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écrivent, déclament contre le christianisme. De vulgaires charlatans, comme Alexandre d'Abonotique, se font en ceci leurs auxiliaires docile à tant de suggestions, le peuple se trouve naturellement porté à rendre les adorateurs du Christ responsables de toutes les calamités qui, à cette époque, sous mille formes, invasions, révoltes, pestes, famines, commencent à ravager l'Empire. Il continue en même temps à prèter foi aux bruits odieux, souvent démentis, toujours renaissants, qui, depuis Néron, n'ont cessé de poursuivre les chrétiens. On s'étonne de voir des lettrés, occupant des positions officielles, partager sur ce point les préventions du vulgaire. Celse a l'esprit trop pénétrant pour y croire, et il ne parait pas les avoir rappelées dans son livre; mais Fronton, l'ami d'Antonin, le précepteur de Marc-Aurèle, ne craindra point de parler, dans un discours public où il est question des chrétiens, d'incestes accomplis dans l'ombre à la suite de leurs festins rituels 1. Contre un courant aussi fort, et grossi d'affluents aussi inattendus, que peuvent les dénégations d'un Athénagore ou d'un Justin?

Après un demi-siècle d'efforts apologétiques, les chrétiens n'avaient obtenu aucun adoucissement à leur état légal, et bien qu'ils n'eussent cessé de grandir par le nombre comme par la position sociale des convertis, l'opinion publique, prise dans son ensemble, refusait de les réhabiliter. Sous Marc-Aurèle plus encore que sous ses prédécesseurs, ils souffrirent de la dureté de la loi et de l'injustice du peuple. Dans les provinces, plusieurs gouverneurs publièrent à leur sujet des ordonnances de police, dont nous ignorons les termes, mais qui aggravèrent certainement leur situation 2. Les écrits du temps, païens aussi bien que chrétiens, les représentent comme haïs de la foule et cruellement traités par les magistrats. On semble même, en quelques endroits, contrevenir par animosité contre eux au rescrit de Trajan, car celui-ci défendait de les rechercher, et Celse parle de chrétiens errants, que l'on poursuit pour les amener devant les tribunaux et les faire condamner à mort 3. Mais, en règle générale, les procès de religion dont le récit nous est parvenu montrent la jurisprudence de Trajan et d'Hadrien toujours en

1 Minucius Felix, Octavius, 9.

2 Méliton, dans Eusèbe, H. E., IV, 26, 5.

3 Origène, Contra Celsum, VIII, 69.

vigueur. Marc-Aurèle ne l'a modifiée, ni en bien ni en mal, par aucune disposition nouvelle 1: on la trouve exactement appliquée à Rome dans le procès de saint Justin et de ses compagnons, et l'on voit, dans celui des chrétiens de Lyon, l'empereur philosophe rappeler à son observation un gouverneur qui s'en écartait. L'affaire de saint Justin est de 163, seconde année du règne de Marc-Aurèle. Le docteur chrétien avait été accusé dans les formes par son ennemi, le philosophe Crescens 2. Le premier mot du préfet Junius Rusticus, en l'interrogeant, n'est point pour lui reprocher quelque délit de droit commun ni même pour l'inculper d'association illicite, quoiqu'il réunit des disciples dans sa maison et que plusieurs fussent poursuivis en même temps que lui. « Soumets-toi aux dieux et obéis aux empereurs, › lui dit simplement le magistrat. C'est lui rappeler que, de droit, l'apostasie entraîne l'acquittement. L'interrogatoire se poursuit, Rusticus posant diverses questions, dont aucune n'a trait à quelque inculpation particulière, et Justin répondant par l'énoncé de ses croyances et la défense de sa foi. Il se termine par la question décisive : « Donc tu es chrétien? Oui, je suis chrétien. »> Le préfet s'adresse successivement à chacun des autres accusés, l'interrogeant de même et recevant la même réponse. Une fois encore il tenta d'ébranler la résolution de Justin, puis de ses compagnons c'est seulement quand tous ont répondu, d'une commune voix : « Fais vite ce que tu veux, nous sommes chrétiens et ne sacrifions pas aux idoles, qu'il se décide à prononcer la sentence. Celle-ci est ainsi rédigée : « Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux et obéir à l'ordre de l'empereur soient fouettés et emmenés pour subir la peine capitale, conformément aux lois 3.

