que l'État ne doit pas être assez oublieux de ses droits et de ses devoirs pour exposer les individus et la société aux funestes conséquences d'un aussi déplorable système. Le pouvoir social doit ici donner à la responsabilité du gouvernement, à la société tout entière, et par des raisons plus importantes encore, les garanties qu'il s'empresse de fournir lorsqu'un médecin, un pharmacien, etc., veulent ostensiblement exercer; il doit soumettre le futur professeur et le maître de pension qui veut former un établissement de ce genre, à des épreuves de moralité, de capacité suffisantes, et ne jamais permettre la réalisation de leurs projets sans une autorisation formelle de sa part consécutivement aux résultats favorables de son enquête et des examens réguliers qu'il aura fait subir. Il doit ensuite conserver le droit de surveillance particulière sur les établissements, sur les professeurs, pour tout ce qui tient aux bonnes mœurs, à la morale, à l'observation des lois et règlements de l'État. Du reste, ces conditions étant bien observées, l'instituteur restera maître de choisir les méthodes et les procédés qui lui sembleront convenables: c'est ici que la liberté peut acquérir son entier développement, tant qu'elle ne porte aucane atteinte à ces règlements, à ces lois. Dans l'enseignement public, soit qu'il se trouve soumis à la commune, soit qu'il relève directement du ministère de l'instruction, le pouvoir social doit avoir une intervention plus directe, une action plus positive encore. Il doit, dans les écoles primaires, secondaires, dans les colléges, etc., avoir le droit de surveillance et d'inspection. Il nous semblerait, en effet, bien étrange d'admettre, chez nous, cette regrettable coutume anglaise, où l'on voit le gouvernement, qui n'avait pas le droit d'inspection dans les universités, l'acquérir ou plutôt l'extorquer, tantôt en leur faisant craindre le refus des subsides, tantôt en les donnant avec assez de libéralité pour s'en faire un mérite : l'État doit, en France, savoir exercer ses droits équitables, et ne jamais revendiquer ceux qu'il ne croit pas bien fondés. Quant aux lycées, aux écoles supérieures et spéciales, il faut qu'elles soient dirigées par le pouvoir social, qui pourvoit aux charges, règlements, et dirige les études au moyen des titulaires auxquels il confère les droits appropriés à la gestion de ces utiles et précieux établissements. Telle nous paraît devoir être la liberté de l'enseignement dans ses principes et dans ses grandes applications; ceux qui la voudraient plus entière et surtout plus absolue, nous sembleraient ou des insensés ou des ennemis de leur pays. << Athènes, dit M. Matter, et la Grèce qui imita Athènes, donnèrent à l'enseignement une liberté plus grande, qui n'eut pour limites que l'arbitre du professeur, et pour police que les lois du pays. Cette liberté avait ses périls; elle conduisit à la mort Socrate, qui, le premier, en usa... << Rome n'a eu de l'enseignement grec qu'une pâle imitation. A tout prendre, elle n'a pas beaucoup fait pour les sciences, pour les arts, pour les lettres, pour les idées. Que devenait l'enseignement sous la politique de l'empire, si le christianisme, achevant l'œuvre du mosaïsme, n'était venu affranchir à la fois les conscienceset les intelligences; faire une école de chaque assemblée de fidèles; un professeur, de chaque apôtre; un étudiant, de chaque catéchumène? Ce que le christianisme renfermait d'éléments d'émancipation ne se développa néanmoins qu'à mesure qu'il régna plus complétement sur les esprits, et sa domination ne put s'établir que lentement, puisqu'il eut à vaincre d'abord la corruption de l'antiquité; puis, la barbarie du moyen âge. «Il faut donc le dire, l'enseignement moderne, l'enseignement libre et pur est l'œuvre du christianisme tel qu'il est compris de nos jours, et celle de la civilisation, que la raison publique des trois derniers siècles a donnée au monde. En lui permettant d'être libre, en l'élevant à sa pureté idéale, la raison publique lui a donné enfin le moyen de s'étendre indéfiniment, et celui d'embrasser tout l'empire de la pensée : il n'est vrai qu'à ce titre. » Il nous reste, pour compléter l'étude pratique de la culture intellectuelle de l'homme, à considérer les caractères et les véritables conditions de l'instruction publique, afin de bien apprécier l'action du gouvernement dans cette grande et belle mission. CHAPITRE III. INSTRUCTION PUBLIQUE, UNIVERSITÉ. C'est ici particulièrement qu'en économie sociale et gouvernementale pratiques, il est essentiel de se bien entendre sur la nature des choses et sur la valeur des mots. Nous comprenons, sous le titre d'instruction publique, l'ensemble des moyens employés par l'État pour la culture morale de l'homme, de manière à lui donner le sentiment du principe religieux, de sa dignité personnelle, de la vertu, de l'amour du prochain, du travail; la science proportionnée au développement de ses facultés intellectuelles, et surtout nécessaire à l'exercice de la profession qu'il doit embrasser. N'est-ce pas assez faire comprendre qu'il faudra toujours unir ici la culture du cœur à celle de l'esprit, l'éducation à l'instruction? baser même la seconde sur la première? que le gouvernement, sans cesse