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cun de ses devoirs de souverain. Antonin est simple, laborieux et bon. Marc-Aurèle porte sur le trône les vertus d'un philosophe. Devant des princes si dignes de la comprendre, la religion chrétienne, où toutes les conditions sociales sont maintenant représentées, ne reste pas sans avocats. Elle est désormais sortie de l'ombre, et se sent assez forte pour s'adresser directement à l'opinion des honnêtes gens. Des lettrés ou des philosophes convertis plaident sa cause. Ils essaient moins de dissiper les préjugés du vulgaire que d'éclairer la raison des empereurs. Ceux-ci, après avoir lu leurs écrits, doivent être convaincus de l'innocence et de la loyauté politique des chrétiens. D'autres voix, plus discrètes et plus timides, s'élèvent dans le même temps en leur faveur. Sans intercéder directement pour eux, de hauts magistrats ont laissé entendre qu'il pourrait y avoir quelque excès ou quelque injustice dans la manière dont on les traite. De tous côtés il semble qu'un rapprochement ait été préparé. Mais le rapprochement ne se fera à aucune époque du second siècle. Ni Trajan, ni Hadrien, ni Antonin, ni Marc-Aurèle, n'y donneront ouverture. De tant d'efforts et de conjonctures en apparence si favorables une seule chose résultera, due moins à ces efforts eux-mêmes ou à l'apparente faveur des circonstances qu'à l'esprit politique des souverains plus de clarté, des formes plus précises dans la procédure criminelle appliquée aux sujets de l'Empire accusés de christianisme.

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On raconte que Domitien, tout à la fin de son règne, avait fait cesser la persécution dirigée contre l'Église 1. Cela ne veut pas dire qu'il ait effacé le principe posé sous Néron, d'après lequel on pouvait être puni comme chrétien 2, » la profession de christianisme constituant à elle seule un fait délictueux, même sans être accompagnée d'aucun délit. Domitien mit un terme à la persécution, en ce sens qu'il renonça probablement à faire. rechercher les chrétiens, ou à soumettre à une épreuve, comme celle de la participation forcée au culte de Rome et d'Auguste, les gens soupçonnés d'avoir embrassé la religion nouvelle. Mais la proscription générale édictée contre les adorateurs du Christ subsista, comme une sorte d'axiome de droit selon les circons

1 Hégésippe, dans Eusèbe, H. E., III, 20, 5; Tertullien, Apol., 5. 2 Saint Pierre, I. Ep., Iv, 16.

tances, il fut loisible aux magistrats investis du droit de glaive de condamner un chrétien à cause de sa religion, comme aussi de laisser les fidèles vivre sans être inquiétés.

Un épisode du règne de Trajan fait comprendre cette situation. légale. Il est certain que Trajan ne promulgua aucun édit contre les chrétiens: la lettre de Pline où il est question d'eux, écrite vers 112, le montre clairement. Cependant un fait de martyre est signalé dès 107 1. C'est la condamnation de l'évèque d'Antioche, saint Ignace, envoyé de cette ville à Rome pour y souffrir dans l'amphithéâtre, et, « moulu sous la dent des lions, y devenir le froment de Dieu,» selon son admirable expression 2. L'histoire du voyage, telle qu'elle est donnée dans sa correspondance, nous renseigne sur l'état des chrétiens. Dans les villes asiatiques traversées par le condamné et son escorte, des évêques, des prêtres, des fidèles, soit des lieux mêmes, soit députés par leurs Églises, viennent lui rendre hommage 3. Ces démarches ne peuvent être secrètes, puisque Ignace est accompagné d'une troupe de dix soldats, qui le tiennent à la chaine ; cependant, aucun des nombreux visiteurs n'est puni, et deux chrétiens seuls, Zosime et Rufus, probablement arrêtés à Antioche en même temps qu'Ignace, partageront son sort. Rien n'éclaire mieux la position juridique des disciples de l'Evangile le glaive demeure suspendu sur tous, mais ne s'abat que sur quelques-uns, désignés à la sévérité des magistrats par des circonstances spéciales, telles qu'une émotion populaire out leur importance personnelle.

