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LOUIS XI ET LA GASCOGNE

1461-1483

I.

La lutte séculaire entre la France et l'Angleterre avait été glorieusement terminée par la délivrance de notre pays; mais Charles VII vit les dernières années de sa vie assombries par les révoltes de son fils aîné. Cantonné dans sa province de Dauphiné (1448), ce prince s'y comportait en souverain indépendant, réglant l'administration de ce riche apanage sans le moindre souci de la volonté paternelle, et, comme un véritable despote, accablant ses sujets, principalement les ecclésiastiques, sous le poids des plus criantes exactions. Lorsque le roi, poussé à bout, eut chargé Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, de le ramener à la raison, le Dauphin, craignant pour sa liberté et peut-être pour sa vie, se retira sur les terres du duc de Bourgogne, qui lui donna pour séjour ordinaire le château de Genappe, à quatre lieues de Bruxelles, et lui assigna douze mille écus d'entretien, pour qu'il pût tenir convenablement son rang. Adonné à l'étude de l'astrologie, et préoccupé de semer la discorde entre son bienfaiteur et le comte de Charolais, son fils, Louis supporta sans peine cet exil volontaire et résista à toutes les sollicitations de son père.

Parmi les courtisans qui avaient suivi Louis sur la terre étrangère se trouvait Jean, bâtard d'Armagnac 1, chambellan et maré

1 Il était fils légitime d'Arnaud Guilhem de Lescun et d'Anne d'ArmagnacTermes; mais le mariage de ces deux personnages, quoique bénit par l'Église, ne fut jamais reconnu par la famille d'Armagnac; de la ce nom de bâtard donné à l'enfant issu de cette alliance. Le 15 juillet 1454, le bâtard acquit du comte Jean V, au prix de 15,000 livres, les baronnies d'Euzan, qui comprenaient Cazaubon, Montclar, Mauléon, Marquestau et La Bastide-d'Armagnac. Arch. des Basses-Pyrénées, E 271.

chal de Dauphiné, lequel avait joué un rôle si important dans les négociations avec le duc de Savoie qui aboutirent au mariage de Charlotte, fille du duc, avec le Dauphin (1448-1451) 1. Pour l'attacher à sa cause, Charles VII l'avait comblé de faveurs et lui avait donné le comté de Comminges, objet de si longs litiges entre les comtes de Foix et d'Armagnac. Malgré ces avances, l'ambitieux Gascon demeura fidèle à la fortune du Dauphin, sur lequel il exerçait une grande influence en flattant ses passions. Fort dissolu dans ses mœurs, il égayait les soirées d'exil par des récits licencieux très goûtés du prince. Comme lui, il se montrait infatigable à la chasse soit au vol, soit à l'épieu; il avait surtout soin d'entretenir l'ambition de son maître et de raviver continuellement son désir de régner.

Autour du bâtard d'Armagnac se groupaient plusieurs seigneurs venus avec lui de Gascogne: Jean II de Pardaillan, vicomte de Juliac, son parent et son inséparable compagnon ; Georges de Mesmes de Ravignan, Gaston du Lyon de Campet, Jean de Gourgues, dont les descendants devaient acquérir la baronnie de Saint-Julien de Gabarret, et bien d'autres aventuriers avides de partager avec lui les bonnes grâces du prince. Parmi ces favoris, deux méritent une mention spéciale. En première ligne, nous devons signaler Antoine de Castelnau du Lau 2, qui appartenait à une branche cadette des CastelnauTursan. Il fut plus tard grand chambellan et conseiller de Guyenne. Il avait toujours compté parmi les amis les plus dévoués du Dauphin. Une fois sur le trône, ce prince n'oublia pas le compagnon des jours malheureux, car, au mois d'août

1 Cf. G. du Fresne de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V, ch. v, p. 134144.

2 Ramonet de Castelnau, sieur de Jupoy et de Bats, frère cadet de Pierre II de Castelnau-Tursan, ayant épousé l'héritière du Lau (Duhort-Bachen, canton d'Aire, Landes), prit dès lors le nom de Castelnau du Lau. Il fut père de Jean du Lau, curé de Geaune (Landes), puis évêque de Bayonne (1465-1483), et de Raymond qui continua la lignée. Outre Antoine, dont il s'agit ici, Raymond eut quatre filles : a) Marguerite, mariée à Jean de Castelnau, fils de Pierre II, son cousin (27 novembre 1459); b) Jeanne, mariée à Dinadan de Marsan, seigneur de Montgaillard. Leur fils, Jean, épousa Catherine de Laminsans et fut père d'Anne, qui porta la terre du Lau à François de Foix-Caudalle, baron de Doazit, fils de Gaston II et d'Isabelle d'Albret; c) Marie, femme de François d'Esgarrebaque, seigneur de Gaube et Gontaud-en-Saint-Justin; d) Jeanne, qui épousait, en 1461, le sieur de Pons, en Saintonge, et fut ainsi une des aïeules de Turenne (cf. Cauna, Armorial des Landes, t. II, p. 299-300).

