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vogue immense des Hermai, la profondeur et l'étendue des racines qu'avait poussées dans l'antique Hellade le culte du dieu protecteur des bornes, dont j'ai cru entrevoir le prototype dans le Nabû chaldéen ?

Les développements qui précèdent et les conclusions qu'on en peut lirer ne sauraient infirmer en rien, tout au contraire, la thèse exposée avec lant d'éclat par Fustel de Coulanges, que « trois choses ont eu entre elles, à l'origine, un rapport manifeste et paraissent avoir été inséparables: la religion domestique, la famille, le droit de propriété ». Cette proposition, sauf la réserve que je vais faire, je la crois la vérité même. Elle se vérifie et pour la protection de la demeure par des divinités domestiques, et pour les champs euxmêmes où certains koudourrous conjurent, à côté des grands dieux, le lamassu du propriétaire. Seulement, le caractère sacré de la propriété familiale n'est qu'une manifestation du culte plus général de l'animisme magique. Ce culte a pu servir aussi bien, et il a servi, en réalité, à constituer la propriété individuelle aux dépens de la propriété familiale. C'est la fin principale qu'ont en vue les kudurru kassites et que devait viser déjà l'érection rituelle de l'obélisque de Maništu-su. Elle fut longue à atteindre, car il ressort de ces monu. ments, séparés par un si long intervalle, qu'au ve millénaire av. J.-C. la propriété du sol était, avant tout, familiale et tribale en Chaldée et qu'elle l'était encore deux à trois mille ans plus tard. Tel est le point d'histoire que je voudrais considérer de plus près dans l'étude qui fera suite à celle-ci.

1. La Cité antique, livre II, chap. vi, p. 69 (éd. 1866).

Jacques FLACH.

REV. HISTOR. XCIV. 2o FASC.

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LA QUESTION DES FAUSSES DÉCRÉTALES.

A vingt ans de distance, M. Paul Fournier1 a éprouvé le besoin de mettre au point le mémoire sur les Fausses Décrétales qu'il avait publié dans la Nouvelle Revue historique de droit. Aussi bien la polémique au sujet de la provenance et de la date de composition n'avait point cessé d'être active depuis 1887, et il était bon qu'un travail d'ensemble épargnât au public la lecture de trop nombreux articles en lui exposant clairement les arguments en présence. Il est superflu d'ajouter que l'auteur s'est on ne peut mieux acquitté de cette tâche.

En ce qui concerne la patrie des Fausses Décrétales, voici quelles sont ses conclusions (p. 83): « 1° Les Fausses Décrétales conviennent à la situation de la province de Tours, entre 846 et 852, mieux qu'à la situation d'aucune autre province; 2° à l'époque de la rédaction des Fausses Décrétales, Isidore ou un de ses associés rédige dans la région mancelle des apocryphes destinés à servir les intérêts de l'église du Mans; ces apocryphes portent la marque de l'atelier isidorien. Donc, c'est dans la province de Tours, au Mans ou aux environs du Mans, qu'il faut placer l'auteur ou les auteurs des Fausses Décrétales, puisque c'est là seulement qu'à la même époque nous retrouvons des traces de leur activité. »>

Je persiste à croire que la thèse mancelle est erronée. Je considère comme particulièrement insoutenable l'opinion d'après laquelle l'auteur des Fausses Décrétales aurait entrepris son œuvre pour remédier aux maux que le schisme de Nominoé causait à l'église franque en général et spécialement à la province de Tours (p. 72). Un faux, surtout un ensemble de faux comme le recueil du pseudoIsidore, ne se fabrique pas sans but. Il y a quelqu'un qu'on veut convaincre. En l'espèce, qui visait-on? Nominoé avait brutalement dépossédé en 848-849 les évêques de Dol, Vannes, Quimper, Léon, après un simulacre de jugement. Il prétextait qu'ils étaient coupables de simonie, mais le prétexte ne trompa personne : les prélats condamnés, puis expulsés, n'étaient pas, en réalité, assez dociles et ne se prêtaient pas aux visées du duc des Bretons qui voulait se séparer de la Gaule aussi bien religieusement que politiquement, briser les

1. Paul Fournier, Étude sur les Fausses Décrétales. Louvain, 1907, in-8°, 121 p. (Extrait de la Revue d'histoire ecclésiastique, t. VII et VIII.)

