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Tallien. « J'ai demandé la parole pour expliquer un fait qu'on a présenté d'une manière inexacte à la Convention, parce que sans doute celui qui l'a rapporté avait intérêt à le dénaturer. Ce n'est pas avant-hier, comme on vient de le dire, mais bien hier soir à huit heures que trois représentans du peuple, du nombre desquels j'étais, se promenaient, non dans le bois des Tuileries, mais sur la terrasse le long du palais. Nous fîmes trois ou quatre tours sans faire attention si la conversation que nous tenions était entendue; cependant, ayant remarqué que cinq individus continuaient à nous suivre, nous leur dîmes que nous étions représentans du peuple. Deux de ces individus, qui ne sont pas les deux courriers du comité de salut public, répondirent que cela leur était égal, qu'ils s'en moquaient. Nous les arrêtâmes, et ils furent conduits au corps de garde : l'un se dit marchand de vin, et l'autre... »

Robespierre. « Le fait est faux ; mais un fait vrai c'est que Tallien est un de ceux qui parlent sans cesse avec effroi et publiquement de guillotine, comme d'une chose qui les regarde, pour avilir et pour troubler la Convention nationale. » Tallien. « Il ne fut pas du tout question des vingt mille espions. »

Robespierre. « Trois cents témoins l'ont entendu. Citoyens, vous pouvez juger de quoi sont capables ceux qui appuient le crime par le mensonge; il est facile de prononcer entre les assassins et les victimes. >>

Billaud-Varennes. « L'impudence de Tallien est extrême; il ment à l'Assemblée avec une audace incroyable! Le fait dont il est question s'est passé avant-hier, puisque je le savais hier à midi. Les hommes dont a parlé Tallien sont d'excellens jacobins; l'un se nomme Jarri. Mais, citoyens, nous nous tiendrons unis; les conspirateurs périront, et la patrie sera sauvée ! » (Applaudissemens.)

Tallien, d'un air troublé. « Je croyais avoir dit que c'était avant-hier....» (Murmures.)

On demande une seconde lecture du considérant adopté la veille sur la rédaction de Merlin.

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Barrère. « Cette séance ne sera pas infructueuse pour chose publique. Ne pas supprimer le considérant serait une chose dangereuse pour le gouvernement révolutionnaire ; car que dit le considérant? Que le droit qu'a la représentation nationale de décréter ses membres d'accusation est un droit inaliénable. Or, décréter une pareille disposition le lendemain qu'une loi sur le tribunal révolutionnaire était portée, et la décréter sur une motion inquiète, qui tendait à produire des craintes sur la sûreté des représentans du peuple, n'est-ce pas évidemment vouloir faire soupçonner aux esprits crédules et faire dire par les malveillans que le comité de salut public a eu l'intention de violer les lois qui constituent la représentation nationale? Mais il suffit que Merlin ait déclaré avoir écrit le considérant pour qu'aucune intention malveillante ne puisse lui être attribuée. Il n'en est pas de même de quelques-uns des auteurs de ces plaintes sourdes et de ces manœuvres contre le comité. Cependant la Convention ne peut pas en entendre une seconde lecture, et je demande que l'on passe de suite à l'ordre du jour sur les diverses motions, et que le considérant soit rapporté.

» Je vais citer deux faits qui prouveront à l'Assemblée que les manœuvres qu'emploient ici les conspirateurs pour anéantir la République coïncident parfaitement avec ce qui se passe en Angleterre.

>> Tous les députés ne lisent pas les papiers anglais; hé bien, apprenez que pour nationaliser la guerre que les puissances coalisées nous font on dit sans cesse que nous sommes sans gouvernement , que nous ne nous entendons pas nous-mêmes, que nous défaisons le lendemain ce que nous avons fait la veille, et que nous nous déchirons tour à tour. Vous lirez dans les papiers anglais les réponses de Pitt à Georges et au parlement; vous y verrez qu'il leur répète tous les jours:

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Quelle force peut avoir un gouvernement qui n'obtient pas » de respect, et qui ne jouit d'aucune confiance? » C'est ainsi que nous attaquent nos ennemis. Ils sont donc leurs complices ou leurs auxiliaires ceux qui le savent et qui secondent autant qu'il est en eux cette sorte d'attaque par les méfiances dont ils nous entourent! Certes ceux-là ne sont pas jaloux du gouvernement qui cherchent par des insinuations perfides à empê

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cher le gouvernement de se rallier autour de la Convention, et la Convention autour du gouvernement, dont il est le bras.

» On est jaloux de la gloire de son pays lorsqu'on cherche à donner de l'énergie et de la force au gouvernement national.

» On est jaloux des succès de la révolution républicaine lorsqu'on aide le gouvernement à vaincre ses ennemis intérieurs au lieu de lui en créer de nouveaux.

>>

par

» On est jaloux de l'honneur de la Convention nationale lorsqu'on entoure ses opérations et ses comités de confiance et d'exécution, au lieu de les décrier et de les entraver sans cesse. Citoyens, nous ne pouvons vaincre l'Europe royalisée que l'ensemble de nos vœux et de nos délibérations, car les moyens de la République sont abondans et vigoureux : aussi le génie malfaisant des Anglais souffle sans cesse la division parmi nous. Tantôt ils ont voulu diviser les deux comités de sûreté générale et de salut public, ensuite diviser les membres de ces comités entr'eux, ensuite diviser les comités et la Convention, et enfin diviser la Convention et le peuple.

