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18 convives; à la fin du mois, il y en avait 40; le mois suivant, 60. On arriva vite à 80, 90, 100; on varia ensuite de 105 à 121, sans aller au delà. Quelques prètres payaient leur pension de six à dix livres par mois; la plupart ne payaient rien.

Trois cent cinquante-neuf prètres, originaires de quarantehuit diocèses, s'assirent successivement à cette table pendant les deux ans et demi qu'elle resta ouverte. On y voit d'abord ceux qui étaient les plus proches de la frontière suisse en première ligne, Besançon, avec 65 prêtres; Lyon, avec 42; Autun, avec 37; Saint-Claude, avec 29. Venaient ensuite Nevers, Clermont, Limoges, Troyes, Dijon, le Puy; Nevers comptait 25 prètres, Dijon et le Puy, 11 chacun. Le reste est réparti sur trente-huit diocèses, les uns très éloignés, comme Poitiers, Tulle, Coutances, Rouen, Vannes; les autres du Midi : Avignon, Vienne, Castres, Carpentras, Rodez; mais tous ces dioceses ne figurent que pour quelques unités. Dix-huit n'ont chacun qu'un seul prêtre Paris est dans ce cas.

Les secours ne se bornaient pas à la table commune. En place de nourriture, beaucoup de prêtres recevaient une petite pension de deux à trois livres par semaine. Ce mode de subvention tourna vile en usage; soixante à soixante-dix prètres en profitèrent. Aux malades, on payait des remèdes; ce chapitre du budget hospitalier s'augmenta avec les ressources. La charité ne se bornait même pas aux prétres habitant Fribourg; quelques-uns, qui logeaient aux environs, participaient aux distributions d'argent hebdomadaires : à un groupe de prêtres qui habitaient à Estavayer-le-Lac, on envoyait de temps en temps un sachet de riz, évalué à 63 livres.

L'œuvre, on s'en souvient, avait encore pour objet de pourvoir aux frais de voyage des prètres, » c'est-à-dire à leur retour en France. Après thermidor, par une confiance prématurée dans l'esprit de justice du nouveau gouvernement, un certain nombre de prètres cédèrent au désir de rentrer dans leurs paroisses, où les rappelaient d'ailleurs les sollicitations des habitants plus d'un trouva la mort dans cette périlleuse aventure. En 1795, les départs furent plus nombreux encore. Il fallait donc s'occuper de l'habillement des voyageurs ; à la manufacture de bas organisée et tenue par MM. Jeannin et Jacquin, prétres de Besançon, on en achetait à deux livres la paire; à un

prêtre chapelier, des chapeaux; les culottes tiennent aussi une grande place dans les dépenses. Pour le reste du vètement, il s'agissait moins de trouver des soutanes que des habillements laïques pour déguiser le missionnaire; on achetait de vieux. habits dans les ventes publiques; on retenait soigneusement ceux qu'abandonnaient les prêtres qui s'en allaient ailleurs qu'en France.

Pour les secours en argent, la caisse était, forcément, assez parcimonieuse: on comptait sans doute sur l'hospitalité gratuite que le voyageur rencontrerait en route. Ainsi, deux prètres, las d'oisiveté ou de misère, partent pour la Guadeloupe: on leur remet à chacun 9 livres! Ces légères bourses de voyage ne s'appliquent pas seulement au retour en France qu'un prêtre ait besoin pour sa santé d'aller prendre les eaux du Valais; qu'un autre se rende sur la frontière pour recueillir quelques communications de France; que celui-ci s'écarte des villes pour évangéliser des populations forestières; que cet autre soit envoyé à la recherche d'une femme Leschine dont la banqueroute a fait tort à bien des proscrits: dans ces divers cas, indemnité. Enfin, des prétres arrivent de Paderborn, de Münster, exténués de leurs longues marches à pied, la bourse à sec : la caisse leur fournit quelques pièces d'argent pour continuer leur voyage; elle ajoute, ce qui n'est pas moins utile, une paire de souliers.

Sur la fin de la période qui nous occupe, les secours prennent la forme d'honoraires de messes; l'usage en prévaudra dans la période suivante.

