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gouverneurs de Sibérie ne se faisaient nul scrupule d'adresser, de leur propre autorité, émissaires et marchands en Chine. Les ministres chinois révélèrent à Sava Vladislavitch plus de cinquante expéditions de ce genre, bien que la cour n'eut officiellement envoyé que les ambassades indiquées ci-dessus. L'exemple le plus frappant fut donné par le gouverneur général de la Sibérie, le prince Mathieu Petrovitch Gagarin, qui du reste paya ses exactions de sa tête. De leur côté, les marchands, attirés par l'appât du gain, trouvaient mille manières de frustrer le fisc. Il se faisait un actif commerce de fourrures à Ourga, souvent en cachette, malgré la présence d'un inspecteur russe dans la ville. Dans la Sibérie occidentale, à Tobolsk, à la foire d'Irbit, à Tomsk, même à Irkoutsk et jusqu'en Transbaïkalie, le commerce était presque tout entier aux mains des Boukhariotes. Agents du Kontaicha kalmouk, ils se voyaient, à ce titre, ménagés et déchargés d'une partie des douanes. Avec leurs relations en Sibérie et en Chine, leurs associations et leurs compagnies, il était impossible, de nombreux documents officiels le reconnaissent, d'arrêter leurs fraudes. Cependant le gouvernement multipliait les précautions. Des douanes étaient installées aux portes de la Sibérie, l'une à Verkhotour, dans la Sibérie occidentale, l'autre à Nertchinsk, près de la Chine. Chacune devait fournir le relevé des marchandises et la quittance d'acquittement des droits. Copie de cette sorte de mémorandum double » était envoyée à l'autre bureau. Elles percevaient la dîme, en nature sur les dizaines complètes, en argent sur les autres. Par la Sibérie, par le couvent de l'Ambassade sur le Baïkal, les caravanes officielles s'acheminaient vers Pékin. A la frontière, plusieurs passages s'offraient à elle. Les premières suivirent le plus long, mais le plus sûr, la route de Nertchinsk par le sud-est vers Naoun (Tsitsikar) et Pékin. Ce fut celle de Sp. Liangousov, 1696-1699, de G. Bokov, 1699-1701, de Iv. Savatiéev, 1702-1704. La route de l'Orkhon et de la Tola, pour dure qu'elle fût, avait l'avantage d'être parcourue en soixante-dix jours au lieu des cent cinquante de la voie précédente. Aussi, dès le début du XVIIIe siècle, les caravanes la prennent-elles presque toutes (G. Oskolkov, 1704-1706 et 17111715, P. Khoudiakov, 1706-1708 et 1711-1713, M. Gousiatnikov, 1714-1718, Th. Istopnikov, 1718-1723). La route du Kéroulen, la plus directe, était fermée par la Chine. Par exception, Lang la suivit avec la caravane de 1731, à cause des inva

sions kalmoukes. La Russie eut aussi l'idée d'utiliser un chemin par l'Irtych, à travers les états du Kontaicha, et la Chine aurait favorisé ce dessein, - la proposition de K'ang-hi à Izmaïlov semble l'indiquer : c'eût été une occasion de conflits perpétuels entre ses deux voisins. Parvenus à Pékin, les deux cents membres de la caravane officielle (la Chine n'en tolérait pas davantage) étaient entretenus, comme le personnel de la mission orthodoxe, aux frais du Bogdy Khan. Ce n'est pas la crainte de la concurrence qui rendait méfiants les Chinois : leurs exportations semblent dépasser de beaucoup leurs achats. La Chine rece vait de la Russie des fourrures, des objets manufacturés en étain ou en plomb, des montres; ses sujets mongols se fournissaient de draps européens à Ourga. La Russie, en Chine, recherchait surtout les damas et soieries, les lingots d'or et d'argent nécessaires au Trésor; les porcelaines ne venaient qu'en seconde ligne. Les plantes formaient un objet d'échange important le thé, à cette époque, apparaît à peine; par contre, les plantes médicinales sont fort prisées, l'anis et, en particulier, la rhubarbe. Le tabac chinois ou « boule chinoise », « kitaïskii char », fait sur les marchés de Sibérie une concurrence acharnée à la « nicotiane », introduite d'Occident par les Anglais. Cependant le commerce officiel de Sibérie est peu actif. L'ambassadeur français Campredon, généralement bien informé, l'évalue, en 1721, à 200,000 roubles. Pour l'augmenter, malgré les tendances de la cour, vers 1726-1727, à supprimer le monopole d'un certain nombre d'articles, Sava Vladislavitch fit prévaloir ses idées : suppression absolue du commerce en Mongolie, privilège exclusif de la Couronne à Pékin et marché d'échanges à Kiakhta. La Chine, bien pourvue de fourrures par la contrebande de Mongolie, et qui avait toujours cherché à éloigner les Russes de Pékin, vit avec plaisir le commerce reporté à la frontière. Si Tsouroukhaïtou, près Nertchinsk, mal situé, ne tarda pas à disparaître, Kiakhta fut solidement établi et prospéra. Cependant, jusqu'au deuxième quart du XVIII° siècle, monopoles, privilèges et peines les plus sévères n'avaient pu triompher du trafic clandestin: Sibériens, Boukhariotes et Mongols, à défaut du fisc impérial, y trouvaient leur intérêt.