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A la fin du règne de Marc-Aurèle, le procès des martyrs de Lyon montre la même jurisprudence non seulement appliquée en vertu des rescrits antérieurs, mais confirmée par un nouvel acte de la puissance impériale.

Le rescrit rapporté par Modestin, et cité au Digeste, XLVIII, XIX, 30, ne paraît pas se rapporter aux chrétiens. Quant à la lettre dont parle Tertullien (Apol., 5), et à laquelle font aussi allusion Orose et Xiphilin, elle est manifestement apocryphe.

2 Tatien, Adv. Graecos, 19.

3 Acta S. Justini, dans Otto, Corpus apologetarum christ. saec. secundi, 1879, p. 266-278.

En 177, aux approches de la fête annuelle qui réunissait, le 1er août, autour de l'autel de Rome et d'Auguste les délégués des trois Gaules, la population lyonnaise avait poursuivi et maltraité les chrétiens. Beaucoup d'entre eux furent arrêtés par des soldats, interrogés par les magistrats municipaux et déférés au tribunal du légat. La plupart y confessèrent courageusement leur foi quelques-uns cependant apostasièrent. C'était probablement le premier procès de religion instruit en Gaule: le gouverneur montra autant d'inexpérience que naguère Pline en Bithynie. Il ordonna ou permit la recherche d'autres chrétiens, ce qui était contraire au rescrit de Trajan. Puis il fit dévier l'instruction de l'affaire, el, au lieu de se borner à constater l'obstination religieuse des accusés, il essaya de les convaincre de crimes de droit commun. Des esclaves mis à la torture chargèrent, sous la dictée des soldats et des bourreaux, leurs maîtres des plus horribles forfaits: « les repas de Thyeste, les incestes d'OEdipe et d'autres énormités qu'il ne nous est permis ni de dire ni de penser, et que nous ne pouvons même croire avoir jamais été commis par des hommes 1. » Cette déclaration, repoussée avec énergie par les chrétiens, compliquait singulièrement l'affaire. Si le procès avait porté seulement sur le crime. de religion, la procédure demeurait fort simple : les apostats eussent été renvoyés libres et les confesseurs conduits au supplice. Mais le témoignage arraché aux esclaves faisait peser sur les uns et sur les autres l'inculpation de crimes distincts de celui de christianisme. Les apostats pouvaient-ils être encore considérés comme innocents et devaient-ils être renvoyés absous? Telle est la question que le légat se posa avec embarras et qu'il soumit à la décision de l'empereur.

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Marc-Aurèle remit sans hésiter son représentant dans la droite voie. Il répondit par un rescrit tout semblable à celui de Trajan Que ceux qui s'avouent chrétiens, lui manda-t-il, soient condamnés à la peine capitale; mais s'il en est qui renient, ceux-ci doivent être absous. C'était rejeter d'un mot la déposition des témoins à charge, abroger toute la procédure, et ordonner de recommencer le procès. Le légat s'attendait à ce

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1 Lettre des Églises de Lyon et de Vienne à celles d'Asie et de Phrygie, dans Eusèbe, H. E., V, 1, 14.

que le nouvel interrogatoire serait de pure forme. Dans sa pensée, il aurait seulement à constater encore une fois l'obstination des uns, la faiblesse des autres. A sa grande surprise, il vit presque tous les renégats s'avouer chrétiens. L'exemple et les exhortations des confesseurs les avaien' convertis dans la prison. Il y eut donc plus de condamnés qu'il ne pensait les uns, citoyens romains, périrent par le glaive; les autres, livrés aux bêtes, servirent, dans l'amphithéâtre, à l'amusement du peuple. On connaît, grâce à la relation si vivante envoyée par les Églises de Lyon et de Vienne à celles d'Asie et de Phrygie, les épisodes grandioses ou touchants de ces supplices. Mais, comme on le voit, tous, en vertu du rescrit de Marc-Aurèle, confirmatif de ceux de ses prédécesseurs, expièrent ainsi le seul crime de religion, et ne moururent que parce qu'ils avaient refusé la grâce offerte par l'empereur aux apostats.