>>

Jusqu'à présent les efforts liberticides des factions de l'étranger n'ont pu féconder les germes de division qu'ils ont apportés dans notre sein. Comment donc auraient-ils conçu de nouvelles espérances, maintenant que les armées ont des succès, que l'intérieur est plus tranquille, et que les chefs des factions ont subi la peine due à leurs crimes? Non, citoyens, leurs espérances horribles n'auront plus lieu, puisque les représentans ne peuvent plus douter que toutes les fois qu'ils attaquent, qu'ils tourmentent et qu'ils exaspèrent le gouvernement révolutionnaire, ils servent l'Angleterre, qui lui a juré la haine la plus implacable, avec tous les crimes et les assassinats qui sont à sa solde.

» Voici l'autre fait, qui prouve que tout est dirigé dans l'intérieur de la République comme dans les états britanniques contre le gouvernement révolutionnaire. Ce sont les membres de ce gouvernement qu'on ne cesse de calomnier et d'assassiner à la fois au physique et au moral. Dans les fêtes des Anglais, au milieu de leurs jeux, dans leurs repas mêmes il n'est question que d'assassiner les membres des deux comités; l'assassinat est une spéculation commerciale pour eux ; l'assassinat est honoré dans leurs jeux publics: c'est dans ces infâmes

orgies, c'est dans leurs bals qu'ils accordent surtout à Robespierre une horrible priorité.

» Je tiens à la main un papier anglais qui nous a été envoyé de Brest par Prieur (de la Marne), et qui a été trouvé dans un bâtiment dont nous nous étions emparé; vous y verrez la trace de ce qui se passe à Londres. C'est sur Jambon SaintAndré, chargé de diriger les forces navales contre cette Carthage moderne, que Pitt dirige ses poignards et ses calomnies, , parce que c'est lui qui est à la tête de notre marine; c'est Robespierre qu'il attaque, parce qu'il déjoue les ennemis de l'intérieur, et qu'il atterre les factions anglaises. » Les lettres particulières apprennent aussi que dans un bal masqué donné dernièrement à Londres on a vu une femme, armée d'un poignard sanglant, et représentant une Charlotte Corday, poursuivre un Robespierre fictif, et le menacer de le

maratiser.

» Le journal The Star (l'Etoile), du vendredi 2 mai, donne des détails plus noirs :

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Bal masqué du Ranelag. Jamais on n'y a vu plus de monde que le mercredi au soir. Il y eut société composée de masques, de dominos, et de visitans non déguisés; il y avait plus de quinze cents personnes, et » ce nombre n'a guère diminué jusqu'au point du jour. Les masques de caractère n'étaient qu'en petit nombre >> relativement au nombre total; peu méritent attention : les plus remarquables étaient 1° une Charlotte Corday sortie » du tombeau, agitant pendant toute la nuit son poignard ensanglanté à la poursuite de Robespierre, qu'elle jurait » de maratiser en temps et lieu. (Mouvement d'horreur » dans toute l'Assemblée.) 2o Un somnambule rôdait et bal>> butiait qu'il sommeillerait jusqu'au moment qu'il fût temps » que tout l'univers s'éveillât et parlât bon sens... » Sans doute à la manière des forbans, des banquiers et des ministres anglais !

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Citoyens, voilà donc les fêtes de ce peuple cannibale! Voilà les jeux publics de ces rois marchands! Des assassins sont les acteurs de leurs bals, et le meurtre est le drame qui leur convient!

» Voilà donc aussi le sort des membres du gouvernement

révolutionnaire! Accablés de travaux énormes, nous sommes placés entre tous les tyrans et leurs crimes, entre tous les aristocrates et leurs trahisons, entre les factions et leurs poignards, entre tous les mécontens et leurs intrigues, et leurs fausses nouvelles, et leurs insinuations perfides! C'est à nous d'avertir les membres de la Convention nationale des dangers qu'on sème sous leurs pas, des calomnies dont on nourrit la crédulité, et des intentions funestes qu'on prête aux meilleurs patriotes.

» Je crois en avoir assez dit pour rappeler au peuple français ce qu'il peut espérer de ces anthropophages anglais, et ce qu'il doit craindre des ennemis de l'intérieur, qui fomentent la division et la calomnie contre ses représentans et contre le gouvernement révolutionnaire, qui peut seul le sauver.

» Je demande que le considérant du décret rendu hier soit rapporté, et que l'Assemblée passe à l'ordre du jour sur toutes les motions qui ont été faites à raison du décret sur le tribunal révolutionnaire. » (Applaudissemens; de toute part Aux voix! Aux voix! Adopté.)

La proposition de Barrère est rédigée en ces termes, et décrétée à l'unanimité:

<< La Convention nationale rapporte le considérant inséré dans le décret rendu hier sur une proposition relative à celui de la veille concernant le tribunal révolutionnaire, et passe à l'ordre du jour sur toutes les autres propositions qui ont été faites dans la discussion qui a eu lieu sur le même objet.

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Le ton bas et repentant de quelques membres, le silencé coupable des uns, l'appui servile des autres, enfin la soumission de la majorité, tout dans cette discussion, tableau moral de l'Assemblée, justifie presque le langage de Robespierre, semblable à celui que tenaient d'anciens despotes châtiant leur parlement. Ici la Convention se déclare esclave, et Robespierre tyran.

Mais tout en obéissant l'esclave médite la vengeance, et trop souvent le vainqueur, quel que soit son genre de gloire, se laisse désarmer par l'insouciance de la présomption. Robespierre dédaigna les ressentimens de ceux qu'il avait abaissés ; il ne flatta point ceux qui s'étaient attachés à son char: il

« PrethodnaNastavi »