Ainsi les rapports de la Russie avec la Chine s'étaient notablement modifiés de la fin du xvir° siècle à l'époque où nous sommes parvenus. Vers 1680-1689, toute la région de l'Amour, toute la

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GASTON CAHEN.

RELATIONS DE LA RUSSIE AVEC LA CHINE.

Transbaïkalie même retentissait du bruit des armes : les Chinois cherchaient à refouler les Russes au delà du bassin de l'Amour, les Mongols aidaient les Chinois, les Brates, frères des Khalkhas de Mongolie propre, restaient menaçants en territoire russe. Golovin, l'ambassadeur de 1689, dut à la fois combattre et négocier. Alors la Chine tenait un langage hautain; les ministres chinois à Nertchinsk se déclaraient prêts à la guerre la Russie cédait dans l'intérêt de son commerce. En 1727-1728, c'est à l'ambassadeur de la Russie, Sava Vladislavitch, de montrer une assurance fière. C'est lui qui parle de guerre, lui qui obtient des concessions. L'histoire des luttes de la Chine contre les Kalmouks explique, semble-t-il, ce changement. Obligée contre eux à de longues campagnes, très pénibles, très coûteuses et sans cesse renaissantes, la Chine chercha des appuis soit auprès des Tourgoutes, qu'elle eût opposés aux Éleuthes, soit auprès de la Russie. Celle-ci sut, une fois au moins, profiter de ces conjonctures pour fixer la frontière au mieux de ses intérêts et surtout pour développer son commerce. Si, malgré privilèges et monopoles, il restait peu productif pour la Couronne, du moins faut-il reconnaître l'importance qu'y atta chait la Russie et la continuelle activité des échanges grâce aux fraudes des gouverneurs, des marchands, des intermédiaires. L'histoire des relations de la Russie avec la Chine au XVIIIe siècle est étroitement liée à l'histoire des peuples placés entre les deux empires, les Boukhariotes, pour le commerce; pour les rapports diplomatiques, les Tourgoutes, les Kalmouks, les Mongols.

Gaston CAHEN.

MÉLANGES ET DOCUMENTS

LA MORT DE ROBERT D'ARTOIS.

Banni de France, pour avoir fabriqué de fausses lettres afin d'hériter du comté d'Artois, Robert d'Artois s'était réfugié en Angleterre, où il avait offert ses services à Édouard III, qui s'était empressé de les accepter. L'ennemi de Philippe VI de Valois, le roi anglais prétendant au trône de France, avait comblé Robert de faveurs et l'avait doté de riches pensions'. Aussi bien savait-il que la vengeance de l'exilé était implacable et que son concours serait inappréciable le jour où l'on débarquerait sur le continent. Robert prit du service dans l'armée anglaise et suivit le roi dans toutes ses expéditions; il prit part aux campagnes de Thiérache et de Tournaisis et, lorsque le roi d'Angleterre se décida, à la fin de 1342, à envahir la Bretagne, Robert reçut le commandement de l'un des corps d'occupation. Dès le mois de décembre 1344, on le désignait comme devant être le commandant en chef de l'expédition 2. Pour des raisons diverses, son départ fut successivement ajourné à mars 3, puis à juillet, enfin à août 1342. Le 13 août 1342, Robert d'Artois était à Southampton, prêt à mettre à la voile. Il n'attendait plus que le matériel nécessaire à l'embarquement des chevaux, les derniers vivres et les dernières munitions. Aussi écrivait-il à son ami Raoul de Stratford, évêque de Londres et chancelier d'Angleterre, afin que des ordres sévères fussent donnés de la capitale au shériff du comté de Southampton :

