tionnée, pour chacun, à sa condition sociale, et, dans certains cas exceptionnels, à la spécialité, au développement de son génie. Posé dans ces termes, le problème des grands avantages de l'éducation et de l'instruction, apportées comme remèdes au paupérisme moral, sera toujours nécessairement résolu par l'affirmative. J.-J. Rousseau fait un volumineux roman sur l'éducation, le commence par un étrange paradoxe, le termine par des corollaires excentriques et dangereux. << Tout est bien, dit-il, sortant des mains de l'auteur des choses; tout dégénère entre les mains de l'homme. » Nous lui laisserons volontiers préférer les stériles productions du sol naturel aux riches moissons de la culture; les fruits sauvages, à ceux que l'on obtient par la greffe; le barbare ignorant, à l'homme instruit et civilisé mais nous ne le suivrons pas dans toutes les divagations de son œuvre, c'est bien assez d'en avoir achevé la lecture; d'autant moins que sa monomanie paradoxale fut, de tous les genres de folies, et la plus profonde et la plus incurable. En supposant même qu'il eût raisonné juste, à quelles déplorables conséquences ne devait-il pas arriver, lorsqu'il voyait les véritables caractères de l'humanité dans le sauvage inculte et grossier, au lieu de les placer dans l'homme élevé à sa hauteur physique et morale par les bienfaits d'une éducation sage, d'une bonne et solide instruction ! «La grande erreur de Rousseau, dit M. de Chateaubriand, est d'avoir supposé que l'état sauvage est l'état de nature l'état de nature est pour l'homme l'état de civilisation, plus cette civilisation est avancée, plus l'homme approche de son existence naturelle. Pourquoi cela? Par la raison que nous sommes des êtres pensants, sociables et perfectibles. >> << Nous valons infiniment moins, dit M. Tissot, par la nature seule que par l'art ou par la société. Tout ce que nous sommes en tant qu'êtres raisonnables, c'est à l'éducation que nous le devons... Fortifier le corps, le rendre habile à servir l'intelligence; développer celle-ci, intéresser la sensibilité dans le sens de la raison; faire converger toutes les puissances de l'homme vers le bien; réconcilier la nature humaine en apparence divisée avec elle-même, établir l'harmonie entre toutes les puissances de l'âme, entre la sensibililė et l'intelligence, ce doit être le but de toute bonne éducation. C'est ce que Montesquieu a très-bien exprimé en disant : « Que tout le gain de notre instruction est d'en être devenu meilleur. » L'erreur capitale du plus grand nombre de ceux qui ont écrit pour ou contre la culture morale des peuples est d'avoir presque toujours confondu l'instruction avec l'éducation, et presque jamais convenablement précisé le genre et le degré d'enseignement qui convient à chacun des ordres sociaux auxquels il faut l'appliquer. C'est en conséquence d'une aussi déplorable confusion, d'un abus aussi dangereux de principes et de raisonnements, que le paradoxal Jean-Jacques est arrivé à l'énormité de résoudre, négativement, cette question ainsi posée par l'académie de Dijon : « Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les mœurs?» Et l'académie de Dijon à l'énormité plus grande encore de couronner un pareil travail !... Du reste, elle en reçut la digne récompense dans la déclaration suivante, que nous reproduirons ici pour l'édification de toutes les compagnies savantes qui se trouveraient dans la nécessité d'apprécier des productions semblables: « Qu'est-ce que la célébrité, dit J.-J. Rousseau? Voici le malheureux ouvrage à qui je dois la mienne. Il est certain que cette pièce qui m'a valu un prix, et qui m'a fait un nom, est tout au plus médiocre; et j'ose ajouter qu'elle est une des moindres de tout ce recueil. Quel gouffre de misères n'eût point évité l'auteur, si ce premier écrit n'eût été reçu que comme il méritait de l'être ! mais il fallait qu'une faveur, d'abord injuste, m'attirât par degrés une rigueur qui l'est encore plus. >> Sans doute, l'instruction sans l'éducation serait plus nuisible qu'utile; sans doute, une instruction populaire fausse, immorale, ou seulement exagérée, sans bonne direction et sans opportunité, produirait presque toujours de funestes résultats; mais une instruction dirigée par une éducation sage, qui doit en être la souveraine au lieu d'en devenir l'esclave; une instruction vraie, religieuse, offrant pour but essentiel d'apprendre à l'homme à connaître ses droits, à remplir consciencieusement ses devoirs, habilement, avec fruit, les travaux de sa profession, sera pour tous les hommes le premier des bienfaits; pour toutes les nations, la première garantie de bienêtre, de bonheur et d'ordre social. Quel est en conséquence le gouvernement, ami sincère du progrès, des lumières, de la civilisation, qui n'aimera pas mieux diriger avec bienveillance des hommes, que traiter despotiquement des brutes; et qui ne s'empressera pas de répandre, avec discernement et mesure, une éducation solide, une instruction fructueuse, pour élever les secondes à l'intelligence, à la dignité des premiers? Tels sont, à ce double point de vue, le devoir le plus impérieux et la plus noble prérogative du pouvoir social!... << Sous quelque régime que nous