, qui se réfèrent très visiblement à des lois écrites et, sans doute, à une sorte de code ou de compilation dont ils reproduisent des formules, puis dans la circonstance que Hammourabi lui-même se sert de formules identiques, identiques donc non seulement à d'anciens contrats, mais à des lois plus anciennes encore.

Qu'était cette législation antécédente? A quelle date pouvait-elle remonter? Comment était-elle née? Si à toutes ces questions nous n'avons pas encore de réponse satisfaisante, nous pouvons du moins entrevoir des lignes directrices et tenter des travaux d'approche.

Tout d'abord, la religion et la magie chaldéennes ne laissent aucun doute sur la grande part qui revient dans la formation des coutumes ou des lois, d'une part aux rituels, d'autre part aux oracles; les premiers donnant naissance à des prescriptions à la fois religieuses et civiles, les seconds constituant des jugements qui avaient force de loi pour l'avenir. Mais nous voudrions davantage, nous voudrions savoir pour quels hommes, dans quelles cités ces lois embryonnaires virent le jour. Est-ce au nord, au centre ou au sud de la Chaldée que se place leur lieu d'origine?

I.

Jusqu'il y a trente ans, tous les regards se dirigeaient vers Babylone ou vers Ninive. On espérait trouver autour de ces deux grandes métropoles, autour de la première surtout, la clef de l'antiquité chaldéenne. On se trompait. On se trompait en principe en cherchant dans le nord et dans l'intérieur des terres les débuts d'une civilisation qui devait être née beaucoup plus au midi et REV. HISTOR. XCIV. 2 FASC.

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