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de l'autre, ces deux adversaires, ces deux drapeaux de causes ennemies. Mais ils eurent des successeurs. Et l'on sait pendant combien de temps encore Angleterre et Bourgogne d'un côté, France et Armagnac de l'autre, peuplent l'histoire des échos de leurs ardentes mêlées. Les vingt ans que nous venons d'étudier ne sont, pour ainsi parler, que l'exorde de cette longue épopée de batailles qui remplit les règnes de Charles VI et de Charles VII. Maintenant que la France est faite, et depuis longtemps, on ne sait pas toujours ce qu'il en coûta pour l'édifier, et le souvenir de ces vaillants, qui y mirent leur or et leur sang, est à peu près perdu. Le faire connaître, rappeler leur bravoure et leur héroïsme, c'est, pensons-nous, œuvre bonne et non exempte peut-être d'opportunité et d'utilité en un temps comme le nôtre. L'excuse de ces pages, s'il en est besoin, sera d'avoir tenté cette œuvre pour l'un des plus grands initiateurs et des plus constants artisans du mouvement national au xiv° siècle, Jean ler, comte d'Armagnac.

A. BREUILS.

UNE GRANDE DAME AU XVI SIÈCLE

LA MARECHALE DE SAINT-ANDRÉ

ET SES FILLES

I.

Jacques d'Albon-Saint-André, encore simple capitaine des ordonnances, approchait de la quarantaine, lorsqu'il obtint la main de la jeune et belle Marguerite de Lustrac. Jour était pris. pour le mariage, qui devait être célébré en cour, quand Monluc, dépêché d'Italie par le comte d'Enghien, vint demander au roi François Ier, de la part de ce général de vingt-quatre ans, la permission de livrer bataille aux Impériaux, commandés par le vieux marquis du Guast. La conjoncture offrait une extrême gravité. L'armée française était inférieure en nombre et son chef avait à peine fait ses preuves: une défaite pouvait non seulement la chasser du Piémont, mais mettre en péril le royaume, menacé de deux côtés par l'Empereur et le roi d'Angleterre. Dans le conseil, les plus sages hésitaient à approuver une partie si inégale. L'amiral d'Annebaut, pressé par François Ier, lui répondait : « Sire, demandez done conseil à Dieu, puisque l'avis

des hommes ne vous suffit. » Le roi chevalier se leva, jeta vivement son bonnet sur la table, joignit les mains, fit à haute voix cette prière : « Ho, mon Dieu, je te supplie qu'il te plaise «< me donner aujourd'huy le conseil de ce que je doibz faire << pour la conservation de mon royaulme, et que le tout soict à << ton honneur et à ta gloire. Après quelques moments de recueillement, le visage comme illuminé par un éclair d'en haut: « Hé bien, s'écria-t-il, qu'ils combattent, qu'ils combattent! »>

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Monluc sortit aussitôt pour retourner en Piémont porter la bonne nouvelle. La foule des courtisans l'attendait impatiemment à la porte. Interrogé avec émotion, il leur jetait ces mots en son gascon « Ares y harem aus pics et patacs (maintenant nous y ferons du pic et de la massue) 1. » Ce fut comme une traînée de poudre. Toute la jeunesse de la cour s'apprêta à partir, et de crainte que le roi ne donnât pas son congé, on ne le lui demanda pas. Sans commission ni grade, ils couraient à la bataille comme ils eussent fait au « grand bal. » De ce nombre furent Saint-André, qui ajourna son mariage, Coligny et son frère d'Andelot, la Hunaudaye, fils unique de l'amiral d'Annebaut et qui ne devait pas revenir, des Cars, Rochechouart-Saint-Amans et cent autres. De plus vieux voulurent être de la fête. Mézeray nomme Antoine de Lustrac. C'était le futur beau-père de Saint-André. La cour fut tout à coup déserte. La plupart allèrent en poste pour arriver plus vite. Ils apportaient au comte d'Enghien non seulement leur épée, mais leur bourse, sachant que cet autre secours ne serait pas dédaigné : les soldats attendaient leur solde depuis six mois 2.

La bataille de Cérisoles (lundi de Pâques, 14 avril 1544) parut d'abord perdue. Le jeune général voulait se tuer de désespoir, se donna même, dit Monluc, deux coups d'épée dans son gorgerin, puis ce fut une éclatante victoire. Saint-André y fit merveille. Sur le soir, du Guast en fuite, il rallia quelques amis pour mettre en route ce qui restait des Impériaux. « Comme il alloit des plus avant à la charge où il faisoit bien chaud, M. d'Enghien voulut se desbander à l'envy, mais luy ayant esté remonstré le grand tort qu'il faisoit au grand debvoir de sa charge et qu'il se souvint de M. de Nemours à la bataille de Ravenne, qui par trop d'hardiesse se perdit et fit perdre les autres, il respondit seulement : Qu'on fasse donc retirer Saint-André 3. » Il fallut rattraper celui-ci, le forcer à lâcher sa poursuite. Les ennemis. laissèrent 12,000 hommes sur la place, nos pertes furent à peine de 200 combattants, mais quelques-uns de première marque. Antoine de Lustrac, couvert d'affreuses blessures à la tète, fut

1 Commentaires de Monluc, éd. de Ruble, t. I, p. 255.

2 Mémoires de Martin du Bellay, an. 1544. Mém. de Vieilleville, par Carlois, 1. 1, ch. 42. Coll. Michaud. Mézeray, éd. in-fol., 1685, t. II, p. 1085.

