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gieuse avec eux. Il faudra donc prier le prince d'admettre la discussion et de faire rechercher la vérité en vue de l'union. D'ailleurs celle-ci sera toujours nécessaire quand même il aurait vaincu les Turcs, car il ne pourra jamais vivre en paix avec les princes catholiques tant qu'il professera une religion différente de la leur.

Et lorsque l'on sera arrivé à ce point de traiter l'union, que le Seigneur très clément veuille tout diriger à sa gloire et à son honneur !

Les dernières lignes du mémoire révèlent le but suprême que se proposait Krijanitch, ses plus secrètes espérances et les vrais motifs dont il s'inspirait. Elles expliquent aussi les contradictions apparentes de sa conduite et, à certaines époques de sa vie, ses allures étranges. Cet homme, qui semble absorbé par les sciences profanes, par la grande politique et les rivalités nationales, ne songe principalement qu'à l'union des Églises; mais, esclave de son propre programme, au lieu d'aller droit au but, il prend des chemins de traverse, s'avance et revient sur ses pas, s'enfonce de nouveau au risque de s'égarer complètement. Que s'il a échappé lui-même à ce malheur, ses historiens ont été certainement déroutés par ses procédés. On s'est demandé plus d'une fois s'il a été réellement missionnaire à Moscou ou simple agitateur populaire, agent de bonne volonté, grand semeur d'idées ne recueillant que des déboires? Désormais, grâce au mémoire de 1641, ce point peut être considéré comme définitivement éclairci.

Les autres documents d'origine romaine confirment l'interprétation donnée ci-dessus. Ordonné prêtre en 1641, après avoir dit sa première messe à Saint-Pierre en 1642 1, il fit un voyage en Russie sur lequel les détails nous manquent. Rome le revoit vers 1656, aussi pauvre et dénué de ressources qu'il l'avait été naguère, mais toujours animé de la même ardeur, travaillant sans relâche à son œuvre d'après ses idées et son plan primitif. Il avait rapporté de Russie beaucoup de livres, et il s'était mis aussitôt à les traduire ; mais, pressé par la misère, il se vit obligé de saisir la Propagande d'une demande de traitement. Il offrait en échange sa plume et sa parole.

Le 1er octobre 1657, un rapport sur ce sujet fut présenté à la Congrégation par son secrétaire, et les membres présents émirent leurs opinions. Mgr Massori déclara que Krijanitch n'était jamais parvenu jusqu'à la capitale même de la Moscovie, ce qui est, en effet, très

1 A cette occasion, Krijanitch rechercha l'autorisation d'embrasser le rite oriental et de se servir de la langue slavonne. On ignore la teneur de la réponse qui lui a été donnée.

2 Le fruit de ses travaux fut une vaste compilation intitulée: Bibliotheca schismaticorum universa. Le premier volume se conserve à Rome, à la bibliothèque de la Minerve (XX, II, 19). On y relève quelques dates, par exemple, p. 318: Anno 1656, aug. 15, interprete Georgio Crisanio.

probable. Il le traita de brouillon et d'extravagant sur lequel on ne saurait compter. Le rapporteur se rangea à cet avis, qu'il qualifia de vraisemblable. En guise de correctif, il ajouta que Krijanitch avait beaucoup écrit contre les erreurs courantes parmi les Slaves, qu'il s'acquittait volontiers de cette besogne, qu'il avait rapporté de ses voyages des livres « d'hérétiques schismatiques » inconnus à Rome et qu'il se disait prêt à en faire la réfutation. Le cardinal Brancacci témoigna avoir examiné ces travaux, et il en fit un éloge qui fut plus tard confirmé par Luca Anstemio.

Cependant le silence se fit autour de la requête de Krijanitch, et l'on semblait oublier son état nécessiteux. Pour en rappeler discrètement le souvenir, il présenta à la Propagande un livre de sa composition sur les « Proportions musicales, » avec prière de le transmettre au pape. Ses vœux furent exaucés le 26 janvier 1658. Toutefois, à l'audience pontificale, le secrétaire de la Propagande ne crut pas devoir cacher ses appréhensions. Pour donner à Krijanitch un moyen de subsistance, on l'avait nommé missionnaire à Moscou, mais il était fort à craindre que l'entreprise ne réussît pas à souhait, et cette crainte fut sincèrement manifestée au pape. Alexandre VII était au courant de la situation. Le P. Virgilio et d'autres encore lui avaient déjà parlé de l'infatigable piocheur croate, il réforma la décision et, préférant garder Krijanitch à Rome, lui assigna la modique pension de six écus par mois avec ordre de continuer ses travaux polémiques 1.

