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mère était son unique héritière. L'opinion publique n'hésita pas: elle accusa Marguerite de Lustrac d'avoir empoisonné sa fille, pour pouvoir, sans aucune entrave, apporter une énorme dot au prince de Condé 1. Ce crime atroce, allégué par la généralité des historiens, n'est pas démontré, nous n'y croyons pas; mais, pour qu'une mère pût en être soupçonnée, il fallait qu'elle fût tombée bien bas!

Condé était tiraillé en sens divers. Catherine de Médicis le poussait au mariage avec la maréchale, pensant que cette opulence mal acquise n'était pas pour le grandir. Les chefs huguenots voulaient pour leur général mieux que la richesse, une haute alliancé digne de son nom. Ils n'estimaient pas ce prince voluptueux, sans religion et sans idéal, mais le prestige de son origine, sa proximité du trône, faisaient leur force. Sans un prince du sang avec eux, ils n'auraient plus été un parti politique. Ce mariage louche dégraderait leur drapeau. «Mieux vaut un pouce d'autorité avec honneur qu'une brassée sans honneur, avait dit rudement Coligny, lorsque Claude de Lorraine épousa la fille de Diane de Poitiers. Condé se laissait ballotter, cajolait ses deux amies (il avait fait sortir Limeuil de prison), écoutait d'autres propositions de mariage avec Marie Stuart, avec la veuve du duc de Guise, assassiné par Poltrot. La maison de Lorraine fondue avec la maison de Bourbon, Catherine de Médicis ne l'eût. pas souffert!

Dans ces tergiversations, la maréchale avait frappé un grand coup. Maîtresse maintenant de la fortune de sa fille dont elle s'était portée héritière 2, elle avait donné au prince, par donation entre-vifs, sans aucune réserve, la terre comtale de Valléry avec le château et le mobilier somptueux. Condé accepta, laissant toujours espérer la récompense. C'estoit, dit Brantôme, une libéralité qu'une grande emperière ou reyne n'en eust voulu user 3. La terre de Valléry rapportait net six à sept mille livres de rentes, plus de 60,000 francs d'aujourd'hui. Condé en prit immédiatement possession, et lui et ses successeurs se titrèrent

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1 Mémoires de Castelnau, additions de Le Laboureur, t. II, p. 76, le P. Anselme, Moréri, etc., d'après les historiens du temps.

2 Bibliothèque nationale, fonds franç., n° 2748. Elle comparait dans plusieurs actes en cette qualité.

3 Article du maréchal de Saint-André,

bravement comtes de Valléry. C'est là qu'ils choisirent le lieu de leur sépulture 1.

Quoiqu'il n'y ait pas deux morales,» il faut voir les choses dans leur milieu, avec les idées du temps. Brantôme, que nous trouvons cynique et qui n'est qu'un miroir reflétant banalement tout ce qui tombe sous son angle, s'est exprimé en termes crus sur ces mœurs étranges qui ne l'indignent pas. Le prince n'avait-il pas dépassé la mesure, même au sentiment de ses contemporains?.... Ils ne cessèrent pourtant de l'admirer comme un grand homme. Malgré tout, il en avait des parties. La postérité n'a pas cassé leur jugement.

Dans le trio on n'était pas sévère. Limeuil en liberté tolérait la maréchale, écrivait à l'ami commun après la mort de Catherine d'Albon: «Veuillez aider la pauvre mère, car je crois qu'elle aura besoin de votre aide 2. » Elle alla même visiter Condé à Valléry. Il n'est pas dit que l'une et l'autre n'y aient reçu en même temps la plus tendre hospitalité.

Cependant, quelques mois après (novembre 1565), Louis de Bourbon épousait Françoise d'Orléans-Longueville.

La maréchale dut ressentir avec la vivacité de sa nature le désespoir de son amour trompé et le dépit de ses libéralités perdues. Cette grande déception ne l'abattit pas. Durant ces trois années, le feu de sa passion avait pu s'amortir. La rupture ne fut pas violente. Et y eut-il rupture? Il est certain que le prince resta son ami. Après ce mariage on le voit s'intéresser à ses affaires, recommander chaudement ses procès 3.

Avec Limeuil, il y eut plus d'éclat. Poussé, dit-on, par sa femme, en ce cas fort maladroite, il osa lui réclamer tous les présents qu'il lui avait faits. Pour ces anecdotes, il faut laisser parler Brantôme en l'expurgeant un peu: « Ceste dame en eut un grand crève-cœur.... Elle lui renvoya le plus beau et le plus exquis où estoit un beau miroir avecques la peinture dudict prince, mais avant pour le mieux décorer, elle prit une plume et de l'encre et luy ficha dedans de grandes cornes au bean

1 Au commencement du xvIe siècle, Valléry appartenait encore aux fils du Grand Condé et rapportait alors 10,000 livres de rentes. Noblesse et terres titrées du royaume. Ms. ex meis.

2 H. de la Ferrière, Isabelle de Limeuil.

3 Lettre à Morvilliers. Histoire des princes de Condé, par M. le duc d'Aumale ; 1. I, p. 558.

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milan du front et délivrant le tout au gentilhomme luy dit: << Tenez, mon amy, portez cela à vostre maistre, et que je lui << envoye tout ainsy qu'il me le donna.... et dictes à ceste belle princesse sa femme qui l'a tant sollicité à me demander ce qu'il m'a donné, que si un seigneur de par le monde (le nom<< mant par son nom, comme je sçay) en eust faict de mesmes à sa << mère et luy eust répété et osté ce qu'il luy avoit donné.... par don d'amourettes, qu'elle seroit aussy pauvre d'affiquets et pierreries que damoiselle de la cour.... que maintenant elle << seroit tous les matins à cueillir des fleurs pour s'en accommoder au lieu de ces pierreries: or, qu'elle en fasse des pastés et des chevilles, je les luy quitte 1. »

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Ces Limeuils ne craignaient ni dieu ni diable, même aux heures les plus terribles. L'aînée d'Isabelle, fille d'honneur comme elle, fit à la cour une fin joyeuse et plaisante, digne de sa vie. « Durant sa maladie, dont elle trespassa, jamais le bec ne luy cessa, ains causa tousjours, car elle estoit fort grand parleuse, brocardeuse et fort à propos et fort belle avecques cella. Quand l'heure de sa mort fut venue, elle fit venir à soy son vallet, et s'appeloit Julien qui jouoit très bien du violon: Julien, luy dit-elle, prenez vostre violon et sonnez moy toujours jusqu'à « ce que me voyez morte (car je m'y en vais) la desfaicte des «Suisses et le mieux que vous pourrez, et quand vous serez sur « le mot Tout est perdu, sonnez-le par quatre ou cinq foys, le << plus piteusement que vous pourrez; » ce que fit l'autre et elle mesme luy aydoit, et quand ce vint à Tout est perdu, elle le récita par deux foys et se tournant de l'autre costé du chevet, elle dit à ses compagnes : « Tout est perdu à ce coup et à bon «<escient, et ainsi décéda 2. » Mais laissons les Limeuils et le prince de Condé, dont on connait la mort misérable à Jarnac, après la bataille. Revenons à la maréchale.

III.

Marguerite de Lustrac prit son parti. Avant la mort de Condé, elle était remariée (16 octobre 1568). Mais des hauteurs où elle

1 Brantôme, Dames galantes, 6o discours.

2 Brantôme, Dames, 8 discours.

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s'était portée un instant, quelle chute! L'âge, la naissance, la fortune, étaient pourtant en rapport. Elle avait dépassé quarante ans. Geoffroy de Caumont en avait plus de cinquante. Il était riche et de grande maison, mais sans aucune considération. Longtemps homme d'Église, de ces abbés séculiers dont Brantome n'est pas le type le plus méprisable, il cumulait depuis trente ans les dignités et les bénéfices ecclésiastiques. Protonotaire apostolique, abbé d'Uzerche dès 1540, de Vigeois, de Cleyrac, prieur de Brive, il avait, après la mort de son frère aîné, quitté le petit collet en gardant les abbayes. Le plus curieux, c'est qu'il était huguenot, mais huguenot à couvert, réaliste et poltronesque; il déjeunait de la messe et dinait du prêche, faisant pérorer les ministres devant ses moines d'Uzerche et de Cleyrac qu'il corrompit. N'ayant ni cœur, ni main, ni jugement, dit Théodore de Bèze 1, il était mésestimé dans les deux partis. Monluc en parle avec encore plus de dédain. Brantôme n'a que deux mots sur ce mariage, mais c'est assez. « J'ay cogneu une dame qui avoit épousé un maréchal de France beau et vaillant, et en secondes nopces elle alla en prendre un tout au contraire de celuy-là 2. C'est de Marguerite de Lustrac qu'il s'agit. Elle comprenait bien sa déchéance, car devenue baronne de Caumont, elle continua de se faire nommer la maréchale de Saint-André 3.

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Le caractère des deux époux se peint dans un procès dont les détails nous ont été conservés par un de ces vieux arrêtistes que personne ne lit plus. Au temps de son veuvage, la maréchale avait à son service un maître d'hôtel et une femme de chambre qui l'assistaient depuis quatorze ans. Ces braves gens voulurent se marier ensemble. Les quatorze années de gages leur étaient dues. Leur maitresse parut s'acquitter largement en leur constituant une dot de 6,000 livres, payables par fractions en quatre ans. Le premier terme échu ne fut pas payé. L'exfemme de chambre et son mari réclamèrent en vain, les termes s'accumulèrent, et comme il s'agissait en définitive d'une libéra

1 Hist. des Églises réformées, t. II, p. 466.

2 Brantôme, Dames galantes, 4 discours. Geoffroy de Caumont garda ses abbayes longtemps après son mariage. Monluc, éd. de Ruble, t. II, p. 372. On lit dans le Thuana (Amsterdam, 1740): « Il se maria fort vieil, et s'appeloit le Protonotaire. »

3 Brantôme, ibidem.

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lité rémunératoire, ils portèrent leur demande en justice au commencement de 1568. La maréchale se défendit, soutint avoir été induite par dol à la donation, la révoqua, usa de toutes les ressources de la procédure, des privilèges de sa qualité et de sa religion pour éviter ou tout au moins retarder sa condamnation. L'affaire fut portée à Agen, à Bordeaux, revint à Agen. Dans l'intervalle, la maréchale s'était remariée, puis avait eu un fils qui fut nommé le marquis de Fronsac. Son mari se joignit alors à elle, demandant que la donation fût cassée pour cause de survenance d'enfant. Ces exceptions étant successivement rejetées, ils prétendirent que la donation était « hermaphrodite, c'est-à-dire rémunératoire pour partie seulement, pure et gratuite pour le surplus, et réclamèrent sa réduction. Finalement, ils obtinrent en 1571 de ne payer que le montant des gages arriérés, soit 4,000 livres. Mais l'arrêt prononçait en même temps sur la moralité du procès. Il était exprimé dans le dispositif que ladite dame Marguerite de Lustrac eût mieux fait et l'occasion estoit bien plus importante, de tendre par ce moyen, si elle eût pu, à la révocation de la donation de la place et chasteau de Valléry que non pas à poursuivre le retranchement au préjudice de ceux qu'elle même avoit mariés estant à son service depuis quatorze ans 1. Geoffroy de Caumont et sa femme avaient. plus de 100,000 livres de rentes. On sait qu'il faut décupler la somme ou à peu près pour avoir la valeur actuelle. La seule fortune de la maréchale, dit le P. Hilarion de Coste, pouvait lutter avec celle d'une reine.

Geoffroy de Caumont échappa par miracle à la Saint-Barthélemy, mais il mourut deux ans après, laissant sa femme enceinte. Elle accoucha, à quarante-six ans sonnés (19 juin 1574), au château de Castelnau, en Périgord, d'une fille posthume qui fut la célèbre Anne de Caumont.

La carrière amoureuse de Marguerite de Lustrac était terminée, mais non sa vie d'intrigue. Son fils, le petit marquis de Fronsac, ne vécut que quelques années. Seule, avec une fille au berceau, elle eut besoin d'une extraordinaire énergie pour gérer et défendre son immense fortune terrienne, accrue du gros patrimoine de Caumont. Par la conduite de son mari, par son

1 Géraud de Maynard, Notables questions de droit, t. I, p. 438 (Toulouse, 1751).

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