Si l'on tient compte du grand nombre de prêtres qui habitaient Fribourg ou les environs, il faut reconnaitre que, relativement, ce ne fut qu'un petit nombre d'entre eux qui recourut soit à la table de la commanderie, soit à la caisse commune. Pour y ètre admis, il fallait justifier de son dénuement, et, si la commission s'ingéniait à ne distribuer ses secours qu'à bon escient, les ecclésiastiques ne mettaient pas moins de réserve et de conscience à les solliciter. Ceux qui avaient des ressources personnelles les communiquaient à leurs confrères; d'autres donnaient des leçons; beaucoup exerçaient des métiers manuels: tel ce prêtre qui distribuait autour de lui 6,000 livres qu'il recevait annuellement de sa famille; pour se suffire à lui-même, il avait pris pour vivre l'alène de cordonnier.

IV.

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L'œuvre de la Commanderie n'était pas réservée exclusivement aux prêtres; elle devait « secourir également les émigrés français qui seraient dans le besoin. Cependant les émigrés ne s'asseyaient guère à la table commune comment, en effet, avec leurs familles nombreuses, se fussent-ils déplacés plusieurs fois le jour pour aller chercher un repas à la Commanderie? Plus d'une convenance, d'ailleurs, y eût été blessée. Pour les émigrés, on procéda donc autrement. Dans les deux premiers mois (janvier et février 1794), il n'est pas question d'eux; mais, à partir de mars, commence un service hebdomadaire d'allocations modestes, les unes qui cessèrent au bout de quelques mois; les autres qui durèrent autant que l'établissement, et même au delà. Ces allocations étaient proportionnées au nombre de membres dont se composait la famille secourue. Ainsi, le chevalier de Boisragon, qui était seul, recevait 4 1. 5 s. par semaine; le comte d'Esternoz et sa femme, 12 1., soit 6 1. chacun ; mais M. de Sinard recevait bien moins, car 12 1. par semaine devaient suffire aux huit personnes qu'il avait avec lui. Pour les familles que nous venons de nommer, ces secours ne durèrent que quelques mois.

D'autres furent pour ainsi dire chroniques. Le comte et la comtesse de Verdonnet, avec deux fils et une fille, étaient abonnés, à partir de mai 1794, à 18 livres par semaine, qui s'augmentaient de temps en temps de frais d'habillement pour les dames ou de dépenses de pharmacie. Le comte de Lallemand recevait 9 livres par semaine pour trois personnes; pour le même nombre, M. de Patornay n'en avait que 6. Des sommes analogues étaient assurées à M. Favre de Longry et à M. le chevalier de Longry. Nommons encore l'avocat Landes, le comte de Fuscey et sa femme; le baron et la baronne de La Fare; le marquis de Follin et sa famille; la comtesse d'Allisac; le comte de Laverne et sa famille; M. Cot, « directeur des postes à Bulle 1. »

1 Sic. Bulle étant une ville de Suisse, M. Cot, émigré français, ne pouvait pas y être directeur des postes. Il est à supposer qu'il avait été directeur des postes en France et qu'il était réfugié à Bulle, canton de Fribourg, où on lui faisait tenir des secours.

A partir de juin 1795, de nouvelles familles sont admises au service hebdomadaire; le comte de Freyssinet, de Montpellier, avec fils, fille, petit-fils et petite-fille; la marquise de Gabriac, d'Armaillères, avec trois personnes. Elle habitait Fribourg depuis le 9 octobre 1792; trois années d'exil avaient dû diminuer ses ressources; elle reçut 24 livres, puis 18 par semaine. A la mème date, Mmes de Belot et Mme de Rostaing, chanoinesses; le marquis de Ville, maréchal des camps et armées du roi; le marquis de Joviac, qui avait le même grade. La famille de ce dernier, composée de cinq personnes, obtint d'abord des secours sous le voile de l'anonyme; à partir de décembre 1795, elle fut inscrite sous son nom. Un ancien militaire, originaire du Poitou, Constans, reçoit 6 livres par semaine à partir de septembre 1795. En mai 1796, apparaît dans les comptes le nom du baron Jean de Juigné, avec six filles ou fils; il était logé chez un des magistrats de la ville, M. de Castella-Villardin. Le vicomte et la vicomtesse de Juigné habitaient également Fribourg avec deux filles et un fils. Mgr de Juigné, archevêque de Paris, réfugié à Constance, veillait de là sur sa famille; soit directement, soit par l'entremise du nonce, Mgr Gravina, il lui faisait passer des secours; il en vint encore d'ailleurs et la caisse Montrichard en fut l'intermédiaire. Il n'y avait pas de semaines pour la famille de Juigné, mais des dons ou avances ainsi, en mai, 230 livres pour habiller tout ce monde et à raison de son prochain départ; puis 110 livres pour le même motif; plus tard, 800 livres. Il en sera plus loin de nouveau question.

