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Mais le sainct où elle voue

A mon offrande receue

Et ma fermeté cogneue

Qui sait qu'ailleurs ne se loue 1.

Jeanne d'Albret se montre d'assez mauvaise humeur dans sa réponse, car il parait qu'elle est de sa façon et non de la veine de du Bellay 2. Cette pointe de jalousie laisserait croire qu'elle craignait plus qu'elle ne le voulait dire une nouvelle infidélité de son volage époux. Du Bellay étant mort le 1er janvier 1560, l'aventure se place au plus tard en 1559, peut-être en 1558. La reine de Navarre vint à la cour en ces deux années, et Antoine de Bourbon y était lui-même en 1559 3.

A la mort de Henri II, son bienfaiteur, Saint-André avait des raisons de craindre que son étoile ne pâlit. La reine mère, son ennemie, arrivait au pouvoir. Il sentait que les récriminations, jusque-là contenues, éclateraient maintenant avec d'autant plus de force, il était exposé à des recherches pour les dons immenses qu'il avait reçus du Trésor public; quoique très riche, sa prodigalité dépassait ses ressources : il avait une meute de créanciers à ses trousses. La prudence lui conseillait de s'éloigner, de tâcher de se faire oublier. Il se retira avec la maréchale à Coutras, et ils y séjournèrent près de deux ans, tenant maison ouverte, attirant leurs parents, leurs amis, cherchant à se faire des créatures. Le premier danger passé, ils firent pourtant, à intervalles, acte de présence à la cour. Rival secret des Guises, le maréchal vivait politiquement avec eux, mais voyant le petit roi François II sous leur main, il se soumit, s'enrôla sans hésiter dans leur camp. Ne pouvant plus être le favori, il voulait du

1 Les OEuvres françoises de Joachim du Bellay, fo 351, éd. de 1583.

2 La plupart des auteurs qui parlent de la maréchale passent cette aventure sous silence. Quelques-uns ont grossièrement erré sur ce sujet. Leroux de Lincy, dans son Recueil des chants historiques français du XVIo siècle (p. 207), donne la poésie de la reine de Navarre comme une « Chanson sur les amours du prince de Condé et de la belle Limeuil. » Évidemment il n'avait pas lu du Bellay. D'autres pensent que la maréchale et Jeanne d'Albret aimaient en même temps le prince de Condé et que la querelle avait lieu à son endroit, ce qui n'est pas moins erroné. La reine de Navarre était la bellesœur de Louis de Bourbon. (Dreux du Radier, dans un article du Journal de Verdun, an. 1763.) Boursault, dans son roman Le Prince de Condé, a été mieux informé.

3 Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, publiées par M. de Rochambeau, p. v, 186; Paris, 1877.

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moins se placer « à la fumée de la faveur, » suivant l'expression de Vincent Carlois. Il proposa au duc de Guise de s'associer, par les liens les plus étroits, à sa fortune. Catherine d'Albon, sa fille unique, était alors âgée d'environ treize ans. Il l'offrit au duc pour son fils aîné, Henri, prince de Joinville, qui devint le Balafré. Le futur avait deux ans de moins que lá fiancée, les rangs n'étaient pas égaux, mais le duc était chargé d'enfants et l'établissement était fort avantageux au point de vue de la fortune, encore accrue par de récents héritages 1. Le maréchal avait d'autre part une légion de gentilshommes à sa dévotion, à Paris, en Bourgogne, en Guyenne, en Limousin, où sa mère et sa femme avaient leur parenté. Brantôme et Vieilleville en donnent une longue liste. Cet appoint n'était pas à dédaigner pour les visées des Guises. Le pacle fut conclu. Saint-André retrou vait ainsi protection et défense, pouvait braver ses ennemis, continuer sans trouble cette existence de faste insolent. Marguerite de Lustrac reprit sa place à la cour, fut nommée dame d'honneur de Marie Stuart 2.

