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de la conduite de Pline. L'empereur déclare qu'une règle uniforme ne peut être appliquée à tous les cas. Il ajoute que les chrétiens ne doivent pas être recherchés, mais que, s'il en est de déférés au juge et de convaincus, ils doivent être punis. Exception est faite pour ceux qui déclareront n'être pas chrétiens, et qui le prouveront en adorant les dieux; ceux-là, même s'ils ont été chrétiens dans le passé, doivent obtenir grâce à cause de leur repentir. Mais l'empereur insiste sur un point, assez légèrement touché par Pline: aucun compte ne doit être tenu des accusations anonymes. « Cela est d'un mauvais exemple, et ne convient plus à notre temps. >>

Ce rescrit est tel qu'on devait l'attendre de Trajan, gardien scrupuleux de la législation romaine, mais politique sensé. Il maintient le délit fondamental de christianisme, posé en 64 par un acte de Néron; mais il n'estime pas les chrétiens assez dangereux pour ordonner qu'ils soient poursuivis d'office, comme on ferait de révolutionnaires ou de brigands, ou pour souffrir qu'on reçoive contre eux des dénonciations anonymes, au mépris des lois communes et au détriment de l'ordre public. C'est, en effet, un crime abstrait que celui de christianisme: il ne se manifeste que par des actes innocents, ainsi que l'a prouvé l'enquête menée par Pline; le nom seul est criminel, mais il n'y a point de crimes cachés sous ce nom. A cause de cela, quiconque l'abjure doit être absous, et le nom effacé ne laisse après soi aucun passé coupable, dont la justice ait à demander compte.

Il y a là un hommage indirect à l'innocence des mœurs chrétiennes, alors si calomniées. Peut-être Pline l'appelait-il par le ton modéré de sa lettre, où se laisse voir quelque pitié, et où il se montre lui-même apologiste plus ou moins conscient. Mais le but du rescrit n'est pas de venger les fidèles contre d'injustes. attaques, ou d'adoucir leur situation légale. Son impérial rédacteur se propose seulement trois choses: rendre tout à fait claire celte situation, en dissipant les doutes qui restaient dans l'esprit de certains magistrats sur le point de savoir si le nom seul, c'est-à-dire la seule profession de christianisme, constitue un délit suffisamment caractérisé; assurer la tranquillité publique en frappant de nullité les accusations anonymes; surtout faciliter le retour des chrétiens au culte des dieux, en garantissant l'impunité aux apostats. Ces principes domineront pendant tout

le second siècle la politique religieuse des empereurs, qui, à plusieurs reprises, auront l'occasion de les rappeler.

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Les circonstances dans lesquelles le fit Hadrien sont assez particulières. Malgré le témoignage de Pline et l'avis implicite de Trajan, les mœurs chrétiennes n'avaient pas cessé d'être calomniées : le peuple, surtout en Orient, se figurait que les assemblées des adorateurs du Christ étaient de criminelles orgies, où la débauche se mêlait au meurtre. De là, de la part des foules crédules, de véritables accès de fureur, des cris, des prières menaçantes, demandant, exigeant même la condamnation des chrétiens. Plusieurs magistrats cédaient aisément à cette pression; mais d'autres, plus consciencieux, s'indignaient, et prenaient le parti des innocents injustement persécutés. Hadrien reçut à ce sujet des lettres et des rapports de beaucoup de gouverneurs 1. Parmi eux, un proconsul d'Asie, Licinius Granianus, parait avoir écrit avec une insistance particulière. Autant qu'on en peut juger par le court résumé qu'en a laissé Eusèbe, sa lettre ne se plaignait pas seulement de la fureur populaire, du sang trop facilement répandu pour l'apaiser elle allait jusqu'à réclamer discrètement contre le principe suivi dans les procès des chrétiens, doutant qu'il fût juste de condamner des hommes à cause de leur nom et de leur secte, sans aucun autre crime 2. » C'était presque demander la revision du rescrit de Trajan: Hadrien semble avoir éprouvé quelque hésitation, car il ne répondit pas tout de suite, et sa réponse est adressée, non à Granianus, mais au successeur de celui-ci, Minicius Fundanus 3.