préoccupé du bien-être, du bonheur des peuples, de sa propre gloire, trouvera, dans cette culture soumise à de grandes. améliorations, pour le fond et pour la forme, les seuls et véritables moyens d'une régénération sociale dont les épouvantables drames, si tristement accomplis depuis plus de soixante ans, n'ont que trop fait sentir l'impérieuse nécessité? A toutes les époques de la civilisation, l'instruction publique exista, mais avec des caractères et des modifications infinies. Tantôt le génie du siècle sembla précéder son développement, en être le principe; tantôt elle parut avoir l'initiative, et, d'effet, devenir cause. Dans les temps antiques, les beaux-arts et la littérature offraient le point saillant de l'instruction. « Longtemps, dit M. Kératry, cette étude a constitué toute la science qu'il fût permis aux esprits de recevoir. On était prêtre, juge, médecin, avocat, astronome, etc., parce qu'on possédait quelque chose, bien peu de chose de la langue d'Homère et de Virgile. » Sous la domination romaine, l'esprit de conquête et d'envahissement asservissait tellement toutes les intelligences, que la culture des lettres et des arts y fut très-secondaire; l'éducation morale, souvent faussée dans ses principes et surtout dans ses applications. Enfin, les ténèbres du moyen âge enveloppèrent, dans leur fatal réseau, tous les genres d'enseignements, et l'on ne vit bientôt poindre à la surface des sciences et des arts que les produits de la plus funeste superstition et de la plus stupide ignorance; jusqu'à ces temps heureux où l'esprit humain reprit le cours de ses conquêtes, en préludant à notre siècle merveilleux de lumières, dont l'avenir serait moins gros d'orages et plus rassurant sans doute, s'il avait su faire les mêmes progrès en morale, en religion !... << L'instruction publique, partie intégrante de l'éducation, dit Chateaubriand, ne peut être que ce que la font les siècles, la nature des mœurs, la forme du gouvernement: vouloir que l'on eût, chez nous, sous les capitaines francs, sous l'empire des lois saliques et ripuaires, sous l'oppression de la féodalité, sous le régime des états généraux, sous le sceptre oriental de Louis XIV, de l'instruction publique l'idée que nous en avons aujourd'hui, cela ne serait ni juste ni raisonnable. Une grande révolution s'est opérée dans l'esprit humain ; ce phénomène dont il n'y a point encore d'exemple : le retour à l'indépendance par les lumières, la rencontre de la civilisation et de la liberté, amène de force un changement dans l'ordre social. L'instruction publique, fille aînée de l'éducation, doit participer de ce changement. >> Nul doute que, dans nos temps modernes, l'instruction publique n'ait fait de grands et d'utiles progrès; mais nous prouverons, en étudiant son ensemble et surtout chacune de ses parties principales, combien elle se trouve, aujourd'hui même, encore au-dessous de ce qu'elle pourrait être en la constituant sur de meilleures bases, en la soumettant à des applications plus logiques et mieux appropriées. Au milieu du regrettable naufrage des sciences et des arts, la confusion, pour ne pas dire l'absence de leur enseignement, fit sentir l'impérieux besoin de rattacher l'instruction publique à des principes fixes; de la ramener, autant que possible, au dogme éternel de l'unité. Cette pensée conduisit à la création de ce monopole d'enseignement qui, sous le nom d'université, présenta, depuis, tant de vicissitudes et de modifications. L'UNIVERSITÉ, † âxaônμía, universitas, de universus, universel, qui comprend tout dans son ensemble; «est, dit l'Académie, un corps de professeurs et d'écoliers, établi par une autorité publique pour enseigner et pour apprendre les langues, les belles-lettres et les sciences. >> En France, l'université nous offre quelque chose de plus, on y voit, dès le principe, un corps enseignant avec ses franchises, ses immunités, ses priviléges, et, pour tout dire, un monopole scientifique avec ses faibles avantages et ses graves inconvénients. Charlemagne est regardé par quelques écrivains comme le fondateur de l'université; peut-être serait-il plus exact de ne lui attribuer que l'initiative de cette conception, qui n'aurait alors trouvé son institution légale et définitive que sous le règne de saint Louis. Toutefois, elle apparut d'abord avec ce que l'on nomma le trivium: grammaire, logique, rhétorique : formant le principe d'un enseignement universel; ensuite le quadrivium: arithmétique, astronomie, géométrie, musique; enfin, on crut sans doute compléter cet ensemble en y joignant: la théologie, la jurisprudence, la médecine et les beaux-arts: il est donc permis d'ajouter que, si l'université ne fut pas réellement la fille du moyen âge, elle devint assurément la conséquence de ses abus et de ses erreurs. M. Malbouche retourne cette pensée dans une intention qu'il ne prend pas la peine de dissimuler, et comme point d'appui de sa dernière conclusion: « Le moyen âge, dit-il, est l'enfant de l'université; ses hommes ont été créés par elle: ceux auxquels elle ne communiquait pas directement ses enseignements recevaient, des prêtres et des légistes, qu'elle seule formait, la règle de leur vie, leur morale, le principe et la fin de l'existence. Elle était la mère |