ces déclarations solennelles se trouvèrent bientôt oubliées, quand la métaphysique qui les systématisa perdit son ascendant, d'après une épreuve décisive. Telle est l'insuffisance des sentiments dépourvus de convictions durables, qu'une aberration sans exemple succéda rapidement à ce digne élan, sous le vain prétexte d'une propagande oppressive promptement remplacée par un égoïsme avoué (1).» Toutefois, ce légitime amendement apporté au jugement de la Philosophie positive n'affaiblit point le verdict rendu contre Bonaparte lui-même. Nous nous souvenons d'avoir entendu Auguste Comte, dans son dernier cours public sur l'histoire générale de l'Humanité, proclamer solennellement qu'entre autres réparations envers la République occidentale, la France régénérée par le Positivisme devra renvoyer inexorablement à Sainte-Hélène la cendre du grand réprouvé, et la remplacer dans sa tombe par les glorieux restes du général Mallet. Pour M. Mignet, dont l'opinion doit tou jours être prise en si haute considération, Bonaparte était loin, sans doute, de mériter la 1. Politique positive, tome III, page 606. glorification qui lui fut trop longtemps ac cordée. Il dit, à propos de la suppression du conseil des Cinq-Cents. << Ainsi fut consommée cette violation de la loi, ce coup d'État contre la liberté. La force commença sa domination. «... Mais il est juste pourtant de distinguer le 18 brumaire de ses suites. On pouvait croire alors que l'armée n'était qu'un auxiliaire de la Révolution comme au 13 vendémiaire, comme au 18 fructidor, et que ce changement indispensable ne tournerait pas au profit d'un homme, d'un homme seul, qui changerait bientôt la France en un régiment, et qui ne ferait entendre dans le monde, jusque-là agité par une si grande commotion morale, que les pas de son armée et le bruit de sa volonté (1). » ".....Le Consulat fut la dernière période de l'existence de la République. La Révolution commença à se faire homme. Pendant la première époque du gouvernement consulaire, Bonaparte s'attacha les classes proscrites en les rappelant ; il trouva un peuple encore agité de toutes les passions, qu'il ramena au 1. Révolution française, t. II, pages 269-270. calme par le travail, au bien-être par le rétablissement de l'ordre; enfin, il força l'Europe, une troisième fois vaincue, à reconnaître son élévation. Jusqu'au traité d'Amiens, il rappela dans la République la victoire, la concorde, le bien-être, sans sacrifier la liberté. Il pouvait alors, s'il avait voulu, se faire le représentant de ce grand siècle, qui réclamait la consécration d'une égalité bien entendue, d'une liberté sage, d'une civilisation plus développée, ce noble système de la dignité humaine. La nation était entre les mains du grand homme,ou du despote,il dépendait de lui de la conserver affranchie, ou de l'asservir. Il aima mieux l'accomplissement de ses projets égoïstes, et il se préféra tout seul à l'Humanité entière. Élevé sous la tente, venu tard dans la Révolution, il ne comprit que son côté matériel et intéressé; il ne crut ni atix besoins moraux qui l'avaient fait naître, ni aux croyances qui l'avaient agitée, et qui tôt ou tard, devaient revenir et le perdre. Il vit un soulèvement qui prenait fin, un peuple fatigué qui était à sa merci, et une couronne à terre qu'il pouvait prendre (1). » 1. Révolution française, tome II pages 313-314. << Son génie entreprenont et organisateur, sa puissance de vie et de volonté, son amour de la gloire, et l'immense force disponible que la Révolution avait mise entre ses mains, ont fait de lui l'être le plus gigantesque des temps modernes. Ce qui rendrait la destinée d'un autre extraordinaire, compte à peine dans la sienne. Sorti de l'obscurité, porté au rang suprême, de simple officier d'artillerie devenu le chef de la plus grande des nations, il a osé concevoir la monarchie universelle, et l'a réalisée un moment. Après avoir obtenu l'empire par ses victoires, il a voulu soumettre l'Europe au moyen de la France, réduire l'Angleterre au moyen de l'Europe, et il a établi le système militaire contre le continent, le blocus contre la Grande-Bretagne. Ce dessein lui a réussi pendant quelques années; et de Lisbonne à Moscou il a assujetti les peuples et les potentats à son mot d'ordre de général et au vaste séquestre qu'il avait prescrit. Mais il a manqué de cette manière à la mission réparatrice du 18 brumaire. En exercant pour son propre compte la puissance qu'il avait reçue, en attaquant la liberté du peuple par ses institutions despotiques, l'indépendance des États par la guerre, il a mécontenté et les opinions et les intérêts du genre humain ; il a excité d'universelles inimitiés; la nation s'est retirée de lui; et après avoir été longtemps victorieux, après avoir planté ses étendards sur toutes les capitales, après avoir, pendant dix années, augmenté son pouvoir et gagné un royaume à chaque bataille, un seul revers a réuni le monde entier contre lui, et il a succombé en prouvant combien de nos jours le despotisme est impossible (1). » XXI. Depuis Napoléon Ir, qui a consommé l'avortement de la Révolution, jusqu'à nos jours, l'histoire de la France offre une période stationnaire ou d'oscillations entre l'anarchie et la rétrogradation, entre les efforts du progrès et les résistances de l'ordre, pendant laquelle s'élaborent les principes qui doivent servir de 1. Révolution française, tome II pages 360-361. |