Le nouveau rescrit n'a point l'imperatoria brevitas de celui de Trajan la pensée moins nette du plus mobile et du plus ondoyant des empereurs communique au style quelque indécision. On peut rapporter à deux chefs principaux l'ordonnance d'Hadrien. Comme son prédécesseur, il interdit les accusations qui n'auraient pas la forme régulière, visant moins, à son tour, les libelles anonymes, dont l'usage avait probablement disparu,

1 Méliton, dans Eusèbe, H. E., IV, 26, 10; Tertullien, Apol., 5. 2 Eusèbe, Chron., ad Olymp. 226.

3 La critique est unanime aujourd'hui à reconnaitre l'authenticité du rescrit à Minicius Fundanus, inséré par saint Justin à la suite de sa première Apologie.

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que les prières et les acclamations » tumultueuses, par lesquelles la foule hostile aux chrétiens assiégeait les gouverneurs. Ce qui préoccupe l'empereur, c'est la crainte que les calomniateurs n'en prennent occasion d'exercer leur brigandage. Ici, évidemment, ce n'est pas les chrétiens qu'Hadrien s'efforce de protéger; mais il redoute que des haines privées ne se donnent carrière, et, au moyen du tumulte, ne fassent condamner des innocents, c'est-à-dire précisément des gens à tort accusés de christianisme. Le souci de l'ordre public, qui a dicté le rescrit de Trajan, se retrouve dans celui d'Hadrien. Ces préliminaires posés, l'empereur trace au gouverneur son devoir. Si quelqu'un se présente pour accuser, le gouverneur doit examiner l'accusation. Au cas où l'accusateur ferait la preuve que des gens dénoncés par lui comme chrétiens « ont agi en quelque chose contrairement aux lois, le magistrat devra les punir selon la gravité de l'offense, et pourra même prononcer la peine de mort. C'est ici que quelque vague parait dans l'idée et dans l'expression. Hadrien répond-il à la demande de Granianus, et veut-il qu'un délit précis soit ajouté à la religion du chrétien pour que celui-ci encoure un châtiment? ou la religion seule suffit-elle, comme le veut Trajan, à constituer ce délit ? Hadrien ne le dit pas clairement, comme s'il voulait laisser, selon les circonstances, latitude aux gouverneurs de suivre l'interprétation stricte du premier rescrit, ou d'adopter la solution plus large à laquelle plusieurs, à l'exemple de Granianus, avaient paru incliner. La concession, en tout cas, était à peu près illusoire, car il suffisait sans doute à l'accusateur de prouver le refus du chrétien d'adorer les dieux ou de rendre un culte à l'image impériale pour que le fait précis fût démontré, et l'impulation d'impiété légale, peut-être de lèse-majesté, mise à la charge de l'accusé. Mais ce qui domine tout, dans l'instruction de l'empereur, c'est la nécessité d'une accusation régulière : il l'indique de nouveau en terminant sa lettre, et menace le calomniateur, c'est-à-dire celui qui accuse sans preuves, des peines sévères prévues dans ce cas par la loi.

Le caractère un peu ambigu du rescrit, joint à la tolérance naturelle au sceptique empereur, au moins jusqu'à ce que, dans les dernières années de son règne, la maladie et les revers aient aigri son âme blasée, permit aux chrétiens d'interpréter dans le sens

le plus favorable la décision d'Hadrien. C'est ce que fera, quelques années plus tard, l'apologiste Méliton. Mais on doit voir dans cette interprétation une tactique habile, née sous la plume d'avocats cherchant des précédents utiles à la cause de l'Eglise, plutôt qu'un exact exposé des faits. Les écrits des apologistes eux-mêmes, comme les récits authentiques de martyre, d'Hadrien à Marc-Aurèle, montrent, au contraire, les chrétiens condamnés le plus souvent sans enquête, et sur le seul énoncé de leur nom, comme ils montrent absous ceux qui, soit devant le tribunal, avant la sentence, soit même après la sentence, devant le glaive ou le lion, ont eu la faiblesse de renoncer à leur foi. L'auteur de la belle lettre à Diognète, écrite sous Hadrien ou sous Antonin, dit des fidèles : « On les jette aux bêtes pour leur faire renier leur maître; » ce qui montre bien que l'exposition aux bêtes n'a pas été ordonnée pour punir un crime indépendant de la qualité de chrétien, et prouvé en dehors d'elle. Comme au temps de Pline, la seule obstination religieuse est châtiée par le supplice. « On nous décapite, on nous met en croix, on nous livre aux bètes, on nous brùle, on nous enchaine, on nous fait souffrir tous les tourments, parce que nous ne voulons pas abandonner notre confession, écrit saint Justin 1, C'est de la procédure réglée par Trajan que se plaint ce philosophe converti dans son Apologie à Antonin le Pieux : il s'indigne que l'on punisse chez les chrétiens le nom seul, et qu'à la fois on condamne sans examen les fidèles, on absolve sans examen les apostats: il demande qu'à ce droit exceptionnel soit enfin substitué le droit commun 2. On voit que si par hasard Hadrien eut quelque velléité de le faire, ses intentions, vaguement indiquées, ne furent pas suivies, et que même sous le successeur d'Hadrien la jurisprudence de Trajan règne seule.