Un autre épisode, qui fournit à Trajan l'occasion de s'occuper personnellement des chrétiens, achève de mettre la situation en lumière.

Pline le Jeune avait été chargé, vers l'an 111, du gouvernement de la Bithynie, devenue province impériale. Il s'agissait de remettre de l'ordre dans une vaste contrée, jusque-là mollement administrée, au nom du Sénat, par des proconsuls. La nature de cette mission, non moins peut-être que le caractère

1 Eusèbe, Chron.; Ruinart, Acta sincera (1689), p. 696, 707. Cf. De Rossi, Inser. christ., t. I, p. 6.

2 Saint Ignace, Rom., 4.

3 Saint Ignace, Ephes., 1, 2, 5, 6, 21; Magnes., 15; Smyrn., 10, 12, 13; Trall., 13; Rom., 10; Ad Polyc., 1, 7, 8.

A Rom., 4.

personnel de Pline, obligeait le nouveau légat à en référer souvent à l'empereur et à prendre ses conseils dans toutes les affaires de quelque importance. Parmi celles-ci, la question chrétienne se manifesta, non tout de suite, mais dans la seconde moitié de son gouvernement, et motiva de sa part une longue relation, à laquelle Trajan fit une brève réponse 1.

Lors du voyage qu'il entreprit, à cette dale, dans la partie orientale de la province, Pline fut saisi de plaintes au sujet des chrétiens. On lui fit voir que le christianisme avait déjà jeté, en Bithynie, de profondes et multiples racines. La propagande évangélique avait eu assez de succès dans ces contrées pour y modifier rapidement la vie sociale, et même alarmer sur certains points les intérêts matériels. Non seulement elle s'était exercée dans les villes, centre ordinaire de son action, mais elle s'était de là répandue dans les bourgs et jusqu'en pleine campagne, et y avait recruté de nombreux adhérents. La proportion numérique des sectateurs des deux religions s'était déjà assez sensiblement altérée pour qu'on désertât les temples, que le culte public parut interrompu, et que les gens qui vivaient du commerce des animaux destinés aux sacrifices se plaignissent de ne trouver plus que de rares acheteurs. Des chrétiens, probablement les plus influents et les plus en vue, furent déférés au légat comme auteurs de ce mal. Pline n'avait jamais assisté, dans sa carrière d'avocat ou de magistrat, à des procès de religion, qui échappaient probablement à la compétence des tribunaux ordinaires pour être jugés par l'empereur ou ses représentants directs. I ignorait si la procédure dirigée, à Rome ou ailleurs, contre les chrétiens avait révélé à leur charge des actes répréhensibles. Il savait seulement, d'une manière générale, que le christianisme était interdit et que, par conséquent, ses adhérents étaient punissables. Cela suffit à lui dicter sa conduite. Il interrogea à trois reprises chacun des accusés, leur demandant s'ils étaient chrétiens. Ceux qui répondirent affirmativement furent par lui jugés coupables. Sans rechercher s'ils avaient ou non commis dans l'exercice de leur culte quelque délit accessoire, il estima que le fait seul d'être chrétien étant

1 Pline, Ep., X, 97, 98. L'authenticité de la lettre de Pline et du rescrit de Trajan, contestée naguère par quelques critiques, n'est plus sérieusement mise en doute par personne.

considéré comme illégal, on n'y pouvait persévérer sans opiniâtreté criminelle. Il ordonna donc de mener au supplice quiconque avait confessé le christianisme, à l'exception de ceux qui, s'étant déclarés citoyens romains, devaient, comme tels, être jugés à Rome.

Si la question s'était toujours posée ainsi, Pline n'aurait peutêtre pas songé à solliciter l'avis du prince. Son devoir de juge semblait tout tracé, dût son humanité gémir d'envoyer à la mort des personnes coupables seulement d'une infraction en quelque sorte théorique, sans qu'aucun fait d'indélicatesse, d'immoralité ou de cruauté ait été relevé contre elles. Ou, écrivant à leur sujet à l'empereur, il se serait probablement contenté de demander à Trajan si l'àge, le sexe, la faiblesse de corps ou d'esprit, pouvaient être pris en considération et devenir, selon les cas, des circonstances atténuantes.

