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d'état; et leurs collègues au comité seconderont encore leurs vues, la Convention les sanctionnera, l'opinion publique même y applaudira, par cette raison que dans leurs principales victimes, dans la personne de Danton surtout, c'est l'immoralité audacieuse qu'ils puniront.

Un fait personnel, qui ne devrait salir aucune de nos pages, doit néanmoins être mentionné ici. Delaunay l'aîné, Chabot, Bazire et Julien de Toulouse, déshonorant leur qualité de représentant du peuple, s'étaient procuré de honteuses richesses en altérant un décret relatif à la compagnie des Indes, et, soit à cette occasion, soit par les seules relations du monde, des repas splendides avaient eu lieu à la même époque: on en citait à cent écus par tête. A ces banquets peu républicains se trouvaient réunis des étrangers et des banquiers intéressés à la fraude, les députés qui s'en étaient rendus coupables, d'autres députés qui n'y avaient pris aucune part, enfin des citoyens de toutes les classes, attirés seulement par l'attrait du plaisir ou par les séductions de la débauche; la révolution et ses hommes, la politique et ses secrets présumés devenaient nécessairement le texte intarrissable de leurs conversations. De là une source féconde de présomptions pour les vindicatifs et soupçonneux réformateurs : ou tous les convives sont complices du crime de faux, ou ceux qui n'y ont pas coopéré tramaient avec les autres une nouvelle conspiration; donc tous ont encouru la punition des traîtres... De là surtout un précipice ouvert pour engloutir leurs ennemis personnels.

Cependant l'instruction relative au crime de faux ne put donner, parmi les députés, que Fabre d'Eglantine pour complice aux quatre premiers accusés : Fabre avait été leur collègue dans la commission des finances, et peut-être leur dupe dans les changemens et altérations au décret concernant la compagnie des Indes. Mais lorsque, s'appuyant sur ce chef capital, Amar soumit à la Convention le décret qui les renvoyait tous les cinq devant le tribunal révolutionnaire, Robespierre s'empressa de maintenir un plus libre cours à la suspicion; il reprocha au rapporteur de n'avoir pas saisi l'esprit dans lequel devaient être pré

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sentés les faits, qui lui paraissaient, à lui Robespierre, se rattacher à la conjuration tramée par l'étranger contre la République française. La Convention adopta cet avis, renvoya le décret au comité, et l'adopta trois jours plus tard, rédigé dans le sens indiqué. (1) C'est ainsi que ceux qui ne pouvaient être compris dans l'accusation de faux se trouvèrent enveloppés dans une vaste conspiration dont rien n'a démontré l'existence, et, selon l'observation qu'ils en ont tous faite au tribunal, jugés avec des fripons, tandis que la turpitude de ceux-ci paraissait en quelque sorte moins hideuse couverte du masque de la politique. (2)

Dans le nombre de ces députés sacrifiés à l'amour-propre,

(1) « Art. 1er. Il y a lieu à accusation contre Delaunay d'Angers, Julien de Toulouse, Fabre d'Eglantine, Chabot et Basire, députés, comme prévenus d'avoir participé à la conjuration ourdie contre le peuple français et sa liberté; ladite conjuration tendant à diffamer et avilir la représentation nationale, et à détruire par la corruption le gouvernement républicain.

>> 2. La Convention nationale les accuse d'y avoir pris part, savoir : lesdits Chabot, Delaunay d'Angers, Julien de Toulouse et Fabre d'Eglantine, en trafiquant de leur opinion, en devenant auteurs ou complices de la suppression et de la falsification du décret du 17 vendémiaire, concernant la compagnie des Indes, et en y substituant ou

en ayant concouru à y substituer un faux décret promulgué sous la date du même jour; et ledit Basire pour s'être rendu leur complice en gardant le silence soit sur les révélations qu'ils lui ont faites de leurs manœuvres criminelles, soit sur les propositions intéressées qui lui ont été faites.

>> 3. La Convention nationale renvoie au tribunal révolutionnaire les dénommés en l'article précédent, à l'effet d'y être jugés conformément aux lois. » ( Décret du 29 ventose an 2.)- Delaunay, Chabot et Basire étaient détenus depuis plusieurs mois, Fabre depuis quarante jours. Julien avait pris la fuite; il resta impuni.

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Danton,

(2) Delaunay, Chabot, Basire, Fabre d'Eglantine, Lacroix, Camille Desmoulins, Philippeaux, Hérault-Séchelles, furent jugés ensemble, et guillotinés le 16 germinal an 2. Fabre, qui peut-être aurait pu prouver qu'il n'avait point participé sciemment au crime de ses quatre collègues, fut placé sous le coup des deux accusations.

à l'ambition, à la haine, Danton était le seul qui parût à ses ennemis un adversaire redoutable; aussi n'est-il pas de menées secrètes qu'ils n'aient conduites pour le perdre, et de précautions oratoires dont ils ne se soient servis pour préparer son accusation tant à la Convention qu'à la société des Jacobins.