En dehors de ces allocations régulières, il y en avait d'accidentelles. Des soldats de l'armée de Condé qui en revenaient ou qui y retournaient obtenaient un secours de route ou de séjour. Des émigrés de passage, ayant la bourse vide, s'adressaient à M. l'abbé de Montrichard M. de Montausier recevait ainsi 36 livres avant de partir; le comte de Montvallon, 36 livres; la comtesse de la Tour d'Auvergne, 12 l. 12 s.; Mmes de Jouffroy, chanoinesses, se rendant avec leur sœur, Mme de Morvillier, à Ratisbonne, 129 livres. Certaines sommes, un peu fortes, n'étaient que des avances destinées à être remboursées en des temps plus heureux; M. de Valade reçut ainsi 432 livres; le chevalier de Villars, 192; la marquise de Villers-Vaudey, 600; la comtesse de Lasalle, 303 livres, « pour arranger ses affaires, »

dit le registre: nous verrons, en effet, plusieurs de ces sommes restituées ultérieurement. Du reste, dans cet exil sans issue, qui pouvait se promettre d'échapper à la charité? Le chevalier de Ravenel, tout attaché qu'il fût à la princesse de Conti, dut recourir, lui aussi, à la caisse des émigrés en février 1796, on lui remit 25 livres; en avril, comme tant d'autres, il fut admis aux semaines il recevait 6 livres.

Ces noms et ces chiffres, je ne les donne pas pour faire parade d'indiscrétion. Ce qui se passait alors en Suisse, à Fribourg et ailleurs, nous le rencontrons en Angleterre. Les personnages les plus marquants de l'émigration s'étaient fait inscrire aux registres de secours; ils sollicitaient eux-mêmes cette inscription la nécessité leur en faisait une loi. Les princes de la maison de France, le duc d'Orléans, recevaient au même titre les subventions du gouvernement anglais, et, par les lettres de Louis-Philippe qu'on lit dans les Papiers d'un émigré 1, on voit avec quel soin, jusque sous l'Empire, ce prince veillait à assurer à lui et aux siens la continuation de ces secours. Comme nous, on a publié le montant des subventions hebdomadaires ou mensuelles que la commission des émigrés accordait à tels ou tels, suivant les situations sociales et les titres; comme nous, on a donné les noms : c'est la preuve de l'authenticité du document.

La révélation même de ces noms démontre combien ces œuvres de secours étaient nécessaires. S'il était pénible à tout ce monde habitué à la richesse, au luxe, au plaisir, de traverser tant de misère, combien plus d'avouer cette misère, et de l'avouer à un particulier! Traiter avec l'abbé de Montrichard, c'était tout autre chose: son caractère de prêtre facilitait les confidences et ouvrait les cœurs. Sa personne même disparaissait dans le mandat général de charité dont il était investi; ces dons, il ne paraissait pas les prélever sur sa propre fortune; il était le dispensateur d'une caisse impersonnelle, ouverte à tous ceux qui en avaient besoin; on s'adressait à lui avec simplicité et confiance; on recevait de lui sans rougir. Tantôt il s'agissait de besoins permanents et dont le terme semblait loin; le service

Lettres du duc d'Orléans, p. 210-220. C'est M. le colonel de Guilhermy qui a publié les Papiers de son père.

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