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prises, furent enfin introduits par une poussée irrésistible du sentiment populaire. Beaucoup virent leur admission favorisée par des ressemblances accidentelles entre leurs dieux et ceux de Rome on arriva vite à les identifier. Ainsi se forma peu à peu une religion faite d'annexions successives, d'assimilations, de compromis, telle que nous la voyons au commencement de l'Empire romain, après les réformes d'Auguste. La plupart des dieux de l'État ne sont plus que des composés hybrides, où les éléments latin, italien, grec, asiatique, se sont combinés, la Grèce imposant presque toujours la perfection de sa forme plastique.. Le petit nombre des divinités étrangères qui se sont montrées réfractaires à cette fusion n'a point pris place dans la religion officielle. Mais, demeurées l'objet de dévotions privées, elles continuent à bénéficier d'une large tolérance. Cette tolérance pour toutes les formes de la piété ou de la superstition cessera dans deux cas seulement : quand l'État croira devoir intervenir au nom de l'intérêt public ou de la morale; quand une religion prétendra à la domination exclusive des intelligences et des volontés.

On se tromperait en attribuant à une théorie métaphysique l'intolérance que, dans cette seconde hypothèse, montrera l'État romain. Sa religion n'a rien de doctrinal. C'est, comme nous l'avons dit, un assemblage de morceaux de provenance diverse, une mosaïque assez hétéroclite, à laquelle le temps, la coutume, l'instinct poétique ou populaire, ont seuls donné une cohésion apparente et une teinte harmonieuse. Mais, de toute son histoire, l'esprit romain a gardé une disposition que le cours des siècles, une suite presque ininterrompue de victoires et de conquêtes, ont fortifiée au lieu de l'affaiblir. La fortune de Rome lui a paru liée à sa religion. Les plus raffinés des contemporains d'Auguste ou de Tibère n'étaient pas moins pénétrés de cette pensée que les grossiers habitants de la ville primitive du Palatin. Du fond mème de cette religion, de sa certitude absolue ou de ses origines historiques, ils se souciaient peut-être médiocrement. Plus d'un eût volontiers répété la parole indifférente ou découragée de Pilate: « Qu'est-ce que la vérité? Mais l'intérêt politique, et une toute-puissante superstition, dont les plus sceptiques eux-mêmes ne cherchaient pas à se défendre, leur rendaient sacrés les dieux nationaux. Même ceux dont l'a

doption était récente et la nationalité diverse se trouvaient, par une fiction aisément acceptée, mêlés aux fondements séculaires de l'État. Prier d'autres dieux était permis; mais professer qu'eux seuls avaient droit à l'adoration, qu'ils existaient seuls, étaient seuls vrais d'une vérité absolue, paraissait une attaque à la puissance romaine. On croyait que celle-ci serait ébranlée le jour où croulerait sa religion traditionnelle. Cette conception est tellement inhérente au paganisme romain, qu'elle se retrouvera sans changement chez ses derniers sectateurs, contemporains de saint Ambroise ou de saint Augustin.

Parmi les religions étrangères, une seule, avant l'avènement du christianisme, semblait, à première vue, appeler sur elle, de ce chef, les foudres du pouvoir civil. En honorant son dieu préféré, un sectateur d'Isis ou de Mithra ne songeait point à refuser ses hommages aux personnages sacrés adorés publiquement à Rome. Moins encore il aurait eu la pensée de contester leur caractère divin. Plus tard, quand les cultes exotiques furent devenus à la mode et comptérent parmi leurs adhérents des membres considérables de l'aristocratie, on vit ceux-ci tout à la fois revêtus des sacerdoces officiels et investis des titres les plus bizarres des dévotions orientales. Tout autrement en est-il du judaïsme. Cette religion est essentiellement monothéiste, par conséquent exclusive. Il n'existe à ses yeux d'autre dieu que le sien. Pour elle, les dieux des nations n'ont point de réalité, ou sont des démons malfaisants. Elle les raille, ou les a en horreur. Ce trait des Juifs est noté par les historiens antiques. C'est, disent-ils, une race célèbre par son mépris des dieux, et qui considère comme profane tout ce qui, chez nous, est sacré 1. Ce caractère du judaïsme était encore aggravé par l'esprit de prosélytisme, qu'il avait en commun avec les autres religions orientales, mais qui, chez lui, prenait quelque chose de particulièrement blessant, puisqu'il détachait de toute autre croyance ceux qu'il attirait à la sienne 2. A aucune époque, cependant, Rome ne songea à proscrire la religion juive. Tant que ses sectateurs demeurèrent un corps de nation, corps affaibli, mutilé, mais conservant un reste de vie, cette tolérance s'explique ai