Danton, puissance de tribune, avait joui d'une grande popularité, méritée par des services réels rendus à la République naissante; mais, esclave de ses habitudes comme de ses passions, depuis il s'était presque toujours montré au dessous ou au delà des circonstances: homme indolent, il perdit la confiance des révolutionnaires, orâteur fougueux, il provoqua de grandes fautes; législateur inconséquent, il blâma des excès dont il avait tracé lá voie ; citoyen sans vertus, il donna l'exemple de la concussion et de tous les vices. Du génie par saccade, de beaux talens enchaînés par la paresse ou abandonnés aux écarts d'une imagination sans frein, du courage et de la mollesse, de l'activité et de l'insouciance, des pensées toutes romaines et des actions de sybarite, tel était cet inconcevable Danton, qui avait d'ailleurs la franchise de la force et la générosité des grands cœurs. Quelle que soit la masse de ses vices, il lui restait dans l'âme assez de vertu publique pour y étouffer toute idée de conspirer jamais en faveur de la monarchie contre le gouvernement républicain, contre la liberté de sa patrie. Cependant il a succombé sous le poids de cette accusation, dénuée de toute preuve, échafaudée sur un tissu de faits incohérens, de rapprochemens forcés, de conséquences artificieuses. (Voyez ci-après le rapport de Saint-Just.)

Dès l'ouverture de la séance du 11 germinal une sombre rumeur se répandit dans l'Assemblée : les députés, inquiets, se réunissaient en groupes; l'agitation allait croissant, lorsqu'enfin l'événement qui occupait tous les esprits devint l'objet d'une motion.

Legendre. « Citoyens, quatre membres de cette Assemblée sont arrêtés de cette nuit. Je sais que Danton en est un ; j'ignore

les noms des autres : qu'importent leurs noms s'ils sont coupables! Mais, citoyens, je viens demander que les membres arrêtés soient traduits à la barre, où vous les entendrez, et où ils seront accusés ou absous par vous.

>>

Citoyens, je ne suis que le fruit du génie de la liberté; je suis uniquement son ouvrage, et je ne développerai qu'avec une grande simplicité la proposition que je vous fais : mon éducation n'est pas l'ouvrage des hommes; elle n'est que l'ouvrage de la nature; n'attendez de moi que l'explosion d'un

sentiment.

» Citoyens, je le déclare, je crois Danton aussi pur que moi, et je ne pense pas que qui que ce soit me puisse reprocher un acte qui blesse la probité la plus scrupuleuse... (Murmures, agitation.)

» Je n'apostropherai aucun membre des comités de salut public et de sûreté générale; mais j'ai le droit de craindre que des haines particulières et des passions individuelles n'arrachent à la liberté des hommes qui lui ont rendu les plus grands et les plus utiles services. Il m'appartient de dire cela de l'homme qui en 1792 fit lever la France entière par les mesures énergiques dont il se servit pour ébranler le peuple, de l'homme qui fit décréter la peine de mort contre quiconque ne donnerait pas ses armes ou n'irait pas en frapper l'ennemi.

» L'ennemi était alors aux portes de Paris : Danton vint, et ses idées sauvèrent la patrie.

» J'avoue que je ne puis le croire coupable, et ici je veux rappeler le serment que nous nous fimes en 1790, qui engagea celui de nous deux qui verrait l'autre survivre à son attachement pour la cause du peuple à le poignarder sur le champ, et dont j'aime à me souvenir aujourd'hui, Je le répète, je crois Danton aussi pur que moi. Il est dans les fers depuis cette nuit; on a craint sans doute que ses réponses ne détruisissent les accusations dirigées contre lui. Je demande en conséquence qu'avant que vous entendiez aucun rapport les détenus soient mandés et entendus. >>

Cette motion de Legendre, combattue par Fayau, reçoit de plusieurs membres des marques d'approbation; quelques

uns même demandent qu'on la mette aux voix. Mais Robespierre a paru; sa présence a ramené le doute, la réserve, on pourrait presque dire la soumission dans les esprits. Il prend la parole.

Robespierre. « A ce trouble depuis longtemps inconnu qui règne dans cette Assemblée, aux agitations qu'ont produites les premières paroles de celui qui a parlé avant le dernier opinant, il est aiséde s'apercevoir en effet qu'il s'agit ici d'un grand intérêt, qu'il s'agit de savoir si quelques hommes aujourd'hui doivent l'emporter sur la patrie. Quel est donc ce changement qui paraît se manifester dans les principes des membres de cette Assemblée, de ceux surtout qui siégent dans un côté qui s'honore d'avoir été l'asile des plus intrépides défenseurs de la liberté ? Pourquoi une doctrine qui paraissait naguère criminelle et méprisable est-elle reproduite aujourd'hui? Pourquoi cette motion, rejetée quand elle fut proposée par Danton, Basire, Chabot et Fabre d'Eglantine, a-t-elle été accueillie tout à l'heure par une portion des membres de cette Assemblée? Pourquoi? Parce qu'il s'agit aujourd'hui de savoir si l'intérêt de quelques hypocrites ambitieux doit l'emporter sur l'intérêt du peuple français. (Applaudissemens.)

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» Hé quoi! n'avons-nous donc fait tant de sacrifices héroïques, au nombre desquels il faut compter ces actes d'une sévérité douloureuse, n'avons-nous fait ces sacrifices que pour retourner sous le joug de quelques intrigans qui prétendaient dominer? Que m'importent à moi les beaux discours, les éloges qu'on se donne à soi-même et à ses amis ! Une trop longue et trop pénible expérience nous a appris le cas que nous devions faire de semblables formules oratoires. On ne demande plus ce qu'un homme et ses amis se vantent d'avoir fait dans telle époque, dans telle circonstance particulière de la révolution; on demande ce qu'ils ont fait dans tout le cours de leur carrière politique. (Applaudissemens.)

» Legendre paraît ignorer les noms de ceux qui sont arrêtés; toute la Convention les sait. Son ami Lacroix est du nombre de ces détenus. Pourquoi feint-il de l'ignorer? Parce qu'il sait bien qu'on ne peut sans impudeur défendre Lacroix. Il a parlé

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