Mais l'affaire s'élargit vite et prit en peu de temps de grandes proportions. Comme il arrive d'ordinaire, un premier acte de sévérité, en frappant l'opinion publique, réveilla l'attention ou la passion populaire, et suscita de nouvelles dénonciations. Pline fut effrayé de la multitude des gens déjà accusés ou sur le point de l'être. Il y en avait de tout àge, de tout sexe et même de tout rang. Les accusations n'étaient pas toutes faites à visage découvert le légat reçut un libelle anonyme, contenant beaucoup de noms de vrais ou prétendus chrétiens. Pline ne pouvait envoyer sans examen tout ce monde au supplice. Il fallait d'abord s'assurer de la vérité de l'inculpation. Pour cela, il soumit les inculpés à une instruction minutieuse. Il commença par leur demander s'ils étaient chrétiens. Pour ceux qui le confessaient sans réticence, la solution du procès n'était pas douteuse, et Pline lui-même avait établi précédemment la procédure à suivre. Mais, pour ceux qui niaient, la situation se compliquait.

A la question : « Ètes-vous chrétien? » beaucoup, en effet, avaient répondu négativement, les uns niant l'avoir jamais été, les autres disant avoir cessé de l'être depuis plusieurs années, quelques-uns depuis vingt-cinq ans. On mit à l'épreuve la sincérité de leurs réponses, en les obligeant à adorer les statues des dieux, le portrait de l'empereur, et à maudire le Christ, ce qu'ils firent sans difficulté. Mais une nouvelle question se présentait, au sujet de ceux qui déclaraient avoir été chrétiens,

mais avoir depuis plus ou moins longtemps renoncé au christianisme. Le nom de chrétien cachait-il quelque crime de droit commun, quelque acte immoral, inhérent à l'exercice de la religion? Dans ce cas, l'apostasie même ne devait pas désarmer la justice, et ceux qui abjuraient le christianisme demeuraient encore responsables devant elle des actes délictueux accomplis quand ils le pratiquaient. A découvrir si de tels actes avaient été commis s'appliqua surtout Pline. Interrogés, tous les apostats répondirent que leur erreur avait seulement consisté à s'assembler à jour fixe, avant le lever du soleil, pour chanter les louanges du Christ, à promettre par serment de s'abstenir de tout crime, vol, brigandage, adultère, abus de confiance, et à se réunir une seconde fois pour prendre en commun un repas innocent, pratique abandonnée même depuis une ordonnance du gouverneur interdisant les associations. Deux femmes esclaves, qui avaient chez les chrétiens rang de diaconesses, furent mises à la torture et confirmèrent par leur témoignage la déclaration des apostats.

De ces réponses concordantes une seule chose résultait ceux qui jadis avaient été chrétiens partagèrent une superstition. excessive et mauvaise, » pour employer l'expression de Pline, sans qu'aucun reproche plus grave pût leur être adressé. Cette considération, jointe au grand nombre des accusés, tant présents que futurs, décida Pline à suspendre le procès et à consulter l'empereur. Il lui soumit cette question: Est-ce le nom seul de chrétien qui est punissable, ou les crimes commis sous ce nom? Pline a déjà par lui-même préjugé la réponse, en envoyant au supplice des hommes qui avaient persisté à se dire chrétiens sans qu'aucun fait accessoire ait été mis à leur charge. Mais tout autre est la situation des apostats, contre qui n'a été relevé non plus aucun crime de droit commun. Faut-il les punir parce qu'ils ont porté naguère le nom de chrétien, sans que leur apostasie puisse aujourd'hui leur profiter? Faut-il au contraire faire grâce à leur repentir et absoudre ceux qui, ayant été chrétiens, ont cessé ou cesseraient de l'ètre? Pline ne cache pas à l'empereur qu'il incline vers ce dernier parti, et y voit un moyen de pacifier, au point de vue religieux, la province, en ramenant beaucoup d'égarés.

La réponse de Trajan contient une approbation sans réserves

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