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dience, le condamna à être décapité. Si Apollonius était luimême sénateur, comme l'affirme saint Jérôme, et comme on peut le croire en songeant aux grands progrès faits à cette époque par le christianisme dans l'aristocratie romaine 1, cette procédure s'explique aisément. Les Actes, il est vrai, ne lui donnent pas ce titre; mais leur première partie est loin d'être complète. Il semble au moins qu'Apollonius fut un personnage considérable, puisque Perennis, malgré la toute-puissance dont l'avait investi le faible Commode, crut devoir prendre à son sujet l'avis de la haute assemblée. Dans tout l'interrogatoire, il traite l'accusé avec une grande courtoisie, et jusque dans le prononcé de la sentence il lui marque des égards. Les détails maintenant 'bien connus de ce procès montrent que l'accusation portait sur la religion seule, sans mélange d'aucun fait accessoire, que sur elle seule Apollonius eut à se défendre et qu'il n'y eut pas d'autre motif à sa condamnation 2.

On voit que la situation juridique des chrétiens est encore, à la fin du second siècle, telle que l'avait fixée Trajan, régularisant lui-même un état de choses qui remontait à Néron. Cependant les dernières années du règne de Commode virent cette situation se détendre. Pour la première fois, l'implacable raideur de la justice romaine s'amollit sous un souffle nouveau. On n'en saurait faire honneur aux arguments des apologistes, ni à un sentiment d'équité ou d'humanité subitement éveillé chez les maitres du monde. L'influence que des serviteurs chrétiens, et surtout une femme aimée 3, exercèrent sur Commode, tourna seule à l'avantage des fidèles. Commode était trop indifférent en politique pour y résister. Il gracia de nombreux chrétiens avec autant de facilité qu'il en avait, auparavant, laissé condamner d'autres. Ainsi furent rappelés les confesseurs qui travaillaient aux mines de Sardaigne, et dont la liste avait été demandée par la favorite

1 Eusèbe, H. E., V, 21, 6; cf. de Rossi, Roma sott., t. I, p. 309, 315 et suiv.; t. II, p. 366 et suiv.; Bruzza, dans Bull. della comm. arch. com., 1883, p. 137-143.

2 Les Actes ne parlent pas du châtiment qui, d'après Eusèbe, aurait été infligé à l'accusateur. Voir sur ce détail, peut-être suspect, Harnack, dans le mémoire cité, et le Père Semeria, Conf. d'archéologie chrétienne de Rome, 14 janvier 1894, dans Bull. di arch. crist., 1894, p. 113.

3 Philosophumena, IX, 11; Dion Cassius, LXXII, 4; saint Irénée, Haeres., IV, 30. Cf. De Rossi, Inscr. christ., t. I, no 5, p. 9.

Marcia au pape Victor 1. On doit voir dans cet acte, non le commencement d'une politique meilleure, mais un caprice heureux du pouvoir absolu. Il inaugure cependant une époque nouvelle, en montrant que les lois contraires au christianisme ont cessé d'être inflexibles, et que le pouvoir impérial, si souvent sollicité de trailer avec lui, pourra ne pas rester inexorable.

PAUL ALLARD.

1 Philosophumena, IX, 11.

JEAN IT, COMTE D'ARMAGNAC

Ier,

ET LE MOUVEMENT NATIONAL DANS LE MIDI

AU TEMPS DU PRINCE NOIR

S'il y a dans notre histoire une époque tourmentée, pleine de troubles et d'incertitudes, offrant aux regards le tableau des fortunes les plus extrêmes, c'est assurément le xive siècle. Mais, au sein de ces mêlées confuses, parmi les douleurs et les cris des peuples, la France nait et grandit. Et lentement se forme l'unité nationale. Ce laborieux enfantement, des plus attachants à étudier dans toutes les régions de la future patrie, l'est principalement dans le Midi, et surtout dans ce coin du sud-ouest où se firent sentir les premiers tressaillements, que secoua longtemps le grand effort de la lutte, et qui vit enfin, avec la dernière bataille, l'étranger en fuite et la nation définitivement formée et constituée.

Deux hommes entre tous y symbolisèrent et personnifièrent les prétentions et les passions ennemies. L'un d'eux, le Prince Noir son seul nom résonne comme un écho de tragédies remplies de massacres et de ruines. L'autre, bien moins connu, pour ne pas dire complètement oublié, ce fut celui dont nous voudrions, dans ces pages, mettre sur pied de notre mieux la patriotique figure. Nous avons nommé Jean Ier, comte d'Armagnac, contemporain de messire Bertrand du Guesclin, dont tout Paris vient d'acclamer la mémoire, son émule de gloire et de noblesse. Comme lui entièrement dévoué au roi Charles V, comme lui aussi la tête et le bras du parti national, ainsi que le plus actif antagoniste du Prince Noir, il fut l'âme de la résistance contre l'Anglais dans le Midi tout entier, et finit par le mettre à bas. Et c'est vraiment un oubli bien immérité que celui qui pèse

sur son nom.

