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tuées tout exprès et surtout commandées par de jeunes chefs, ardents et vigoureux. Quelques jeunes gens se sont distingués en Afrique ; si vous conservez cette fâcheuse conquête, il faut les avancer et leur donner le commandement des régiments d'abord, des colonnes plus tard.

J'arrive, un peu tard peut-être, à la relation des faits militaires. Nous n'avons vu aucun ennemi pendant les cinq premiers jours, mais aujourd'hui la cavalerie d'Abdel-Kader a attaqué mon arrière-garde dans le terrain haché qui sépare l'Amiguier de la Safsaf. D'abord je n'ai pas fait grande attention à la légère fusillade qui s'était engagée; mais voyant qu'elle devenait plus sérieuse, j'ai arrêté les têtes de colonne et je me suis porté à la queue de celle du centre avec l'intention de donner une leçon aux poursuivants, à qui on a trop laissé prendre, je crois, la douce habitude de harceler impunément. J'ai fait reployer tous les tirailleurs derrière un mamelon; j'ai formé trois échelons de cavalerie et deux d'infanterie. Au moment où je donnais au premier échelon l'ordre de laisser bien aventurer l'ennemi avant de le charger, le chef a cru que j'ordonnais la charge et il est parti au galop. Il a reçu de très près la fusillade d'une cavalerie supérieure ; six hommes ont été blessés, quatre chevaux tués et la charge a avorté. Je me suis avancé avec le second échelon et j'ai précipité le tout sur l'ennemi. Dans ce moment Mustapha, que j'avais fait appeler, et qui selon son habitude chassait le sanglier avec ses Douairs sur mon flanc gauche, est arrivé fort à propos sur le flanc de l'ennemi, pendant que nous le poussions de front. Sa déroute alors a été complète. Les plus mal montés sont tombés sous le fer et leur tête a été coupée. Dans le nombre se trouve un aga d'Abdel-Kader et un de ses chiaous. J'ordonnai de continuer la poursuite jusqu'à ce que tout fut dispersé. Cela nous a ramenés jusque sur l'A

miguier, mais ce n'était pas du temps perdu. La leçon était bonne. Elle apprenait aux Arabes qu'il ne faisait pas bon à nous flairer de si près; elle prouvait à nos soldats que, quand on veut se faire lions, on fait respecter sa queue. Cela était d'autant plus nécessaire qu'avant la charge plusieurs officiers m'assuraient que cela ne réussirait pas, que nous fatiguerions nos chevaux et que, quand nous ferions demi-tour, nous serions harcelés de nouveau. Nous n'en avons pas revu un seul, et cet acte de vigueur nous a probablement sauvé 100 ou 150 blessés que nous aurions eus dans le tiraillement d'arrière-garde qui aurait duré jusqu'à la Safsaf. Ajoutons qu'il est honteux pour 6,000 hommes de se laisser ainsi bafouer par une poignée d'hommes, bien que ce soit, il faut l'avouer, de fort habiles cavaliers. J'ai eu six hommes tués et treize blessés. Je vous ferai connaître par mon ordre du jour les militaires qui se sont distingués. Après ce combat, je me suis arrêté deux heures sur la Safsaf, à une lieue de Tlemcen. C'est là que Cavaignac, le bey et les chefs des Maures et des juifs sont venus me rejoindre. Ils ont été bloqués presque constamment. Abdel-Kader y était hier avec 5 ou 6,000 hommes et 120,000 têtes de bétail qui ont détruit les chétives récoltes qui existaient autour de Tlemcen. Il s'est retiré, diton, vers l'empire du Maroc ; j'ai vu les traces de deux pièces de canon qu'il traîne avec lui; d'autres disent qu'il m'attend au confluent de l'Isser et de la Tafna. Je le saurai bientôt; je donnerai un jour de repos à mes troupes et je marcherai sur lui.

Outre le désir de trouver Abdel-Kader, je suis forcé de marcher sur la Tafna, car il n'y a ici aucun moyen de vivre sans attaquer le petit magasin de la garnison. Je dois vous dire que ce pays tant vanté est une petite oasis qu'on trouve avec plaisir après avoir traversé les trente lieues de désert

stérile, incultivable, qui la séparent d'Oran; mais en mêmė temps on est étrangement surpris de voir quelque chose de si peu semblable au portrait oriental qu'on nous en avait fait. Tlemcen est un monceau de vilaines ruines; c'était un amas de petites cabanes carrées dont il ne reste plus que les quatre murailles plus ou moins dégradées ; une petite partie est encore debout et n'en est pas plus belle. Elle recèle 4,000 ou 5,000 juifs, Maures ou Coulouglis (1) qui ont l'air fort misérables et qui sont très malheureux par suite du blocus et de l'absence de tout commerce. Un tel état de choses ne peut durer si nous ne détruisons pas la puissance d'Abdel-Kader, si nous n'occupons pas le pays en force, il faudra que les habitants de cette malheureuse ville se soumettent à l'Émir ou que nous les enlevions pour les porter ailleurs. La contribution a commencé leur ruine, le blocus l'a bien avancée, et comme ils ne recueillent rien, il faudra bien que la petite bourse s'épuise.