Encore, en ce qu'elle a de relativement favorable aux chrétiens n'est-elle pas toujours suivie. La lettre de l'Église de Smyrne sur le martyre de saint Polycarpe 3, arrivé en 155 4, fait

1 Saint Justin, Dial. cum Tryph., 110.

2 Apol., I, 4, 11, 45.

3 Funk, Opera patrum apostolicorum, t. I, p. 282-308; Lightfoot, S. Ignatius and S. Polycarp, t. III, p. 363-403.

4 La date de 155, établie par un calcul de M. Waddington, est à peu près universellement admise aujourd'hui. Voir les arguments nouveaux apportés par Lightfoot, t. 1, p. 646-715.

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comprendre mieux que toutes les réflexions la situation des fidèles sous le règne d'Antonin le Pieux. Douze d'entre eux avaient été condamnés aux bêtes. Un seul, faiblissant à la vue des animaux féroces, consentit à jurer par le Génie de l'empereur et à sacrifier: on le fit sortir absous. Les onze autres subirent courageusement le supplice, même un tout jeune homme, que le proconsul exhortait vainement au repentir, en lui disant Aie pitié de ton àge! » Jusqu'ici, rien que de régulier et de conforme au rescrit de Trajan: la gràce au renégat, la mort aux chrétiens obstinés. Mais bientôt la passion populaire, que Trajan et après lui Hadrien avaient voulu contenir, ne put se maîtriser la foule entra violemment en scène.« Plus d'athées! cria-t-on de tous les bancs des spectateurs : « qu'on cherche Polycarpe! » C'était une première irrégularité. Le proconsul, après l'avoir soufferte, en commit lui-même une seconde, en permettant ou en ordonnant la recherche. Des soldats de police arrêtèrent dans une maison où il s'était réfugié le vieil évêque de Smyrne, malgré le conquirendi non sunt de Trajan. Emmené par l'irénarque, qui, en route, le suppliait de se sauver en reniant le christianisme, Polycarpe comparut devant le proconsul Quadratus. Celui-ci l'interrogea, bien que rien, dans le récit qui nous est parvenu, n'indique une accusation régulière. Il tenta, à son tour, de déterminer le martyr à l'apostasie : ‹ Jure par le Génie de César, viens à résipiscence.... Jure, et je te renvoie libre insulte le Christ. On connait la réponse de Polycarpe, refusant d'insulter le Dieu « qui, depuis quatrevingt-six ans, ne lui a fait que du bien. Le proconsul insista, menaçant le martyr du feu et des bêtes; puis, sur le refus persévérant de celui-ci, il fit proclamer par un héraut : « Polycarpe s'est avoué chrétien. C'était préjuger la sentence, mais la foule ne lui laissa pas le temps de la prononcer. Contre toutes les lois, elle la devança, en l'exécutant elle-même. Le peuple, excité par les Juifs, se répandit dans le stade, construisit un bûcher, et y fit monter Polycarpe. Ainsi se termina ce procès, où tout, semble-t-il, était illégal, pétition tumultueuse de la foule, recherche du chrétien, absence d'accusation régulière, exécution par le peuple. Il montre combien les barrières élevées par les plus puissants empereurs, sinon pour protéger les chrétiens, au moins pour empêcher que la paix publique ne soit

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