Nous voyons sans illusion ces deux époux, et cette étude montrera en Marguerite de Lustrac un type peu commun de passion et d'intrigue, mais nous resterons dans la vérité historique, sans rien emprunter, comme d'autres l'ont fait pour les flétrir davantage, à une imagination déréglée. Dans un roman publié au XVII° siècle sous le pavillon de l'histoire et dont les nombreuses éditions attestent le succès 3, le maréchal, sa femme et sa fille sont représentés comme descendus au dernier degré de l'ignominie, de l'immoralité et de la perfidie; le prince de Condé, les Guises, l'amiral et l'amirale de Coligny y sont peints sous des traits aussi peu nobles. Si l'on s'en rapportait au fameux critique Bayle, l'œuvre de Boursault seralt « une manière de roman où l'on voit plusieurs faits historiques très curieux et très fidèlement rap

1 Isabeau de Pompadour, sœur de Françoise, avait épousé Bertrand de Lustrac, baron de Gavaudun, frère d'Antoine. Veuve en 1524, elle se remaria à François Bouchard d'Aubeterre, mais n'ayant pas d'enfants, elle laissa toute sa fortune à Marguerite de Lustrac et au maréchal, ses neveux. Inventaire ms. des titres du château de Pompadour.

2 Négociations du règne de François II, par Louis Paris, p. 745 (Paris, 1841). 3 Le Prince de Condé, roman historique, par Boursault. La 1° édition anonyme est de 1675. Celle donnée chez Didot en 1792 n'est pas la dernière, mais est la plus utile à consulter à cause des notes et additions de J.-B. de la Borde.

T. LIX. 1er JANVIER 1896.

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portés 1. Mais M. le duc d'Aumale a dit du mème ouvrage, avec plus de raison, que dans ce conte assez libre, les noms seuls appartiennent à l'histoire et que les rôles et les caractères sont de pure fantaisie 2. On peut ajouter que, quelles que soient les libertés usurpées par le roman soi-disant historique, il n'est pas permis de les pousser jusqu'aux inventions les plus absurdes et aux calomnies les plus révoltantes. Cette fable ridicule se noue en 1559 par les amours de François II et de Catherine d'Albon, que son père, accompagné du duc de Guise et autres seigneurs, surprend dans le lit du roi, croyant saisir l'amirale en rendezvous galant. Or, en 1559, le petit roi François II était âgé de quinze ans et venait d'être marié à la merveilleusement belle Marie Stuart, dont il était très épris. Faible de corps et d'esprit, ce roi sans vices (il fut ainsi nommé) n'était point enclin à ces excès 3. Quant à sa prétendue maitresse, dont la faveur connue de toute la cour ne fit qu'enorgueillir le maréchal et sa femme, elle avait treize ans à peine. Le reste est à l'avenant. Saint-André, la maréchale, le prince de Condé, ne sont pas à l'abri des sévérités de l'histoire, cette justice suffit. Ce n'est pas le cas de forcer la vérité, il faudrait plutôt l'adoucir. Puisée impartialement aux sources les plus sûres, elle peut sembler déjà une recherche de scandale.

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L'année suivante n'était pas écoulée que Charles IX succédait à son frère. Catherine de Médicis prenait le gouvernement avec les princes du sang. Les Guises perdaient la meilleure part de leur influence, et l'impopularité de Saint-André n'avait plus de contrepoids. Aussi les Etats, réunis à Paris le 15 mars 1561, avaient-ils demandé formellement dans leur délibération que le maréchal fût exclu du conseil et tenu de rendre compte des dons excessifs qu'il avait reçus du feu roi Henri et d'en payer le reliquat 4. Mais il réussit encore à se sauver en organisant avec le duc de Guise et le connétable de Montmorency celle association connue sous le nom de triumviral, et dont le but était à la fois

1 Critique de l'histoire du calvinisme, dans les Œuvres diverses, t. II, p. 17, éd. de 1719, et Dictionnaire historique, art. Limeuil.

2 Histoire des princes de Condé, t. 1, p. 267 et suiv.

3 Les auteurs sont unanimes à cet égard. V. Mémoires historiques d'Amelot de la Houssaye, art. SAINT-ANDRÉ, et Dictionnaire historique de Marchand, art. BOURBON, d'après les écrivains du temps.

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de faire échec à l'autorité royale et aux progrès menaçants du parti réformé. Tour à tour éloigné de l'armée ou rappelé aux affaires par la politique de bascule de la reine mère, il prouva, dans la première guerre civile, que sa main quasi sexagénaire pouvait encore peser dans la balance.

