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VI.

Cependant, le 30 juin 1796, l'établissement ferma brusquement, la table commune fut supprimée, les évêques arrêtèrent les comptes et M. de Montrichard liquida son matériel. Après deux ans et demi d'existence, quand la clientèle était nombreuse, quand les ressources abondaient, cet arrêt subit d'une entreprise si bien menée et si sympathique à tous ne s'explique pas. Pour s'en rendre compte, il faut se rappeler les fréquentes démarches de l'ambassadeur de France pour obtenir des autorités fédérales l'éloignement des prètres et des émigrés ces autorités promettaient, mais elles traînaient ensuite en longueur et se dérobaient. Le 3 juin 1796, l'ambassadeur fit de nouvelles instances, afin qu'il ne fût plus accordé de permis de séjour aux émigrés, tant laïques qu'ecclésiastiques; il demanda aussi qu'on repoussât de la Confédération les émigrés chassés de l'Italie par les armes victorieuses de la France. Les victoires de Bonaparte en Italie, les procédés violents qu'employait partout le Directoire à l'égard des petits États, confirmaient les menaces dont son agent en Suisse appuyait ses représentations.

Le gouvernement de Fribourg allait être réduit à céder. Il était du devoir de nos exilés de lui en faciliter les moyens. On résolut donc d'obéir, et l'on obéit sans tergiversation, sans délai, sans recourir à aucun subterfuge. Et voilà comment, à la suite de l'avertissement du 3 juin 1796, l'établissement de la Commanderie fut supprimé pour le 30.

Il convient de remarquer que ces instances du Directoire coïncidaient avec un besoin général des diocèses de France de retrouver leurs pasteurs comme avec le désir de ceux-ci de rallier leurs paroisses. Les lois de ventóse et de prairial an III et de vendémiaire an IV avaient assuré aux cultes une liberté relative sous des conditions que beaucoup de prêtres croyaient pouvoir accepter il suffisait d'une déclaration de soumission aux lois. Les populations sollicitaient leurs prêtres de reprendre les fonctions de leur ministère : dans combien de départements quelques-uns réunirent en plein champ des centaines de fidèles, distribuant le baptème ou la sainte communion! Les évêques

restés en exil ne se montrèrent pas insensibles à ces manifestations, et, pour y répondre, ils organisèrent leurs diocèses en missions et y envoyèrent des apôtres.

Il fallait donc se disperser, mais ce ne fut pas pour courir d'autres chemins d'exil; on résolut de rentrer en France. Dans les seuls mois de juillet et d'août 1796, nous constatons une centaine de départs. Il y en eut bien davantage; mais nous ne relevons que ceux qui ont motivé des secours de route. C'est le nouvel emploi que l'abbé de Montrichard donna aux fonds qu'il continuait de recevoir. En septembre, octobre, novembre et décembre, cinq départs seulement sont indiqués. Le mouvement s'arrête jusqu'en avril 1797. A cette époque eurent lieu les élections dites du second tiers, qui furent favorables aux royalistes et aux catholiques, ou, pour parler plus exactement, aux hommes modérés : la nouvelle majorité réclama l'abrogation des lois oppressives. Les exilés songèrent à escompter les mesures de réparation qu'on annonçait. En avril 1797, nous constatons vingt-deux départs de prêtres pour la France; en juillet, treize; en août, six; en septembre, quatre. On enregistre en même temps l'envoi réitéré de petits missels portatifs qu'il était facile au missionnaire de dissimuler sous ses vêtements.

A partir du 4 septembre 1797, c'est-à-dire du 18 fructidor, date du coup d'État qui renversa tant d'espérances et renouvela les lois de persécution, on ne part plus pour la France; tout au contraire, on en revient. Ainsi, en octobre, il y a des secours soit pour des familles émigrées qui viennent de quitter le sol français, soit pour des prêtres arrivant de Lyon, de Nevers, de Besançon. Mais ce ne fut qu'un instant la plupart des prêtres rentrés en France y restèrent, préférant aux misères de l'exil les périls de l'apostolat. Combien, en effet, eurent à subir ou l'emprisonnement ou la déportation, sans parler de ceux qui, traités en émigrés, comparaissaient devant les commissions militaires et expiaient par la mort leur dévouement!