La position topographique de cette ville est agréable. De belles eaux qui descendent de la montagne voisine la traversent, puis vont arroser des jardins et un bois d'oliviers, que je croyais plus vaste d'après les dires pompeux de nos Africains enthousiastes. Je crois être libéral en portant à 200,000 francs le produit des olives de Tlemcen. Après ce bois se trouvent quelques champs de médiocre qualité ; quelques pièces d'orge, restes d'Abdel-Kader, attestent que la récolte était fort chétive; du reste, pas un épi de froment. Il faut, dit-on, aller à six lieues de là, dans la montagne, pour en trouver; encore n'est-ce pas certain, mais ce qui est assuré c'est qu'il faudrait s'y battre avec les Kabyles pour récolter. Or, il faudrait deux jours pour rapporter un peu de

(1) Le Coulougli est le fils d'un Turc avec une femme arabe.

grain; pendant ces deux jours nous mangerions autant que nous aurions récolté et les troupes seraient harassées, incapables de rien entreprendre contre l'ennemi : il faut donc renoncer à moissonner, du moins pour le moment. En revenant, si les habitants de Tlemcen peuvent me fournir trois jours de vivres, je les mènerai moissonner avec moi. Je laisse encore trois cents éclopés à Tlemcen et je prends en remplacement deux cents hommes de la garnison et trois cents Coulouglis commandés par Cavaignac.

Ne pouvant faire partir cette dépêche que de Rachgoun, je ne la terminerai que là.

Rachgoun, 29 juin 1836.

L'ennemi ne m'a disputé ni le passage de l'Isser, ni celui du mont Talgouat, qui est cependant fort difficile. Arrivé à dix heures du matin à l'Isser, j'ai poussé mes têtes de colonnes vers la route qui longe la Tafna. J'ai laissé reposer les troupes jusqu'à trois heures après midi; j'ai fait tête de colonne à droite et j'ai pris la route qui passe sur la montagne. Tous les Arabes s'accordaient à la dire meilleure que celle d'en bas par la Tafna. Les officiers du génie soutenaient le contraire par inductions. Je me suis rangé du côté de ceux qui avaient vu, et j'ai bien fait. Par la montagne, quoiqu'il faille monter 500 mètres, on peut faire une bonne route carrossable en travaillant un jour ou un jour et demi. L'inconvénient, c'est qu'il n'y a que deux petites fontaines insignifiantes pour une grosse colonne ; mais il est partout aisé de protéger un convoi. La route passe dans les deux versants sur une arête flanquée par d'énormes ravins qui sont une fortification naturelle, mais il faut préalablement s'emparer du col avec une forte partie de la colonne. Il faut

trois heures à une colonne pour traverser cette montagne. J'ai couché au sommet le 27 et le 28, au pied du versant nord sur les bords de la Tafn, à quatre lieues de Rachgoun. En couchant là, j'avais deux objets faire vivre ma cavalerie dans quelques petites pièces d'orge que l'on rencontre si rarement dans cette terre promise, et reconnaître la route d'en bas. A quatre heures, j'ai marché sur ce chemin avec quatre bataillons et la cavalerie. L'infanterie a été successivement échelonnée sur des points protecteurs, la cavalerie ensuite, et avec les Douairs alliés je me suis porté jusqu'en vue de mon camp sur les bords de l'Isser. Nous avions trouvé plusieurs mauvais passages; mais là il en existe un où six cents hommes arrêteraient une armée. Deux montagnes à pic rétrécissent la vallée déjà fort étroite et la Tafna la barre exactement d'une montagne à l'autre en formant un ravin de 40 à 50 mètres de profondeur; les bords sont perpendiculaires. Les ingénieurs ont dû convenir que les Arabes avaient raison; s'il s'agissait de faire en pleine paix une route de Rachgoun à Tlemcen, il faudrait la faire par en bas, mais en temps de guerre, et avec les travaux que nous faisons dans les plus mauvais pas, il faut passer par en haut, c'est beaucoup plus sûr. Mais je ne ferai ni l'un ni l'autre celle d'en bas ne me convient aucunement, et, celle d'en haut n'ayant point d'eau, je ne puis y rester deux jours par ces chaleurs. D'ailleurs, n'ayant à Rachgoun que six mauvais fourgons mal attelés, cela ne vaut pas la peine que nous prendrions; pendant deux jours de travail, nous consommerions les vivres des fourgons et l'approvisionnement de Tlemcen n'en serait nullement augmenté. Je me bornerai donc à charger mes quatre à cinq cents chameaux ou mulets. J'espère qu'ils me porteront dix jours de vivres pour la colonne et pour deux mois pour la garnison de Tlemcen, ce qui

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