La solution, toute conforme qu'elle était au désir du pétitionnaire, ne calma point ses ardeurs et ne modifia en rien son esprit aventureux. Il succomba au premier souffle de la tentation. De vagues rumeurs se répandirent à cette époque sur l'érection d'un cours de philosophie à Moscou; elles parvinrent jusqu'à Krijanitch. Aussitôt il fit suggérer au pape que ce serait le bon moment pour envoyer un légat, et il s'offrait à le suivre en qualité d'interprète. La réponse, comme il fallait s'y attendre, fut évasive. Alexandre VII ne voulait pas se presser et s'en remettait aux événements futurs. Krijanitch n'eut pas de peine à comprendre qu'on refusait d'entrer dans ses vues et, n'écoutant que son zèle, séduit par le mirage d'une chaire philosophique, il partit pour Moscou, vers la fin de l'année 1658, sans demander conseil à personne. Ayant été déjà muni de facultés pour sa première mission, il croyait pouvoir s'en contenter pour la seconde, et présumait ainsi l'autorisation de la Propagande *.

1 Les deux pièces des 1er octobre 1657 et 26 janvier 1658 ont été imprimées dans Archiv für slavische Philologie, 1882, t. VI, p. 121. Le texte original se trouve aux archives de la Propagande, Acta, an. 1657, p. 455, no 7; Acta, an. 1658, p. 24, n° 2.

C'est Krijanitch lui-même qui a donné ces renseignements. Voir le rap

Cette fois il parvint jusqu'à Moscou, le Kremlin lui ouvrit ses portes, et le nouvel arrivant eut son moment de vogue. Les principaux boïars, Morozov, Ordyne-Nachtchiokine, Repnine, lui firent bon accueil. On l'écouta avec un intérêt égal à l'étonnement qu'excitaient ses discours. Il annonçait le dessein d'écrire une grammaire, une histoire du peuple russe, une diatribe contre les étrangers, mais ne laissait pas tomber un mot sur la religion. Le programme de 1641 l'exigeait ainsi, et il n'avait garde de le trahir. Cependant toutes ces précautions ne purent le garantir contre les soupçons. On en vint jusqu'à lui proposer de se laisser rebaptiser, ce qu'il rejeta avec horreur. D'autres incidents, dont la gravité ne saurait être mise en doute, durent se produire, car le 20 janvier 1661, le hardi novateur fut, par ordre du tsar Alexis Mikhailovitch, expédié en Sibérie, à Tobolsk. Cet exil nous a valu des ouvrages remarquables, dont une partie seulement a été imprimée. L'infortuné Croate ne fut gracié qu'en 1676, à l'avènement de Fédor.

Les deux années suivantes, Krijanitch semble les avoir passées en Pologne et en Lithuanie. Toujours est-il que c'est en Lithuanie qu'il entra, en 1678, dans l'ordre de saint Dominique. Selon l'usage, il changea de nom en prenant l'habit, opta pour celui d'Augustin, et après les épreuves ordinaires, fit sa profession. Mais ce n'était pas une nature à supporter le cloître. Quatre ans s'étaient à peine écoulés depuis son admission, que toute la province fut mise en émoi par ses étranges prétentions. Se rappelant à propos qu'il avait juré à SaintAthanase de ne pas entrer en religion, il s'avisait de prouver juridiquement la nullité de sa profession et demandait à être relevé de ses vœux. Il s'adressa, dans ce but, non seulement aux supérieurs de l'ordre, mais encore au nonce de Varsovie, Opizio Pallavicini, archevêque d'Éphèse. Celui-ci s'intéressa à son sort et envoya un message au provincial de Lithuanie, dans lequel il louait les ouvrages du P. Augustin, réclamait en sa faveur beaucoup de charité et conseillait de soumettre au jugement de Rome les doutes sur la profession. Cette lettre, on ne sait trop comment, tomba entre les mains du principal intéressé. Aussitôt il en fit part à Mgr Cybo, secrétaire de la Propagande, et à la congrégation elle-même. Et sans attendre de réponse, sans demander d'autorisation, il fit vœu de se rendre ad limina pour y rendre compte de ses deux voyages en Moscovie et présenter de nouveaux spécimens de ses livres. Rentrer à Rome était maintenant sa pensée dominante; rien ne lui coûtait pour obtenir cette faveur; il se confondait en excuses et demandait pardon.

port de la Propagande du 13 avril 1682, publié dans la Rousskaïa Starina, décembre 1892, p. 464.