liens qui attachaient à Tours les diocèses armoricains et faire de Dol la métropole de son État. Était-il besoin de fabriquer une masse de fausses décrétales pour démontrer que les procédés de Nominoé étaient intolérables? Persuader qui ? Le roi des Francs? Son clergé ? La papauté? Mais tous étaient profondément indignés de l'audace du Breton. Tous la condamnèrent solennellement, et, pour ce faire, nul besoin d'avoir recours à des textes apocryphes. Reste l'usurpateur lui-même. C'est vraiment à lui seul qu'il fallait s'adresser si l'on voulait réussir. Mais croit-on que le recueil du pseudo-Isidore, fût-il dix fois plus gros encore, eût pu toucher l'homme intraitable qu'était Nominoé? Il agissait illégalement, et il le savait, ou plutôt il créait le droit par la force, ce qui faillit réussir, puisque Tours n'eut gain de cause que trois siècles et demi plus tard, en 1199. En vérité, parmi les hypothèses que l'imagination des érudits peut enfanter, celle-ci est des plus invraisemblables'.

Très supérieure est l'attaque dirigée (p. 42-59) contre l'hypothèse rémoise, dont je suis partisan. M. Fournier s'efforce de démontrer que les Fausses Décrétales ont été utilisées à une époque d'accalmie, pendant laquelle Hincmar tolérait de fait les clercs ordonnés par Ebbon. Ceux-ci n'auraient eu intérêt à les composer qu'après 853; or, les Fausses Décrétales sont connues dès 852. Hincmar les cite en effet ou les invoque : 1° dans les statuts donnés au clergé de Reims le 1er novembre 852; 2° dans des capitula adressés aux doyens chargés de l'observation de ces mêmes statuts. M. Fournier montre très bien (p. 34-35), ainsi que M. l'abbé Lesne2, que ce dernier texte suppose le recours constant à la seconde décrétale du pseudo-Calixte. Il reconnaît d'ailleurs (p. 36) « qu'il n'est pas péremptoirement prouvé que les instructions données aux doyens datent de 852. Elles semblent le complément des statuts diocésains promulgués à la date du 1er novembre 852; mais elles ne portent pas explicitement cette date, à laquelle on ne les rattache que par une hypothèse; je dois dire que cette hypothèse est, à mon avis, extrêmement vraisemblable. » M. l'abbé Lesne (p. 300-301) donne un argument intéressant à l'appui il fait remarquer que tous les capitula d'Hincmar adressés aux archidiacres, doyens, prêtres sont datés. Seules les instructions aux doyens ne le seraient pas, sans qu'on voie la raison de cette anomalie. Elle cesse d'exister si ces instructions ne sont qu'un com

:

1. Elle a été émise en premier lieu par Langen, dans Historische Zeitschrift, t. XII, 1882, p. 473-493; cf. déjà Hinschius, Décret., p. ccIX, CCXIII. Il est à remarquer que ces savants sont des juristes et non des historiens.

2. La hiérarchie épiscopale en Gaule et Germanie (742-882). Paris-Lille, 1905, p. 300.

plément des statuts diocésains du 1er novembre 852. Or, dans ceux-ci, on trouve, au § xi, un renvoi au pseudo-Étienne : « Idem Stephanus sanctus papa et martyr ad sanctum Hilarium in suis decretalibus docuit. J'ai supposé' que cette phrase pouvait être une addition; M. l'abbé Lesne objecte justement (p. 303-304) que c'est l'ensemble du § xi qui sent le pseudo-Isidore2. Resterait à savoir si la date du 1er novembre 852, qui ne nous est connue que par l'édition de Sirmond3, est exacte. Peut-être les deux derniers jambages de la date étaient-ils formés par un V oncial (écrit U) et ont-ils été lus D CCC LII, au lieu de D CCC LV, comme il arrive fréquemment. En tous cas, le texte est antérieur au 10 juin 856, puisque, à cette date, Hincmar complète ses capitula par de nouvelles instructions.

Quoi qu'il en soit, il apparait que ma tentative d'abaisser, — je ne veux pas dire la composition 5, mais la mise en circulation des Fausses Décrétales, jusque vers 8586 et même 859 était hasardeuse. Postérieure à 847 (tout le monde est, je crois, d'accord sur ce point), sa publication peut se placer vers 854-855, si ma correction hypothétique proposée plus haut se justifiait, ou encore vers 852, selon l'opinion reçue aujourd'hui.

Laissons de côté, du moins provisoirement, la province de Reims. - M. Fournier revient (p. 24-33) sur les coincidences de vocabulaire, signalées en premier lieu par Weiszäcker et Simson, entre pseudoIsidore et un certain nombre de textes manceaux. Il est certain que l'auteur des Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, lequel a écrit entre 850 et mars 8577, a connu pseudo-Isidore. Les critiques adressées par celui-ci à l'institution des chorévêques l'ont touché au vif,

1. Études sur le règne de Hugues Capet (Paris, 1903, in-8°), p. 373.