'Pline, Nat. hist., XIII, 4; Tacite, Hist., V, 2, 5, 13. 2 Tacite, Hist., V, 5.

sément. Les Romains eurent toujours le respect des religions nationales. Auguste et sa famille comblèrent de dons le temple de Jérusalem. Mais quand, après 70, la nationalité juive eut péri, ne laissant debout que la religion et la race, Rome supporta avec la même patience un culte ennemi naturel du sien. Elle continua de fléchir en faveur de la synagogue les lois dirigées contre les associations, et d'exempter les Juifs de toutes. les obligations contraires à leur conscience 1. Le prosélytisme. seul leur fut plus ou moins interdit 2. Cette tolérance, à peine interrompue par quelques mesures de police, plus violentes que durables 3, surprend d'abord, mais s'explique à la réflexion. Par cela même que la religion, chez les Juifs, était attachée à la race et semblait se confondre avec elle, un empire universel, comme celui de Rome, n'en avait rien à craindre. Cette base était trop étroite pour porter jamais les peuples de toute origine sur lesquels planait l'aigle romaine. Ce monothéisme, hérissé de prescriptions minutieuses, qui formaient autour de lui comme une haie d'épines, était trop morose pour les séduire. Aussi la politique impériale se gardait-elle de recourir à des rigueurs inutiles, qui eussent réveillé le fanatisme à peine assoupi, et mis en péril sans profit la paix publique.

A des réfractaires plus doux et, à son point de vue, plus dangereux était réservée son intolérance. Comme avait fait la religion juive, le christianisme enseignait aux hommes le culte du vrai Dieu. Mais, à la différence de la religion juive, dont les exigences étaient trop grandes, le caractère national trop marqué, pour attirer des convertis nombreux et durables, lui ne demandait à ses adhérents d'autre sacrifice que celui de leurs erreurs et de leurs vices. Ses rites très simples, sa morale exempte de toute singularité, s'adressaient à tous, sans distinction de nationalité ou de race. On se faisait chrétien sans cesser d'être Romain. Cela eût dû, semble-t-il, concilier au christianisme l'indulgence des politiques. Ce fut, au contraire, la cause de leur sévérité. En prêchant et en rendant possible la religion

1 Digeste, L, 1, 2, $ 3.

* Paul, Sent., V, xxш, 3, 4; Digeste, XLVIII, VII, 11; Spartien, Severus, 17. 3 Tacite, Ann., II, 85; Josèphe, Ant. jud., XVIII, 3, 4 ; Philon, Adv. Flacc.; Legat. ad Caium; Suétone, Claudius, 25; Act. Apost., xvш, 2; Dion Cassius, LX, 6.

universelle, le christianisme leur paraissait menacer directement la religion d'Etat, telle que la professait l'Empire. Son succès serait la ruine du paganisme officiel. Comme on croyait la durée de ce paganisme inséparable de celle de Rome, on tàchait d'arrêter par tous les moyens la propagation de la religion nouvelle. Les meilleurs empereurs, les plus soucieux des intérêts et les plus imbus des préjugés romains, seront, pour ce motif, parmi les plus ardents persécuteurs.