Si le martyre de sainte Cécile est, comme je le pense, contemporain de Marc-Aurèle, on trouve, dans son interrogatoire, le rescrit de 177 non seulement rappelé, mais cité. Ignores-tu, dit le préfet de Rome à la noble accusée, que nos invincibles maîtres ont ordonné que ceux qui ne nieront pas être chrétiens soient punis, et que ceux qui nieront soient absous 1? Les invincibles maîtres sont Marc-Aurèle et son fils Commode, nommé César dès 166, et investi de la puissance tribunitienne en 177 comme le préfet cite ces deux empereurs, il est visible que ce n'est pas au rescrit de Trajan, mais à une ordonnance récente et tout à fait contemporaine, qu'il fait allusion.

La mort de Marc-Aurèle et l'avènement de son indigne successeur ne changèrent rien à la situation des chrétiens. La procédure suivie contre eux demeura la même. On la retrouve en action dans un des plus précieux monuments qui nous soient restés de l'antiquité chrétienne, les Actes des martyrs de Scillium, en Afrique 2. Le proconsul commence l'interrogatoire par ces mots : « Vous pouvez obtenir grâce de l'empereur, si vous revenez à la sagesse et si vous sacrifiez aux dieux tout-puis

1 De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. xxxvII et 150.

2 Ruinart, Acta martyrum sincera, p. 77-81; Aubé, Étude sur un nouveau texte des Actes des martyrs Scillitains, 1881; Analecta Bollandiana, t. VIII, p. 6-8; Armitage Robinson, The Passion of S. Perpetua with an appendix on the scillitan martyrdom, 1891, p. 106-116.

sants. S'adressant ensuite à chaque accusé, il cherche à lui faire abandonner sa foi. Un détail, qui jusque-là ne nous était pas encore apparu, met en lumière le désir du magistrat de les amener à résipiscence. Peut-être, dit-il, avez-vous besoin d'un délai pour délibérer?» Malgré le refus de celui des accusés qui parait, le plus souvent, parler au nom des autres, le proconsul insiste: Acceptez un délai de trente jours pour réfléchir. » C'est seulement quand tous, rejetant la proposition, ont répété d'une seule voix : « Je suis chrétien, j'adorerai toujours le Seigneur mon Dieu, qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, qu'il se décide à prononcer la sentence. Celle-ci condamne en eux, comme l'avait fait Pline, l'« obstination qui forme, en vérité, la substance du délit. Le mot même est rappelé dans l'arrêt. « Attendu, y est-il dit, que Speratus, Nartallus, Cittinus, Donata, Vestia, Secunda, ont déclaré vivre à la façon des chrétiens et, sur l'offre qui leur était faite de revenir à la manière de vivre des Romains, ont persisté dans leur obstination, nous les condamnons à périr par le glaive.

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Ces faits sont de la première année du règne de Commode. De nombreuses condamnations de chrétiens eurent lieu dans les années suivantes en Asie, sous le cruel proconsulat d'Arrius Antoninus 1, et à Rome même. Le procès d'Apollonius est célèbre 2. La découverte de ses Actes authentiques 3 permet aujour d'hui de compléter les récits qu'en ont faits Eusèbe et saint Jérôme. Dénoncé comme chrétien, Apollonius fut traduit par le préfet du prétoire Perennis devant le sénal. Dans un éloquent discours, il fit l'apologie de sa religion, donna les raisons de son refus de sacrifier aux dieux et de jurer par la fortune de l'empereur, et protesta des sentiments de loyauté politique dont les fidèles étaient animés. Trois jours après, il fut interrogé par le préfet seul. Il persista dans son refus d'apostasie. Perennis, alors, alléguant l'avis émis par le Sénat dans la première au

1 Tertullien, Ad Scapulam, 5.

2 Eusèbe, H. E., V, 21, 2-4; Saint Jérôme, De viris ill., art. Apollonius. 3 Version arménienne, publiée par les Pères mėkitaristes de Venise en 1874; traduite par Conybeare, The Apology and Acts of Apollonius and other monuments of early christianity, 1894. Voir deux mémoires de M. Harnack et de M. Mommsen, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Berlin, section d'histoire et de philologie, 27 juillet 1893 et 7 juillet 1894; et un Appendice de Hardy, dans Christianity and Roman government, p. 200-208.

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