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peu de succès d'une campagne préparée avec tant de peine et tant de soins. Mais si les efforts du ministre ne devaient pas, produire, dès cette époque, les résultats sur lesquels il comptait, toute sa vaillance ne s'épuisa pas en pure perte. Il sut imprimer à la marine, trop négligée par ses prédécesseurs immédiats, un mouvement de vitalité qui alla sans cesse en progressant et qui procura plus tard une glorieuse compensation à ces jours d'angoisse et de tristesse. Choiseul avait donc raison de ne pas s'abandonner au désespoir : c'est un de ses titres les plus solides à l'estime et à l'admiration des Français.

Alfred BOURGUET.

NICOLAS REMY

ET LA

SORCELLERIE EN LORRAINE A LA FIN DU XVI® SIÈCLE

(Suite et fin1.)

II.

Après avoir esquissé l'histoire de la vie de Nicolas Remy, nous devons examiner de près sa Démonolatrie, sur laquelle il comptait pour faire passer son nom à la postérité et pour le rendre célèbre dans les temps les plus reculés; il ne se trompait que sur la nature de la célébrité que lui devait valoir son ouvrage.

En quoi consistait, d'après Nicolas Remy, le crime de sorcellerie? Nous avons déjà dit qu'au cours du XVIe siècle la croyance au Diable est générale. En Lorraine, le Diable porte les noms les plus divers. On l'appelle maître Persin, parce qu'il apparaît sous une couleur vert foncé; il se nomme encore maître Léonard, Napnel, Jolibois, Sautebuisson, etc. Parfois l'on fait une distinction entre ces sortes de démons: ce sont des personnages différents subordonnés l'un à l'autre. Le Démon apparaît sous des formes diverses aux personnes qu'il veut conquérir; il pince ses victimes au front, pour enlever le baptême, et les invite à assister au sabbat, qui a lieu sur une lande déserte, en un endroit écarté des habitations. Les sorcières se frottent d'un onguent et sont transportées à ce sabbat en général sur un balai ou bien sur un bouc. Ce sabbat a lieu en Lorraine le samedi et le mercredi, les démons étant occupés les autres nuits ailleurs2.

1. Voir Rev. hist., t. XCIII, p. 225.

2. Nous résumons ici ce que dit Nicolas Remy dans la Démonolatrie, p. 121 et suiv.

Les sorcières s'y donnent au Diable; elles dansent une ronde échevelée, mais masquées et retournées, la tête en dehors de la ronde. Puis elles prennent un repas en commun; mais toute nourriture est insipide; car le sel y fait défaut; suivant un calembour souvent répété, les plats y viennent de Salamanque. Il n'y a pas non plus de pain, puisque le pain rappelle l'Eucharistie. Pen. dant toutes ces orgies, les diablotins font une musique infernale, en frappant des tibias contre des crânes1. Nicolas Remy et les juges croyaient à la réalité de ces descriptions. Une fois pourtant le procureur a un léger doute. Une sorcière a affirmé qu'à telle heure de la nuit elle avait été au sabbat; et pourtant son mari a juré qu'à la même heure elle se trouvait tranquillement couchée à côté de lui. Remy ne peut pas ne pas accorder confiance à ce témoignage; il conclut qu'un sabbat imaginaire est aussi pernicieux qu'un sabbat réel; ce sabbat donne les mêmes émotions, provoque les mêmes lassitudes; une telle femme est bien la proie du Diable. A mort donc la malheureuse !

Mais, si hommes et femmes se rendent au sabbat, ce n'est pas seulement pour se procurer des plaisirs fatigants; ils veulent surtout obtenir du Diable le pouvoir de nuire à ceux qu'ils détestent. Maître Persin leur donne un onguent mystérieux, ou bien il leur apprend des paroles magiques; à l'aide de l'un ou des autres, ils vont provoquer le malheur de leurs ennemis. Ceux-ci languissent et dépérissent peu à peu. Ou bien il leur arrive un grave accident. Ils tombent et se cassent une jambe; ils n'entendent plus; ils voient double; des boutons leur poussent sur la figure; les maris deviennent impuissants. D'autres fois, les sorciers s'en prennent au bétail. Ils font trébucher la vache ou la chèvre de leur ennemi, les blessant grièvement. Ils tarissent, par leur pouvoir magique, le lait de ces animaux. Les sorcières plantent dans le mur de l'étable, au dehors, un couteau; et elles font sur lui le signe de traire la vache; elles prononcent le mot sacramental: « Je te trais au nom du Diable », et le lait coule réellement le long du couteau. Elles enlèvent la force nutritive qui est dans l'herbe broutée par les bestiaux; chevaux, taureaux, vaches mangent et dépérissent. Au contraire, cette nourriture profite à leurs propres bêtes qui restent grasses et bien portantes.

