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II.

LE CHANGEMENT DE DYNASTIE EN ESPAGNE

Les causes et les préliminaires de la guerre d'Espagne sont trop connus, ont été trop souvent racontés dans les mémoires contemporains ou par les historiens de notre époque, pour qu'il soit nécessaire de les exposer en détail. Après avoir hésité longtemps, Napoléon songeait très sérieusement à détrôner la dynastie espagnole et à lui substituer un prince de sa maison. Mais, pour que ce changement de monarque s'accomplit sans trouble, il était indispensable qu'une force militaire imposante occupat le pays et les places fortes. Cette opération était déjà commencée en partie sous prétexte de soutenir l'armée de Portugal, un corps d'armée, commandé par le général Dupont, était entré dans les provinces basques et dans la Vieille-Castille et avait occupé Vittoria et Burgos. Le 20 février 1808, Napoléon donna l'ordre à Murat de partir dans la nuit pour Bayonne, afin d'y prendre le commandement en chef des troupes françaises destinées à opérer en Espagne. Murat passa la frontière le 10 mars, tandis que le général Duhesme entrait de son côté en Catalogne, s'établissait à Barcelone et occupait par surprise la citadelle. C'est à propos de ce général que fut écrite à Murat la première lettre relative à la guerre d'Espagne que nous ayons trouvée omise dans la Correspondance:

Paris, 10 mars 1808.

Je reçois votre lettre du 7, avec la dépêche du général Duhesme. Le général Duhesme étant maître de la citadelle de Barcelone n'a rien à craindre. Vous avez eu tort de lui donner l'ordre de s'emparer de Figuières. Vous lui recommandez de concentrer ses troupes, et vous lui ordonnez de prendre Figuières. Ces deux ordres sont contradictoires. Mon intention est qu'il reste réuni avec toute sa division dans Barcelone. Il doit avoir un payeur, des commissaires des guerres et ses dix-huit pièces d'artillerie. Il a d'ailleurs des commissaires des guerres italiens, et on peut très bien vivre sans payeur. