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gile, puisque saint Pierre paraît avoir baptisé sur la voie Nomentane 1, aux environs du camp prétorien, et que saint Paul prêcha aussi dans la même région 2. Dès 57, les fidèles de Rome avaient acquis une illustre recrue, si, comme tout le fait supposer, le changement de religion de Pomponia Graecina, raconté par Tacile, doit s'entendre d'une conversion au christianisme 3. Les chrétiens nommés dans les salutations qui terminent la lettre écrite en 58 par saint Paul aux Romains sont de rang plus humble, quelques-uns même, apparemment, de condition servile, mais portent pour la plupart des noms plutôt romains que juifs 4. Il semble donc que l'Église primitive de la ville éternelle ait renfermé, dans une proportion impossible à déterminer, les deux éléments, et ait été formée de Juifs et de convertis de la gentilité.

Les Actes des apôtres racontent qu'en 61, lors de l'arrivée de Paul prisonnier, les « frères allèrent au-devant de lui jusqu'à plusieurs milles de Rome 5. Cela semble indiquer que la communauté chrétienne de cette ville était encore peu nombreuse. Aussi ne donnait-elle pas d'ombrage au gouvernement, qui pendant deux années permit à Paul, gardé seulement par un soldat, de recevoir qui il voudrait dans sa maison et de prêcher là et au dehors la parole de Dieu 6. Cette prédication porta probablement des fruits rapides, car Tacite dit qu'en 64 les chrétiens de Rome forment déjà « une grande multitude 7. » Mais avec l'attention publique, attirée par leur nombre croissant, naquirent vite, à leur sujet, les défiances et les calomnies. Une opinion répandue dès les premiers siècles attribue à la « jalousie des Juifs les mauvais bruits qui ne tardèrent pas à courir sur les chrétiens 8. On arriva bientôt à leur imputer les crimes « les plus atroces et les plus honteux 9.» Leur vie retirée, leurs

1 De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 179, 190; Del luogo appellato ad Capream presso la via Nomentana, p. 4, 5, 14, 15 (Extrait du Bull. della comm. arch. com., 1883).

2 Act. Apost., xxvп, 16, 30, 31; Philipp., I, 13.

3 Tacite, Ann., XIII, 32; De Rossi, Roma sott., t. II, p. 363.

4 Saint Paul, Rom., xvi, 3, 16. Cf. Lightfoot, Philippians, p. 171 et suiv.

5 Act. Apost., xxvIII, 15.

6 Ibid., 30, 31.

7 Tacite, Ann., XV, 44.

8 Tertullien, Apol., 21. Cf. saint Clément, Cor., 6.

Tacite, Ann., XV, 44.

réunions secrètes, le mystère dont, par crainte des profanations, ils entouraient leurs pratiques religieuses, la division que les conversions mettaient souvent dans les familles, les intelligences des premiers fidèles avec les esclaves, aisément gagnés à la foi, semblaient autoriser tous les soupçons. On voit par les épitres pastorales de saint Paul, par la première épître de saint Pierre, la sollicitude avec laquelle les apôtres recommandent de n'y donner lieu par aucune imprudence, faisant une loi à tous les chrétiens d'obéir aux dépositaires de l'autorité, soit domestique, soit politique 1, en particulier aux esclaves de respecter leurs maîtres païens 2, aux femmes de se montrer soumises à leurs maris, de peur que la parole de Dieu ne soit blasphémée 3. » Mais la conduite la plus prudente, et même une vertu irréprochable, ne suffisent pas toujours à désarmer les préventions : même aux yeux des gens éclairés, qui se tenaient au-dessus des rumeurs populaires, le soin avec lequel les fidèles s'abstenaient des fêtes profanes, leur haine pour les spectacles, leur éloignement volontaire des fonctions publiques, trop souvent entachées d'idolâtrie, autorisaient une imputation d'autant plus redoutable qu'elle était plus vague. Il semble bien que, dans le cas de Pomponia Graecina, ce furent précisément la sévérité, la tristesse apparente de sa vie, « ses habitudes lugubres, » qui trahirent sa conversion, et engagèrent son mari à la traduire, suivant l'antique usage, devant un tribunal domestique. On voyait ainsi dans les chrétiens des hommes d'une espèce à part, et ceux qui ne leur imputaient ni meurtres cachés, ni débauches secrètes, les accusaient au moins de « haïr le genre humain 4. » Néron exploita à son profit cette disposition défavorable de l'opinion publique, quand, en 64, il essaya de détourner sur les chrétiens les soupçons qui s'attachaient à lui-même après l'incendie de Rome. Il n'y réussit qu'imparfaitement. Le peuple croyait les chrétiens capables de tous les crimes, les gens du monde les considéraient comme les adversaires naturels et la condamnation vivante d'une civilisation corrompue; mais la main de Néron et de ses familiers paraissait trop visible dans le

1 Saint Pierre, I. Eр., п, 13, 14.

2 Saint Paul, I Tim., vi, 1.

3 Saint Paul, Til., 1, 5; cf. saint Pierre, I, 1.

4 Tacite, Ann., XV, 44.

désastre qui avait consterné Rome pour que la diversion eût la chance d'un succès complet. Cependant le procès suivit son cours. A travers le récit trop souvent obscur de Tacite on en peut suivre les diverses phases 1. D'abord quelques individus furent arrêtés, et s'avouèrent chrétiens : les indices recueillis dans leur interrogatoire mirent sur la trace de leurs coreligionnaires bientôt le nombre des détenus devint très grand. Mais aussitôt le procès dévia. Peut-être laissa-t-on subsister pour les premiers arrêtés la charge d'incendie; quant à la multitude des accusés qui leur furent adjoints, ce n'est pas comme incendiaires, c'est comme « ennemis du genre humain » qu'ils furent condamnés à divers supplices. Ce que voulait Néron, c'était moins punir un crime imaginaire qu'apaiser la colère de la foule en lui jetant des victimes. L'effet, pensait-il, sera sûrement produit si à la vengeance on ajoute le plaisir et si l'on transforme le supplice en spectacle. De là ces fêtes horribles dont le cirque et les jardins du Vatican furent le théatre, et que Tacite, d'après les documents contemporains, saint Clément, peut-être témoin. oculaire, nous font connaître chrétiens revètus de peaux et chassés comme un gibier par des chiens, chrétiennes exposées aux béles sous des déguisements mythologiques, crucifiés enduits de poix et allumés en guise de flambeaux 2. Mais la cruauté de Néron dépassa le but même pour les chrétiens, objets de l'aversion populaire, mais manifestement innocents de l'incendie, la foule romaine ressentit un mouvement de pitié, noté avec soin par Tacite.

Tel fut le premier acte de persécution dirigé contre les adorateurs du Christ. Il serait difficile de voir autre chose dans les supplices de 64. Si Néron s'efforce de donner le change à l'opinion publique en poursuivant de prétendus incendiaires, il cherche les accusés dans un groupe d'hommes déjà connus du peuple sous le nom de chrétiens. L'imputation première s'efface vite devant une autre, et les condamnés sont envoyés à la mort comme ennemis du genre humain, c'est-à-dire comme réfractaires à la civilisation et à la religion romaines. Le caractère

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1 Tacite, l. c. Les divers moments du procès, et les difficultés de traduction qu'offrent certaines expressions de Tacite, sont clairement élucidés par Ramsay, p. 232 et suiv.

2 Tacite, Ann., XV, 44; saint Clément, Cor., 6.

pris ainsi par des poursuites intentées à l'occasion d'un fait accidentel, puis devenues assez générales et assez vagues pour englober des hommes qui n'y avaient d'autre titre que leur religion, rend vraisemblable une opinion souvent contestée, à savoir que la persécution, commencée à Rome, s'étendit de là aux provinces et dura autant que le règne de Néron.

Cette opinion est confirmée par une phrase courte, mais très significative, de Suétone. A lire Tacite, on est porté à croire que la conduite de Néron à l'égard des chrétiens fut une conséquence de l'incendie de Rome. Ce que dit le grand historien de la facilité avec laquelle l'accusation changea d'objet permet seul de deviner que la politique impériale avait dès lors contre eux d'autres griefs. Le biographe des empereurs le montre plus clairement. Sous sa plume, tout caractère particulier et local s'efface. Plus de lien entre l'incendie et la persécution. Suétone parle de celle-ci en un endroit de la Vie de Néron : c'est beaucoup plus loin qu'il racontera l'incendie. En le lisant, la persécution apparait indépendante du fléau. Moins préoccupé que Tacite de mettre en relief et, pour ainsi dire, d'achever par un dernier coup de pinceau la peinture d'un des crimes de Néron, il néglige l'accident pour laisser voir seulement la portée générale de la mesure. « Les chrétiens, dit-il, hommes d'une superstition nouvelle et malfaisante, furent frappés de divers supplices 1. Ces paroles s'entendent d'une répression permanente, systématique, ayant pour motif la nouveauté et le caractère

malfaisant » de la «< superstition chrétienne. Le contexte achève de marquer ce sens, car la phrase que nous venons de citer se lit au milieu d'une longue énumération de mesures destinées à durer, règlements, lois ou édits ayant pour objet de réprimer des abus et d'assurer l'ordre public.

Rapproché de ce texte, un document contemporain prend toute sa valeur historique je veux parler de la première lettre de saint Pierre. La date qui lui convient le mieux est au lendemain des événements de 64, au moment où la persécution commence à gagner les provinces. Écrivant de Rome, désignée par le nom symbolique de Babylone 2, aux chrétiens du Pont, de la

1 Suétone, Nero, 16.

2 Tous les critiques reconnaissent aujourd'hui que Babylone, dans l'avantdernier verset de la première épitre de Pierre, doit s'entendre de Rome, ainsi

Cappadoce, de l'Asie, de la Bithynie, l'Apôtre leur donne des conseils en vue de la calamité « nouvelle 1 » qui va fondre sur eux ou qui les a déjà atteints. Il leur recommande de se garder plus que jamais de toute faute contre les lois ou la morale. « Qu'aucun de vous ne soit châtié comme homicide, ou voleur, ou malfaisant, ou avide du bien d'autrui 2. » Mais il leur rappelle que leur innocence même ne les mettra pas à l'abri de toute poursuite. « Si l'un de vous est puni comme chrétien, qu'il n'en rougisse pas; que, tout au contraire, il en glorifie Dieu 3. » On punissait donc les chrétiens de ces provinces, et leur religion seule, en dehors de toute inculpation de droit commun, pouvait être pour eux une cause de condamnation.

On ne connait les noms d'aucune des victimes de la persécution, à l'exception de saint Pierre et de saint Paul, dont le martyre à Rome est attesté par des documents du er et du 11° siècle 4, et qu'une tradition à peu près unanime dit avoir péri sous Néron. Après la mort de ce prince, les chrétiens eurent un long intervalle de paix. Mais leur situation juridique, l'espèce de mise hors la loi prononcée contre eux, ne fut pas modifiée. Dans la rescision de tous les actes de Néron, cette seule institution néronienne subsista 5. La tranquillité dont ils jouirent sous ses trois éphémères successeurs, puis sous les deux premiers Flaviens, resta donc précaire, à la merci d'un réveil de soupçon ou de fanatisme. Leur existence propre était maintenant bien connue. On les regardait comme les frères des Juifs, mais des frères ennemis 6, si bien qu'ils partageaint l'impopularité de

désignée dans le style secret des Juifs et des chrétiens, et non de la ville de Chaldée, qui n'existait peut-être plus au premier siècle, et où d'ailleurs Pierre n'a jamais prêché. Ramsay insiste à ce propos (p. 286) sur le caractère essentiellement romain de la lettre de Pierre; mais il donne (p. 288) des raisons bien peu solides pour prolonger la vie de l'apôtre et faire descendre son épitre jusqu'au temps des Flaviens.

8.

1 Saint Pierre, I. Ep., IV,

2 Ibid., 15.

3 lbid., 16.

12.

Saint Clément, Cor., 5, 6; Denys de Corinthe, dans Eusèbe, H. E., II, 25, Cf. saint Ignace, Rom., 4; Origène, dans Eusèbe, H. E., III, 1, 2; Tertullien, De praescr., 36; Scorp., 15; Caius, dans Eusèbe, H. E., II, 25, 7.

-

3 "

Permansit, erasis omnibus, hoc solum institutum neronianum. » Tertullien, Ad nat., I, 7.

Voir le discours de Titus à ses officiers pendant le siège de Jérusalem, dans Sulpice Sévère, II, 30, reproduisant probablement un passage perdu de Tacite.

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