3 Brantôme, Hommes illustres, art. du maréchal de Saint-André.

d'abord compté parmi les morts. Il revint pourtant, mais resta privé des deux yeux.

Saint-André s'empressa de retourner en cour pour les préparatifs de son mariage, qui fut fixé au 27 mai. Sa fiancée, âgée de dix-sept ans, était une riche héritière. Antoine de Lustrac, seigneur et baron de Lustrac, Gavaudun, Goudourville, la Tour, Fimarcon, Terrasson, la Bastide et autres lieux, n'avait pas d'autre enfant et lui constituait en hoirie toutes ces terres. Par sa mère, elle appartenait à l'antique maison de Pompadour, des plus opulentes du Limousin. Elle était fille de cette Françoise de Pompadour 1 dont Mellin de Saint-Gelais a versifié l'épitaphe et dont la mort, d'après lui, fit verser tant de larmes, que les eaux de la Seine en furent doublées ainsi que celles de la Garonne 2. Passe pour la Garonne, qui enfle facilement! Pour sa part, Saint-André recevait de son père, Jean d'Albon, le château et la terre de Saint-Germain-des-Fossés, les seigneuries de Mably en Rouannais et de Crespin en Casseaux 3.

Les deux époux se trouvaient assortis par le caractère. SaintAndré, favori du dauphin, premier gentilhomme de sa chambre, superbe cavalier, type de bravoure et d'élégance, était le plus magnifique et le plus raffiné des brillants seigneurs de cette cour fastueuse. Sans scrupule sur les moyens de satisfaire ses goûts, il exploitait la générosité du dauphin, aimait le lucre autant que la gloire, dépouillant l'ennemi vaincu, pressurant le peuple, entretenant son luxe effréné à l'aide de confiscations et de nouveaux impôts. La jeune Marguerite était ardente, ambitieuse, devait rivaliser avec son mari pour l'amour du plaisir et de l'ostentation.

Lorsque le dauphin devint Henri II, on vit cette voile de Saint-André flottante en une très large mer de profonde faveur, » dit Vincent Carlois, qui ajoute : « Il fut un des quatre qui dévorèrent le roi comme le lion sa proie : la duchesse de Valentinois, la plus àpre avec ses filles et gendres jamais satisfaits; le duc

1 Antoine de Lustrac avait épousé en 1524 Françoise de Pompadour, fille d'Antoine et de Catherine de la Tour d'Oliergues.

Épitaphe de feu Mme de Lustrac, Françoise de Pompadour, qui mourut à Saint-Germain en Laye le vingt-huitième jour de décembre 1548, dans les Poésies de Saint-Gelais, p. 174, éd. de 1719.

3 Le contrat de mariage du 27 mai 1544 est à la Bibliothèque nationale, fonds français, n° 2748.

de Guise, Claude, qui avait six fils qu'il fit très grands; le connétable avec les siens, et après eux Saint-André, entouré de neveux et autres parents tous pauvres et lui-même à qui il fallait grandement 1.

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En 1547, il fut fait maréchal de France, chevalier de l'ordre et successivement premier gentilhomme de la chambre du roi, conseiller d'État d'épée, ambassadeur en Angleterre, gouverneur et lieutenant général des provinces de Lyonnais, Forez, Beaujolais, Haute et Basse-Auvergne, Bourbonnais, bailliage de Saint-Pierrele-Moustier, Haute et Basse-Marche et pays de Combraille. Fait de pièces et de morceaux, expressément pour lui, c'était le plus grand gouvernement de France, en plein cœur du royaume, «< un gouvernement, dit Carlois, de plus grande étendue que tout autre, pour prince qu'il ait esté, ait pu obtenir jamais 2. Entre temps, il avait arraché à son maître des successions d'aubains ou de bâtards, des confiscations de huguenots, des taxes sur les nobles et les roturiers, comme le droit de francs-fiefs sur tout le Limousin, qui lui fut donné d'un seul coup 3.

Mais au moins il ne thésaurisait pas comme la favorite. Il dépensait royalement l'argent du roi. Lorsqu'il fut dépêché en Angleterre, une foule de gentilshommes se proposèrent pour l'accompagner. Il dut refuser beaucoup d'offres, réduire sa troupe à soixante, dont le moindre avait plus de 18,000 livres de rentes, la pluspart riches seigneurs et parents de madame la maréchale, madame Marguerite de Lustrac, les sieurs de Turenne, de Ventadour, de Pompadour, de la Rochefoucauld, de la Gastine, de Saint-Jean-de-Ligoure, etc., avec six pages de la chambre du roi. Le plus grand faste était de commande et lors de la réception de l'ambassade, « les Anglois s'esbahissoient merveilleusement de veoir une si excellente trouppe de François et non moins riches de pierreries que leur roy, car seulement le sieur de Saint-Jean-de-Ligoure, qui estoit des moindres pour le revenu, mais au reste, l'un des beaux et agréables gentilshommes qu'on eust sceu regarder, en avoit sur luy pour plus de 20,000 escus, de sorte que, en ceste grande salle, parce qu'en devisant on se tourne et revire souvent, ce n'estoient que

1 Mémoires de Vieilleville, 1. II et V.

2 Ibidem, 1. 11, ch. 16; 1. III, ch. 19.

3 Bonaventure de Saint-Amable, Annales du Limousin, p. 780 (Limoges, 1685).

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