1463, il lui abandonna la seigneurie de Blanquefort et de Duras, dont il venait de dépouiller le comte de Dammartin 1; en 1464, il lui faisait compter une somme de 1,800 livres, et en 1465 une seconde somme de 10,000 livres, tant pour sa solde que pour les services rendus. Il. lui en accorda autant l'année suivante et multiplia tellement ses largesses, qu'Antoine vit ses biens acquérir la valeur de 3 à 400,000 écus 2. En possession d'une si belle fortune, il voulut se créer une situation tout à fait indépendante en achetant à Gaston XI, comte de Foix, vicomte de Béarn et de Marsan, la seigneurie de Renung et celle du Lau, dont il rebâtit le château.

Le second des seigneurs gascons à signaler fut Odet d'Aydie, sire de Lescun 3, qui s'était fait remarquer pendant les guerres de Charles VII. C'est lui qui, à l'âge de vingt-deux ans, commandant en Normandie, avec Guillaume de Ricarville, les coureurs du comte de Clermont, attaqua les Anglais déjà en marche pour Bayeux, avec vingt-cinq lances seulement, et engagea ainsi cette bataille de Formigny, qui fut la glorieuse revanche d'Azincourt et de Verneuil (15 avril 1450) 4. Après lui avoir tenu

1 Bibl. nat., Mélanges Clairambault, vol. 748, fol. 32. 2 P. Anselme, Hist. généalogique, t. VIII, p. 449.

3 Aydie est une petite commune du canton de Garlin (Basses-Pyrénées). Bertrand I d'Aydie avait épousé Miramonde de Béarn-Armentieu (1426). De ce mariage naquirent Bertrand II, qui continua la lignée, et Odet. Celui-ci épousa (1457) Marie, fille aînée de Matthieu de Lescun et de Diane de Béarn. A la mort de son beau-père, il hérita de la baronnie de Louvigny ou de Lescun, érigée en comté par Henri II en 1555, en faveur de Paul d'Andoins, père de la fameuse Corisande, et qui comprenait, outre la baronnie d'Arzacq (Basses-Pyrénées) et celle de Hagetmau (Landes), Louvigny, Malaussane, Le Mérac, Beyrie, Fichoux, Lonçon, Mialas, Séby, Coublucq, Pauliacq, Filhondès (Philondens) et Cabidos. 11 prit le nom de cette seigneurie et le rendit célèbre. Jeanne, sa fille aînée et son héritière, épousa Jean de Foix, vicomte de Lautrec. Elle en eut cinq enfants, dont l'aîné fut Odet de Lautrec, l'ami de François Ier, blessé dangereusement à Ravenne (1512), gouverneur du Milanais, battu à la Bicoque (1522) et mort devant Naples (1528) « de la maladie qui se mit alors dans son camp » (P. Anselme, t. VII, p. 142). Le troisième de ses enfants, Odet le Jeune, chef des Aydie-Ribérac et Guittinières, succéda, en 1479, à Étienne de Talauresse, seigneur de Mimbaste, Poyartin et Estibeaux (Landes), dans la charge de sénéchal de Carcassonne (Comptes consulaires de Biscles, t. I, p. 298, n. 2). Peyrot, le quatrième, épousa Agnès du Lyon, sœur du sénéchal de Toulouse. Bernard II, qui continua la lignée d'Aydie, eut un fils qui commandait les gens d'armes de Mossenh de Lescun, son oncle, quand il mourut à Caupenne, près Nogaro (Gers), et une fille, Bertrande, mariée à Lubat d'Aydie d'Ognoas (12 novembre 1474), que nous retrouverons au cours de cette étude.