soyons appelés à vivre, dit M. Ulysse Ladet, quelle que soit la forme du gouvernement chargé de veiller à nos destinées, le fond de la politique sera toujours d'aviser aux meilleurs moyens d'élever la situation morale, physique et intellectuelle de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre; c'est là l'impérieux devoir de tout gouvernement qui aspire à durer; c'est la première condition de vie de toute société qui ne s'abandonne point elle-même, et ne veut point périr. » « J'admire avec douleur, dit M. Cousin, le zèle extravagant de certains philanthropes, qui s'occupent avec tant de soin des prisons et négligent les écoles. Ils laissent se former le crime et s'enraciner les vicieuses habitudes, dans l'absence de toute culture et de toute éducation pendant l'enfance; et quand le crime est formé, quand il est robuste et vivace, ils entreprennent de se mesurer avec lui; ils essayent, ou de le terrasser par la terreur et le châtiment, ou de le séduire en quelque sorte par la douceur ou les caresses; tout cela est un contre-sens. Corriger importe, sans doute; mais prévenir est encore plus. >> «Comme Français, dit M. Ch. Lucas, je considère le mouvement de la criminalité et de la récidive, dans mon pays, sans rougir du présent; mais seulement je m'alarmerais pour l'avenir, et pour un avenir très-prochain, si, au dehors comme au dedans des pri sons, le pays ne prenait pas toutes les garanties morales de l'édu cation. >> « La conscience publique, dit M. J. Balmes, qui, en dernier résultat, est, pour ainsi parler, la somme des consciences particulières, est sujette aux mèmes influences que celles-ci; de sorte que l'enseignement ne lui suffit pas davantage, et qu'il lui faut encore le concours d'autres causes qui, en formant l'esprit, puissent former le cœur. <«< Education, instruction, moralisation du peuple ces mots, qui sont dans la bouche de tout le monde, prouvent combien vive et généralement sentie est la plaie du corps social, combien urgente est la nécessité d'apporter, à temps, un remède pour prévenir d'incalculables maux. >> En résumant toutes les opinions des savants auteurs que nous venons de citer, et toutes celles que nous pourrions ajouter encore, nous arrivons à cette conclusion importante que l'éducation et l'instruction sont les deux premiers et les deux plus salutaires moyens que le gouvernement puisse employer pour soulager ou guérir le paupérisme moral. Nous devons dès lors étudier ces deux moyens de civilisation et de bien-être dans leurs caractères essentiels, dans leurs applications pratiques à toutes les conditions de l'état social. TITRE DEUXIÈME. ÉDUCATION, INSTRUCTION. La confusion de ces deux genres de culture morale de l'homme. est devenue, dans tous les siècles, et particulièrement dans le nôtre, l'occasion des plus interminables discussions au point de vue de la théorie, et des plus funestes résultats à celui de l'application, relativement aux inconvénients, à l'utilité de ces grands moyens de perfectionnement de l'espèce humaine. Les thèses les plus opposées ont été soutenues avec une égale apparence de vérité, avec des conséquences fatales des deux côtés; et tout cela, parce que l'on définissait imparfaitement les points essentiels du problème à résoudre, et qu'au lieu de s'entendre avec fruit sur les choses, on disputait inutilement sur les mots. L'ÉDUCATION, & extpóyn, de tpépo›, j'élève, je nourris; educatio, de educo, je dresse, je développe; appliquée à l'homme, est l'action de développer et de diriger, autant que possible vers leur perfectionnement, les qualités physiques et morales qu'il a reçues de la nature; de prévenir ou de combattre les vices qui tendraient à les altérer. L'INSTRUCTION, † maideía, de maideúw, j'enseigne, j'instruis; institutio, de instruo, je donne de la science; envisagée au même point de vue, est l'action de cultiver les aptitudes naturelles de l'esprit humain, de lui transmettre les vérités actuellement dans le domaine des sciences et des arts, en lui fournissant ainsi les moyens d'arriver à la découverte de celles qui doivent l'enrichir un jour. D'après ces définitions simples, naturelles, puisées dans les faits, il est aisé de voir combien l'éducation et l'instruction diffèrent l'une de l'autre; combien leur confusion doit entraîner de sérieux inconvénients, surtout lorsqu'il s'agit de passer de la théorie des principes aux applications de la pratique. <<< Tous les plans d'éducation populaire, dit M. Michel Chevalier, tentés depuis 1789 jusqu'à ces dernières années, étaient mauvais, puisqu'ils supposaient qu'éducation était purement synonyme d'instruction, ou de cultúre intellectuelle. Il y a plutôt à se féliciter de leur insuccès qu'à le déplorer, car ils eussent semẻ, non le goût du travail, mais les germes de dissolution sociale. » « Je veux bien convenir, dit Lamennais, qu'aujourd'hui plus de gens peut-être savent lire et écrire, ce qui n'ajoute pas beaucoup, que je sache, aux lumières générales; que, dans le bouleversement de la société, le peuple a entendu parler d'une multitude de choses qu'il est incapable de comprendre et qu'il serait heureux. d'ignorer. >> « Il vaut mieux, dit M. M. Chevalier, qu'aujourd'hui la majorité |