2. L'objection de M. Fournier (p. 36) est moins forte vers 900, Réginon connaît ce chapitre avec son renvoi à pseudo-Étienne; donc, « jusqu'à preuve du contraire, le texte tel qu'il se présente à nous jouit de la possession ». C'est l'argument juridique dans toute son horreur.

3. Appendice au tome III de ses Concilia Galliae. Dans son édition des Opera Hincmari, il se borne à reproduire l'édition précédente.

4. Et non 857, comme le dit M. Lesne (p. 301); la douzième année de l'épiscopat d'Hincmar, sacré le 3 mai 845, commence en effet le 3 mai 856 pour se terminer le 2 mai 857. Ces Capitula étant du 10 juin sont de 856.

5. P. 373, 1. 22 des Études sur le règne de Hugues Capet, remplacer rédaction par publication, comme l'exige la phrase qui suit.

6. La lettre 130 de Loup de Ferrières adressée au pape contient un renvoi à pseudo-Melchiade. Sa date se place en 858, entre le 24 avril et le mois de juillet. Elle est rédigée au conventus apud Baiernam. Voy. Levillain, Loup de Ferrières, p. 176-177.

7. Avant la mort d'Aldric, laquelle doit se placer non le 7 janvier, mais le 24 mars 857. Voy. Duchesne, Fastes épiscopaux, t. II, p. 339.

et lui, qui ailleurs subit docilement l'influence des Fausses Décrétales, plaide ici les circonstances atténuantes. Il s'efforce de montrer que, du moins dans le diocèse du Mans, les chorévêques ont toujours répondu à une nécessité réelle. Il est visible que l'auteur plaide pro domo, et l'attribution des Actus au dernier chorévêque du Mans David, proposée par Julien Havet', me semble toujours séduisante. Même si l'on rejette cette attribution, il est clair que l'auteur des Actus, quel qu'ait été son nom, croit à l'authenticité des Fausses Décrétales. Il n'est donc pas pseudo-Isidore2.

Non moins intéressants sont la fausse bulle de Grégoire IV, datée du 8 janvier 833, et le Memoriale inséré dans la seconde partie des Gesta Aldrici. Dans le premier de ces textes, « le pape est censé déclarer que si un adversaire d'Aldric, évêque du Mans, s'avise de former une accusation contre ce prélat, Aldric aura toujours le droit de porter sa cause devant le Saint-Siège, par voie d'appel ou directement ». Le second est le récit du procès à la suite duquel Aldric aurait soi-disant obtenu en 838 la restitution de l'abbaye de SaintCalais. Postérieurs à la mort de Louis le Pieux (840), ces deux textes sont certainement antérieurs à la mort d'Aldric (857) 3. Ce qui fait leur grand intérêt, c'est qu'ils sont faits d'une « mosaïque de fragments tirés des décrétales et des canons authentiques qui ont précisément fourni des matériaux au faux Isidore. Il y a plus on a pu constater que bon nombre des fragments employés par l'auteur de la bulle ont été insérés dans le tissu des apocryphes pseudo-isidoriens; les tableaux dressés par MM. Hinschius et Simson en fournissent la démonstration

1. Bibl. de l'École des chartes, t. LIV, p. 668.

2. On ne comprend vraiment pas que B. Simson ait pu avoir l'idée de l'identifier avec lui.

3. M. Fournier veut préciser et propose (p. 80-81) de placer la fabrication de la fausse bulle en 850, époque à laquelle Nominoé occupa le Mans. « On comprend l'angoisse où se trouva l'évêque, partisan dévoué du roi franc, membre considérable de l'église franque et suffragant important du métropolitain de Tours. Il dut s'imaginer que le conquérant se proposait de le traiter comme les évêques de Bretagne qui lui avaient déplu, c'est-à-dire de l'accuser et de le déposer. Or, on savait alors au Mans, par l'œuvre connue sous le nom de Gesta Aldrici, qu'Aldric avait été fort apprécié du pape Grégoire IV. L'idée se présenta sans doute naturellement à un partisan d'Aldric d'imaginer la fausse bulle et de la placer sous le nom de Grégoire IV. » Ici encore, j'ai le regret de constater que l'auteur se montre plus juriste qu'historien. Rien de plus invraisemblable que de supposer que Nominoé, qui brûlait sans pitié églises et monastères, se serait laissé arrêter par un morceau de parchemin. Les préoccupations prétées à Aldric n'ont, d'ailleurs, aucune probabilité. Nominoé fit une razzia dans le Maine, rien de plus. Lui-même savait fort bien qu'il ne pourrait étendre si loin ses conquêtes et garder le Mans.

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