On donna encore des secours sous forme soit d'honoraires de messes, soit de semaines. On renonça vite à ce second mode, qui fut remplacé par des allocations destinées à l'habillement, aux remèdes, aux besoins généraux. Les émigrés prennent même le pas sur les prêtres, sans doute parce que ceux-ci ont en grande partie quitté Fribourg; ils reçoivent d'un coup des

sommes importantes, par exemple, 240 livres à la fois. Eux aussi, ils s'habillent aux frais de la caisse tel comte accepte des chemises, et tel ancien président de parlement, une culotte; telles dames nobles, des habillements complets.

Une troisième évolution s'opère en février 1798. La Suisse est menacée d'une invasion française qui se réalisera au commencement de l'année suivante. Tous fuient, l'abbé de Montrichard comme les autres. Il se réfugia à Ausgbourg, puis à Landshut, en Bavière. Mais il emportait avec lui et sa caisse et son crédit : il restait le centre des dons et des secours. Désormais, il expédiera des sommes d'argent partout où le besoin s'en fera sentir; les malheureux ne souffriront ni de son éloignement ni de leur dispersion: la manne de la charité vient les trouver à Constance, à Zell, à Ottoburen, à Fribourg en Brisgau, à Munich, à Memmingen, à Ratisbonne, à Seckingen et jusqu'en Moravie. Les allocations sont même tout aussi régulières qu'à Fribourg, et ceux qui en profitent peuvent compter sur l'abbé de Montrichard comme sur le plus exact des banquiers. Aux familles qui bénéficiaient de ces secours à Fribourg, il s'en est ajouté d'autres : comtesse de Montrevel, comte de Galard, baron de Saint-Vincent, chevalier de Bayard, chevalier de la Bastide, marquise de Montferrier, comtesse de la Loyère, etc. L'abbé Badier, doyen de Semur, retiré à Constance, recevait ainsi d'assez forts honoraires de messes, qu'il était chargé sans doute de répartir entre les prètres groupés autour de lui.

Il serait fastidieux de suivre de près et dans le détail la distribution de ces secours à distance. Il nous suffira de dire que, du 1er juillet 1796 au 12 avril 1800, c'est-à-dire dans l'espace de trois ans et neuf mois, elle absorba 56,551 livres.

Qu'en dépit des circonstances contraires et des changements qui se produisaient dans son existence, l'abbé de Montrichard soit resté la Providence vivante de tant de personnes, on le comprend son nom et sa charité étaient devenus légendaires, et l'on recourait à lui comme au bienfaiteur nécessaire et toujours prêt. Il est plus merveilleux de voir les donateurs lui continuer sa mission, el, son établissement supprimé, plus tard lui-même étant en fuite, le conserver pour dépositaire et pour intermédiaire, comme s'il personnifiait une institution de charité. La générosité de tous s'attachait à ses traces, et, pour

qu'elle cessât de le poursuivre, il dut lui-même la décourager. Ainsi, dans cette seconde période, nous rencontrons les mêmes sources de revenus que dans la première.

Les évêques lient leur charité à la personne de M. de Montrichard; ils versent 5,050 livres, dont 2,000 pour le rembourser de ses avances. Leurs dons s'arrêtent en octobre 1797. Une nouvelle collecte est faite dans les cantons de Berne, de Zurich et de Glaris, par MM. Bernardy et Bonnouvrier; elle produit 1,864 livres. Un capucin, le P. Joseph, fait deux quêtes à Frauenfeld et aux environs; Mallet du Pan, le célèbre journaliste, se met aussi à l'oeuvre et réunit 586 livres. Avec la France, les moyens de communication sont devenus plus faciles de Troyes, de Nancy, de Dole, il arrive des honoraires de messes. M. Roma, ce prêtre d'Orléans, qui, pendant trois ans, avait servi de secrétaire à M. de Montrichard, n'oublie pas ses confrères de Fribourg et leur procure 781 livres. Le diocèse de Besançon continua ses envois. Les dons les plus nombreux vinrent de Lyon ou de Lyonnais : les membres de la famille Jaccoud expédient régulièrement des secours, les uns de Lyon, les autres de Bavière où ils sont réfugiés; deux Lyonnais encore, MM. Mayou et Babouin, établis à Augsbourg, joignent leurs offrandes; Mile Rose de Millanois envoie 120 livres; mais, entre tous, il faut signaler M. le comte de Bois-Boissel, chanoine et vicaire général de Lyon, qui devient comme le pourvoyeur de ses confrères du 18 novembre 1796 au mois d'avril 1800, il fait dix-huit envois qui s'élèvent au total à 4,022 livres.