Le 13 avril 1682, la Propagande fut saisie de cette affaire. Le cardinal Casanati en était rapporteur. Les faits déjà connus du lecteur furent exposés succinctement, et l'on ne manqua pas d'ajouter que instruit par une expérience de dix-huit ans, le P. Augustin croyait pouvoir donner les meilleures assurances sur la facilité de propager la foi en Moscovie. Ces paroles durent faire impression. Depuis l'ambassade du major Paul Menzies de Pitfodels, envoyé avec Rinhuber, en 1672, auprès de Clément XI, l'intérêt pour le Nord allait toujours croissant, et l'on regrettait de n'être pas suffisamment renseigné. Une excellente occasion se présentait d'avoir des nouvelles de première main; pourquoi ne pas en profiter? Mais il fallait auparavant se prononcer sur la profession de Krijanitch. Mgr Cybo fut d'avis qu'elle était valide, car, d'après la bulle d'Urbain VIII, le serment des élèves de Saint-Athanase est limité à trois ans, après quoi ils sont libres de suivre chacun sa vocation. Il ajouta qu'il faudrait par conséquent traiter la question avec le général des dominicains, et qu'avec son agrément on pourrait faire venir à Rome le P. Augustin et tirer parti de ses connaissances 1.

Ici s'arrêtent nos renseignements sur Krijanitch. On ignore quelle a été sa destinée ultérieure et quel coin de la terre lui a servi de tombeau. Étrange ironie du sort! Ce Croate qui, dans sa jeunesse, ne rêvait que le rite oriental et le séjour à Moscou, nous apparaît, sur le déclin de sa vie, dans la robe blanche d'un moine latin, le regard tourné vers la Ville éternelle, mais le cœur toujours débordant d'amour pour les frères de sa race.

P. PIERLING.

1 Ibidem. - Le texte original est aux Archives de la Propagande, Acta sacrae Congregationis de propaganda fide, an. 1682, p. 129, no 28.

IV.

LA FRANCE CHRÉTIENNE DANS L'HISTOIRE

A PROPOS DU QUATORZIÈME CENTENAIRE DU BAPTÈME DE CLOVIS 1

« La France, a dit Lacordaire, est née à Tolbiac, d'un acte de foi sur un champ de bataille. »

A cette origine elle doit le double signe qui la distingue, qui la marque d'un caractère à part et lui indique sa mission dans le monde l'idéal chrétien qu'elle porte au cœur et qui exalte ses qualités généreuses; l'épée qu'elle tient en main pour la consacrer au service de la vérité et de la justice.

L'idéal chrétien, c'est l'Eglise qui l'en a pénétrée. Après avoir animé de son souffle le peuple naissant, l'Église est restée, comme une mère, longtemps penchée sur son berceau. Pendant des siècles, elle s'est faite son institutrice. Elle s'est chargée de son éducation, non seulement religieuse, mais intellectuelle, administrative et politique. Grâce à cette protection, crises et périls ont été heureusement traversés. A la voix des papes, des évêques et des moines, les flots furieux de la marée barbare se calment et obéissent; la Gaule tranquille se défriche et se repeuple progressivement; les changements successifs de dynastie s'accomplissent sans trouble; les violences féodales s'apaisent peu à peu sous l'influence de la chevalerie. Plus tard, les horreurs de la guerre de Cent ans prennent fin par les miracles et le martyre d'une sainte. Sous la même inspiration, l'art et la littérature enfantent des chefs-d'œuvre d'une beauté incomparable. Les cathédrales gothiques sont, avec les chansons de geste, les poèmes du moyen âge. La même sève produit au XVIIe siècle une merveilleuse floraison de génies, qui forment au front de la fille aînée de l'Église une couronne de gloire. La France est devenue à la fois le plus chrétien et le plus brillant des peuples, « le plus illustre qui soit sous le soleil, » pouvait dire Bossuet.

1 La France chrétienne dans l'histoire, ouvrage publié à l'occasion du quatorzième centenaire du baptême de Clovis, sous le haut patronage de Son Em. le cardinal Langénieux, et sous la direction du R. P. Baudrillart, de l'Oratoire. Paris, Firmin-Didot, 1896, gr. in-8 de 700 p, illustré de 100 gravures.

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