Cf. Matth. d'Escouchy, t. II, p. 380-382,

quelque temps rigueur pour le punir de son alliance avec son frère Charles, duc de Guyenne, dont il fut le conseiller le plus intime, Louis XI, réconcilié avec lui, le combla de bienfaits. Il le fit chevalier de son ordre, lui donna les sénéchaussées de Guyenne, des Landes et du Bazadais. Il l'établit gouverneur général de Guyenne, et son lieutenant général dans le duché 1. A la mort du bâtard d'Armagnac (1470), il lui concéda le comté de Comminges, qui avait fait retour à la couronne. Odet d'Aydie fut aussi gouverneur du château Trompette de Bordeaux et du Château-Neuf construit à Bayonne dans les dernières années de Louis XI, et dont il confia la garde à son parent Lubat d'Ognoas 2.

Les joyeux compagnons groupés autour du Dauphin avaient apporté sous le climat du Nord la bruyante gaieté de Gascogne, et les fêtes se succédaient sans interruption à Genappe, où Charlotte de Savoie était venue rejoindre son mari, lorsque arriva une grande nouvelle Charles VII était mort à Mehunsur-Yèvre, en Berry (22 juillet 1461). Le Dauphin rentra immédiatement en France, escorté par le duc de Bourgogne et le comte de Charolais, son fils, à la tète de quatre mille chevaux choisis entre dix mille. Avant de quitter le Hainaut, il fit acte d'autorité en sévissant contre les favoris de son père, accusés d'avoir aigri ce prince contre lui, et les remplaça par des personnages dévoués à sa cause. Les compagnons de son exil se virent donc associés à sa bonne fortune. Au sacre du nouveau roi (15 août 1461), le bâtard d'Armagnac fut appelé à remplir l'office de connétable et tint la bannière royale; Jean de Pardaillan fut attaché à la personne du monarque et reçut l'ordre de Saint-Michel; Gourgues et Ravignan devinrent gentilshommes de la Chambre; mais le confident le plus intime fut Gaston du Lyon, que nous verrons nommé sénéchal de Saintonge, de Guyenne, des Landes et du Bazadais.

1 Monlezun, Hist. de la Gascogne, t. V, p. 31.

2 Il fonda à la collégiale de Saint-Girons (Hagetmau, Landes) les six prébendes dites de Lautrec, et c'est lui qui obtint de réunir à la baronnie de Hagetmau les paroisses d'Audignon et de La Bastide-du-Pont-de-la-Reine (de Ponte-Reginæ). Il mourut en 1498, âgé de soixante-dix ans. Cf. Légé, Les Castelnau-Tursan, t. I, p. 341.

II.

Dès le début de son règne, Louis XI eut occasion de revoir la Gascogne, à la conquête de laquelle il avait pris part lors de la campagne de 1442 1. Il avait même joué un rôle important dans une circonstance que nous devons rappeler. Le siège de Dax durait depuis cinq semaines et les canons de Jean Bureau ne réussissaient pas encore à ébranler les remparts gallo-romains de la place, lorsque le Dauphin, chargé par Charles VII de mener à bonne fin cette entreprise, ordonna un assaut et se mit lui-même à la tête des troupes qui devaient le tenter. Après cinq heures de la plus vive résistance, il parvint à emporter, à l'angle nord-ouest du château, la tour Mirande, qui commandait la porte principale de la ville et les boulevards extérieurs, le jeudi 2 août, entre cinq et six heures de l'après-midi 2. Le lendemain, voyant les bataillons nombreux qui déjà se mettaient en marche pour une attaque générale, les assiégés demandérent à capituler et furent reçus à merci, sur les sollicitations du connétable de Richemont et du comte de Pardiac.

Mais ce n'était pas le désir de revoir le théâtre de ses premiers exploits qui appelait le nouveau monarque dans cette région. Des préoccupations politiques sérieuses l'absorbaient en ce moment. Le comte de Foix, Gaston XI, avait été un des plus brillants champions de la France pour terminer la guerre de Cent ans, et il avait mérité par ses hauts faits que Charles VII lui confiât la garde d'une partie des pays nouvellement conquis au sud de la Garonne. Désireux de capter plus sûrement la faveur royale, il avait délégué Tristan d'Aure, évêque d'Aire; Gratien de Gramont, seigneur d'Olhaïbie; Auger de Bresquit, seigneur de Lussagnet, chancelier de Foix, et Arnaud Guilhem, seigneur de Gère, pour négocier le mariage de Gaston, vicomte de Castelbon, son fils aîné, avec Madeleine de France, sœur de Louis XI. L'alliance de ce feudataire n'était pas à dédaigner; car possesseur déjà des immenses domaines de Foix, de Béarn, Marsan et Gabardan, en épousant l'infante Éléonore, fille de Juan II d'A

1 Arch. de Bayonne, AA 1, EE 17.

2 Arch. de Nevers, CC 45.

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