:

Les étrangers ne montraient pas à l'abbé de Montrichard moins de faveur que précédemment. L'archiduchesse Marianne, de Vienne, envoyait 2,325 livres; la duchesse Caroline de Saxe, 979; le duc de Saxe, 5,224. L'évèque d'Augsbourg, voyant de près l'œuvre de M. de Montrichard devenu l'hôte de son diocèse, multipliait ses dons en janvier 1798, 1,200 livres; en février, 1,440; en mai, 720; total: 3,360 livres. Le comte de Portia, chanoine de Brixen (Tyrol); l'abbé-prince de Schonthal; le Père gardien des Récollets de Presbourg; le nonce du Pape à Lucerne, Mgr Gravina; à Rome, Mgr Caleppi, que nous avons déjà signalé; M. de Wickam, ambassadeur d'Angleterre; la comtesse Golowine, la princesse régnante de Hohenlohe, la princesse de Hohenzollern; tant d'autres, anonymes, de Wilna, de Salz

bourg, d'Italie, de Vienne, alimentaient la caisse de la charité.

La princesse de Conti n'interrompit pas ses libéralités. En juillet 1796, à défaut peut-être d'argent comptant, elle remit un lot de médailles qu'on vendit 562 livres. Dans cette période, elle donna souvent une destination spéciale à ses offrandes (famille de Follin, marquise de Gabriac, comte de Verdonnet); quatre à cinq mille livres passèrent ainsi. A partir de mars 1797, il n'est plus fait mention d'elle; l'invasion française l'avait forcée, elle aussi, de quitter la Suisse.

Une dernière source de revenus, non la moins touchante, est à signaler. Des prêtres, des émigrés qui avaient vécu à la table de la Commanderie ou reçu des secours de la caisse commune, se trouvant en meilleure fortune, s'empressaient de rembourser les avances qui leur avaient été faites ou de fournir quelques charités en récompense de celles dont, aux heures difficiles, ils avaient bénéficié 1. Avant de mourir, des prêtres réservèrent dans leur succession des legs à M. de Montrichard (successions d'Apchon, Lasnier de Reims, abbé Barre, etc.).

Les recettes s'élevèrent pour les six derniers mois de l'année 1796 à 10,571 livres; en 1797, elles atteignirent 19,6641. 15 s. En 1798, malgré le déplacement de l'abbé de Montrichard qui se retira à Augsbourg, puis à Landshut, elles se maintinrent encore à 13,413 1. 15 s. Cependant, à la fin de plus d'un mois, l'abbé, qui n'avait plus besoin de secrétaire, fut réduit à écrire : « Je n'ai rien reçu, » ou bien : « je n'ai encore rien reçu ce moisci. En 1799, la recette tombe brusquement à 4,617 livres, et si, dans les premiers mois de 1800, nous notons 3,286 livres, c'est que le duc de Saxe en a donné à lui seul 2,612. En avril 1800, les écritures s'arrêtent tout à coup, sans explication, sans résumé, sans total, sans signature: c'est fini 2.

L'œuvre de l'abbé de Montrichard était née de l'exil; l'exil cessant, elle perdait sa raison d'être. Elle cessa avec lui. En 1800, tous les prètres n'étaient pas rentrés, mais les retar

1 M. de Valade remboursa 215 1.; M. de Vilards, 192; la comtesse des Roches, 48; le président de Bucy, 85; le marquis de Villiers, 600; le comte de Flamarens, 96; l'abbé Badier, 30; l'abbé Michaud, 24 « sur ses frais de maladie; l'abbé Girard, chanoine de Salins, 120; etc.

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2 Le total des recettes pour ces trois années et neuf mois fut de 51,102 1. 10 s., inférieur aux dépenses (56,551) de 5,449 livres.

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