1. Démonolatrie, p. 141.

Ce qui frappe surtout dans ces stupides accusations, c'est la relation que les accusateurs établissent entre une rencontre fortuite avec un sorcier et un malheur arrivé souvent des semaines, des mois, des années plus tard. Dans un procès instruit à Amance, près de Nancy, en 1591, le herdier de la commune, c'està-dire celui qui garde la herde, le troupeau, est accusé de sorcellerie et les bergers qui vivent isolés dans les champs fournissent un nombreux contingent de victimes. Une femme dépose qu'elle a eu un jour avec l'accusé, nommé Bulme, une querelle à cause d'une vache qu'il lui avait perdue, et, dit-elle, environ un mois après, son mari tomba malade et mourut en cinq jours. Une autre femme certifie que son mari est mort six semaines après une querelle avec le sorcier. D'autres encore viennent dire qu'après une dispute de ce genre leur cheval ou leur verrat a péri au bout de quinze jours ou d'un mois. Et c'est sur des accusations de ce genre que Bulme et sa femme furent exécutés à Amance1!

Les sorcières ne s'attaquent pas seulement aux hommes et aux animaux; dans leurs réunions nocturnes, elles rassemblent les nuages, qui bientôt se condensent en grêle et qui détruisent les moissons. Voilà pourquoi, dit Nicolas Remy, quand le tonnerre gronde, quand menace la foudre, il faut sonner les cloches; car ces mêmes cloches qui appellent les fidèles à la prière chassent le Démon. Les sorcières sont encore accusées d'avoir suscité d'autres fléaux. En décembre 1586, la femme Odile Boncourt de Haraucourt, en novembre 1586, la femme Rose Gérardin d'Étival, en février 1587, la femme Housselot de Saint-Evre ont avoué avoir suscité un très grand nombre de souris qui ont rongé toutes les racines et causé la disette?.

Voici, avec quelques détails, les accusations lancées contre une pauvre femme de Nancy, nommée Lasnier (Asinaria) : elle avait l'habitude de mendier de porte en porte, et les aumônes qu'elle recevait suffisaient à son existence. Un jour elle frappa à la maison du bailli de Nancy3; mais le fils aîné de celui-ci

1. Amance, qui avait reçu la coutume de Beaumont, avait droit de haute justice. Toutes les pièces de ce procès ont été publiées par Henri Lepage dans l'Annuaire de la Lorraine, 1854; l'article a été tiré à part sous le titre : Une procédure de sorciers au XVI° siècle, Nancy, Grimblot et veuve Raybois. 2. Démonolatrie, p. 146.

3. Le bailli de Nancy de 1577 à 1607 fut Renault de Gournay, seigneur de

sortit à l'improviste et lui ordonna de revenir à une autre heure, car pour le moment les domestiques étaient occupés; la femme répondit par des injures et aussitôt notre jeune homme tomba face à terre comme s'il s'était heurté contre un caillou. Et il affirma aux domestiques accourus que l'accident n'était pas arrivé par sa faute, qu'il était poussé par derrière par une force supérieure et qu'il se serait certainement cassé un membre, s'il n'avait eu la précaution en tombant de faire le signe de la croix. Le Démon fit alors, dit Remy, de vifs reproches à la femme Lasnier d'avoir manqué son maléfice et lui donna l'ordre de surprendre le jeune homme avant qu'il eût fait sa prière du matin et se fût garanti par le signe de la croix. Or, un matin, le jeune homme ouvrit la fenêtre de sa chambre au premier étage et voulut saisir un nid qui se trouvait sur la muraille; il tomba la tête la première et on le rapporta évanoui à la maison. Il revint bientôt à lui et dit à son père : « Père, ne me faites pas de reproche; j'ai été poussé par derrière et on a lancé un objet contre moi. » Et en effet un gros morceau de bois fut ramassé à l'endroit où il était tombé. L'enfant mourut quelque temps après; la femme Lasnier fut aussitôt arrêtée. Interrogée par Nicolas Remy, elle fait des aveux; elle est condamnée à mort et exécutée le 14 juillet 1582. Remy nous raconte qu'aussitôt après la chute de l'enfant, le Diable était venu en personne féliciter la sorcière et il accumule, pour le prouver, une série de citations de la Bible1.

Telles étaient les accusations portées contre les sorcières et qui devaient conduire presque toujours ces malheureuses à la mort. Dans l'ancienne procédure, il fallait qu'un accusateur se présentât et soutînt la vérité de son dire par serment, témoignages ou autrement. Dans les procès de sorcellerie, il n'y a plus d'accusateurs; il n'y a, comme pour les procès de l'Inquisition, que des dénonciateurs. Un individu a à se plaindre d'une femme qui l'a injurié, il ne veut pas payer son créancier; il dénonce la femme et le créancier comme soupçonnés de sorcellerie. Le dénonciateur ne risque jamais rien. Son nom n'est pas communiqué à l'inculpé. Même dans certains pays, ce ne fut point le cas en Lorraine, - l'on plaçait aux églises ou aux maisons communes des troncs destinés à recevoir les dénonciations anonymes; les dénonciations

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Villers. Cf. Henri Lepage, les Offices des duchés de Lorraine et de Bar, les Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1869, p. 103.

1. Démonolatrie, p. 272.

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