Tres cher et tres amé amy. Pur ce que nous sumes à passer entre autres vers les partiez de Bretaigne et y nous faut des pountz,

1. Déprez, les Préliminaires de la guerre de Cent ans. La Papauté, la France et l'Angleterre, p. 224.

2. Record Office, Issue Rolls, Michaelmas, m. 17.

3. Ibid., m. 17. Le 12 mars, Robert devait partir avec Gautier de Masny. 4. Rymer, II, 4, p. 129. Le 3 juillet, Robert se tenait prêt à partir avec 120 hommes d'armes, dont 4 bannerets, 29 chevaliers, 86 écuyers et 120 archers. Il avait comme gages 8 sous par jour.

claies, bordz, cavenas et autres necessaris pur l'eskippeson de nos chivalx et autres qi sount à passer en nostre compaignie vers les ditez parties, vous pry qe vewes cestes voillez mander a viscounte de Suthampton bref par le portour de ceste de faire la purveance de tottes choses necessairs pur le dit eskippeson. Ceste chose voillez fere pur l'amour de nous. Le Seint espirit vous eyt en sa garde. Escrit à Suthampton, le xine iour d'aust, par Robert d'Artoys, counte de Beaumont'. >>

S'il faut en croire le chroniqueur anglais Adam de Murimuth2, une flotte anglaise de 260 vaisseaux, qui transportait le contingent commandé par Robert, aborda le 18 août près de Brest. Robert chevaucha dans toute la Bretagne et, aidé par les partisans de Jeanne de Montfort, il vint mettre le siège devant Vannes. Blessé dans une attaque assez grièvement, il mourut des suites de ses blessures le 20 novembre, sous les yeux d'Édouard III, qui avait quitté l'Angleterre le 23 octobre pour amener en Bretagne les derniers renforts.

Certains chroniqueurs affirment que Robert d'Artois est mort en Angleterre3. Froissart a même, à cette occasion, conté une petite histoire. Après le siège de Vannes, dit-il, « si demora messires Robers d'Artois un temps bleciés et navrés, si com vous avés oy. En le fin il li fu consilliet et dit, pour le mieulz mediciner et garir, qu'il s'en repairast en Engleterre car la trouveroit il surgiiens et medecins à volenté. Si crut ce conseil, dont il fist folie, car au retourner en Engleterre il fut durement grevés et appressés de le maree. Et s'en esmurent telement ses plaies que, quant il fu venus et aportés à Londres, il ne vesqui point longtemps depuis, anzois moru de ceste maladie, dont ce fu damage. Si fu ensepelis à Saint Pol de Londres. » L'exilé aurait ainsi eu une fin malheureuse, digne d'apitoyer les cœurs sensibles : grièvement blessé à la tête, dit-on, il ne put supporter le mal de mer et revint mourir en Angleterre, sa seconde patrie. Et, dans une seconde rédaction de ses chroniques, Froissart ajoute que Robert obtint un sauf-conduit de Charles de Blois, qu'il fut enterré aux Augustins de Londres et que la cour, le roi, le prince de Galles et les princes du sang prirent le deuil3.

Le récit de Jean Froissart est une pure invention. Robert est mort en Bretagne, entre Vannes et Grand-Champ. Le 25 novembre,

1. Record Office, Ancient Correspondence, vol. XXXIX, n° 71.

2. Rolls Series, éd. Thompson, p. 125-126.

3. Chronique normande, p. 156.

4. Froissart (éd. Luce), t. III, p. 19-20.

5. Ibid. (éd. Luce), t. III, p. 223.

6. Grand-Champ (Morbihan), arr. de Vannes.

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