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Aurons-nous jamais une étude approfondie, complète, sur la vie de ce grand Français, et verrons-nous se dérouler ce long poème de bravoure, de fidélité, de guerre à la domination étrangère qui la remplit du premier instant au dernier ? Souhaitonsle et espérons-le. En attendant, nous voudrions étudier ici cette période de l'histoire de notre héros qui le mit en présence du Prince Noir, et qui occupe les vingt dernières années de sa vie (1353-1373). Des ouvrages publiés de nos jours, tels que la récente édition de l'Histoire du Languedoc, les Sceaux gascons, les Jurades d'Agen, permettent de suivre assez bien ses traces durant cette époque néfaste où Poitiers et Brétigny se répondent. Des documents inédits, en certain nombre, que nous aurons à citer, apporteront aussi leur contingent de lumière. Il y aura lieu également à recourir parfois, bien qu'avec précaution, au travail dernièrement publié par le P. Moisant, S. J., sur le Prince Noir en Aquitaine. Grâce à tous ces matériaux, s'élèvera notre modeste édifice, et l'on y verra se développer l'action de Jean Ier et sa part prépondérante dans l'élan national contre le Prince Noir.

I.

AVANT L'INVASION DE 1355

(1311-octobre 1355)

C'est le Prince Noir lui-même qui nous présentera Jean Ier. Écrivant à l'évêque de Winchester le récit de sa sanglante campagne de 1355, dont nous aurons à parler plus loin, il lui expose que ses principales raisons pour prendre les armes furent les triomphes précédents de Jean ler contre les capitaines anglais et le désir d'en tirer vengeance. Il ajoute ces paroles, où l'on sent vibrer encore sa joie farouche et celle des siens, au milieu des désastres qu'ils accumulaient sur leur passage : α Sy chivaschames parmy la pays Dermyniake, grevants et destruisants la pays, de quoy les liéges (de) nostre dit très honouré seigneur (et père), as queux il (le comte d'Armagnac) avoit cy devant grevés, estoient moult réconfortés 1. Ces seules lignes nous

D

1 Robert de Avesbury, Hist. Edwardi III. Oxonii, 1720, p. 434.

montrent bien déjà l'importance du rôle de Jean Ier dans la lutte contre l'Angleterre. Elles nous obligent aussi à remonter un peu en arrière pour nous rendre compte des campagnes du comte d'Armagnac, auxquelles il est fait allusion dans le document précité, et pour rappeler à grands traits son histoire jusqu'au jour où Édouard III envoya contre lui le premier de ses généraux, son propre fils, Edouard, prince de Galles, dit le Prince Noir.

Jean Ier naquit en 1311 1, de Bernard VI, comte d'Arinagnac, et de sa femme Cécile de Rodez, fille et héritière de Henri II, dernier comte de Rouergue. Ces deux maisons comptaient alors au nombre des plus puissants appuis de l'influence française dans le Midi. Bernard VI exerçait même les fonctions de lieutenant général du roi en Languedoc et provinces voisines vers le temps de la naissance de son fils 2. Cécile de Rodez étant morte à la fleur de l'âge, en 1313, l'enfant fut confié à sa grand'mère paternelle, Mathe de Béarn, déjà plus que septuagénaire, mais conservant toujours cette inflexibilité, cette apreté mème qui firent d'elle l'une des princesses les plus énergiques et les plus obstinées de son temps, et dont le résultat fut d'allumer plus de cent ans de haines entre Foix-Béarn et Armagnac. Autour de ce berceau, on aperçoit aussi divers personnages qui tous se distinguèrent par leur dévouement à la cause française: deux prélats d'abord, Amanieu d'Armagnac, archevêque d'Auch, et Roger d'Armagnac, évêque de Lavaur, oncles paternels de Jean ler; puis deux vaillants chevaliers, Gaston d'Armagnac, vicomte de Fezensaguet 3, frère de son père, et Amauri de Taleiran, sire de Narbonne, cousin germain de sa mère. Ainsi, dès ses premiers pas dans la vie, Jean Ier se heurtait de tous côtés aux plus fidèles serviteurs de la France. Les impressions qu'il reçut d'eux durèrent autant que lui-même, et nous le verrons plus loin conserver fidèlement leur souvenir jusque dans son

Cette date, inconnue jusqu'à présent, ressort avec certitude de diverses recherches auxquelles nous nous sommes livré.

2 Archives des Basses-Pyrénées, Inventaire des documents de la maison d'Armagnac conservés en une tour de la ville de Vic-Fezensac (Gers), dressé du 8 août au 25 octobre 1501, no 51 de l'inventaire. Nous aurons à citer maintes fois ce précieux manuscrit, que nous désignerons désormais sous le nom d'Inventaire de Vic-Fezensac.

3 La vicomté de Fezensaguet comprenait une bonne partie des cantons actuels de Fleurance, Mauvezin et Cologne (Gers).

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