Le christianisme était né depuis assez longtemps, avant que l'Empire s'occupât de lui. A l'origine, on le distinguait mal du judaïsme. Il grandissait, comme l'a dit Tertullien, à l'ombre de cette religion tolérée 1. Les persécutions dont il fut l'objet de la part de celle-ci parurent d'abord, aux hommes d'Etat romains, n'être que des conflits entre sectes juives de tendances diverses 2. Dans les accusations dirigées contre Paul et les premiers missionnaires de l'Évangile, ils ne voyaient que des querelles de mots, des discussions de discipline ou de doctrine, dont l'autorité civile n'avait pas à connaitre 3. C'est avec une mauvaise humeur à peine dissimulée qu'ils recevaient les dénonciateurs. Si Paul fut conduit à Rome pour être présenté au tribunal de l'empereur, c'est parce qu'il avait rendu cette procédure inévitable par son appel à César; car le procurateur Festus aurait voulu le renvoyer sans jugement 4. La tendance des autorités romaines était plutôt de protéger contre la turbulence des Juifs une minorité opprimée 5.

Les Juifs, cependant, avec malice et persévérance, s'appliquaient à mettre en lumière non seulement les caractères qui séparaient d'eux les chrétientés naissantes, mais encore les motifs qui pouvaient armer contre celles-ci le pouvoir romain. Leur haine renouvelait contre l'Église la tactique employée contre Jésus. Comme, aux jours de la Passion, ils s'étaient montrés plus césariens que Pilate lui-même, ils paraissaient maintenant encore plus sensibles aux intérêts de Rome que ses magistrats. A Thessalonique, ils imputent à Paul et à Silas de violer les lois

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Sub umbraculo religionis insignissimae, certe licitae. Apol., 21.

2 Suétone, Claudius, 25; Dion Cassius, LX, 6; Act. Apost., xvm, 2.

3 Act. Apost., XVIII, 14, 15; XXIV, 1-27; xxv, 18, 19.

4 Ibid., XXVI, 31, 32.

Ibid., xvIII, 16; xxi, 32.

impériales et de reconnaitre un autre roi que César 1. A Césarée, ils joignent à leurs doléances quelque accusation du même genre, car Paul se défend en disant : « Je n'ai péché ni contre la loi des Juifs, ni contre le temple, ni contre César 2. » Si les faits démentaient ces calomnies, ils confirmaient en même temps chaque jour la distinction que les Juifs s'efforçaient d'accréditer. On voyait les missionnaires de la foi nouvelle se séparer avec éclat des synagogues pour réunir autour d'eux dans des maisons particulières leurs adhérents 3. Ceux-ci devenaient si nombreux, le nom du Christ était désormais si connu, qu'à Antioche on ne les désignait plus que par l'appellation de chrétiens 4. Ce mot était maintenant couramment prononcé en Asie, même par des princes ou des gouverneurs 5. En Europe, la confusion dura probablement plus longtemps, car à Philippes de Macédoine Paul et Silas sont poursuivis comme Juifs 6. Sous Claude, on ne paraît pas encore, à Rome, distinguer nettement les Juifs des chrétiens, bien que le nom du Christ, plus ou moins correctement écrit, soit connu de l'autorité publique 7. Mais au temps de Néron la populace de Rome parle des chrétiens 8. A la même époque, probablement, une main inconnue écrit christianos sur une muraille de Pompéi 9.

Les circonstances de l'introduction du christianisme à Rome. sont demeurées obscures. Il est probable qu'il y fut porté au lendemain de la Pentecôte par quelques-uns des prosélytes romains qui avaient entendu à Jérusalem la prédication apostolique, si féconde en conversions 10. L'élément juif fut certainement nombreux dans la première communauté chrétienne de Rome, et c'est vraisemblablement dans les quartiers habités de préférence par les Juifs qu'elle se développa d'abord 11. Cependant d'autres parties de la ville recurent de bonne heure l'Évan

1 Act. Apost., xvii, 7.

2 Ibid., xxv, 8.

3 Ibid., XVIII, 6, 7.

4 Ibid., XI, 26.

5 Ibid., xxvI, 28.

6 Ibid., XVI, 20.

7 Suétone, Claudius, 25.

s Tacite, Ann., XV, 44.

De Rossi, Bull. di arch. crist., 1864, p. 69; Corp. inser. lat., IV, 679.

10 Act. Apost., II, 10, 41,

11 Suétone, Claudius, 25; Act. Apost., xvIII, 2.

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