Le 19 novembre 1562, fut livrée la bataille de Dreux, entre les protestants et l'armée royale. Louis de Bourbon, prince de Condé, et Téligny conduisaient les rebelles; les triumvirs commandaient les troupes du roi. A trois heures après midi, les huguenots avaient la victoire, le connétable était fait prisonnier. Lorsqu'un courrier arriva bride abattue, vers deux heures du matin, porter la nouvelle à Catherine de Médicis, elle affecta un grand calme, quoique épouvantée des conséquences que pouvait entraîner l'événement. Eh bien, dit-elle, nous prierons Dieu en français 1. » Mais elle songeait déjà à abandonner une partie du royaume aux vainqueurs et à se réfugier en Guyenne avec le jeune roi. La nuit entière et le lendemain elle délibéra sur cette terrible nécessité, mais vers le soir un groupe de cavaliers entrait bruyamment dans la cour du palais, criant: Victoire, victoire! Elle courait avec émotion à la fenêtre, et le sieur de Losses et ses compagnons, l'épée au clair, lui jetaient ces paroles : « M. de Guise a gagné la bataille, le prince de Condé est son prisonnier. Après la capture de Montmorency, Guise et Saint-André, revenus à la charge, avaient fait des prodiges de valeur, changé le sort des armes. Le chef de l'armée tout à l'heure victorieuse s'était rendu à merci. Mais le maréchal avait trouvé la mort dans cet admirable élan. Poursuivant trop chaudement la déroute, il s'était trouvé seul, cerné dans un gros de cavalerie. Pris à rançon, il avait au moins la vie sauve, lorsqu'un nommé Bobigny, catholique entré par vengeance dans les rangs huguenots et dont Saint-André possédait les biens par confiscation, le tua de sang-froid, malgré la parole donnée 2. C'était une grande perte pour son parti; elle produisit pourtant peu d'impression, il ne fut regretté par personne. Les historiens parlent surtout des mauvais souvenirs qu'il laissa. Ce brillant homme de guerre, qui tint une place si considérable sous quatre rois, attend encore

Lacretelle, Histoire des guerres de religion, t. II, p. 122 (Paris, 1822).

2 Vieilleville, 1. VIII, ch. 37; d'Aubigné, Histoire univ., t. 1, I. III, ch. 25.

une biographie plus sérieusement étudiée que les mentions banales des dictionnaires.

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II.

Marguerite de Lustrac ne garda pas mieux la mémoire de son mari. Il laissait une fille mineure et des dettes criardes. Héritière à charge de rendre et sous bénéfice d'inventaire, la maréchale dut faire de l'argent avec les beaux meubles de Valléry. Après sa mort, dit Brantôme, on les a vus vendre à Paris aux enquans, desquels on ne peust quasi jamais voir la fin tant ils durèrent 1. » La maréchale avait écrit à la reine pour l'engager à acquérir les plus belles pièces, mais la cassette royale se vidait pour d'autres arts que ceux de la paix. Il était douloureux de laisser se disperser ces merveilles; la veuve en racheta la plus grande partie. Le maréchal de Vieilleville eut aux enchères la belle tenture de la bataille de Pharsale, dont il orna sa grande salle de Durtal 2.

La duchesse de Guise (Anne d'Este) réclama Catherine d'Albon pour l'élever près d'elle. C'était un usage du temps que la future belle-mère prit, dès son bas âge, à son foyer, pour la former suivant ses idées, la fiancée promise à son fils, surtout lorsque celle-ci était orpheline. S'agissant d'une fille unique, la mesure pouvait rencontrer des résistances dans le cœur d'une mère tendre et dévouée : la maréchale s'y prêta avec empressement. En se séparant de sa pupille elle gagnait son indépendance, dont elle avait hâte de jouir.

Durant cette première année du veuvage de Marguerite de Lustrac, après la paix d'Amboise, qui suivit la bataille de Dreux, le prince de Condé, sorti de captivité, vint à la cour. Agé de trente-trois ans, marié à la vertueuse Éléonore de Roye, déjà père de sept enfants, il affichait des mœurs plus que galantes. De figure agréable, quoique d'un type commun, petit de taille, légèrement contrefait, ayant les épaules inégales, il était néanmoins plein de grâce et de séduction. Vaillant capitaine, remuant, spirituel, magnifique, sans convictions gênantes, il s'était laissé faire chef des huguenots pour jouer un rôle. Tous les succès lui

1 Brantôme, art. du maréchal de Saint-André.

2 Ibidem.

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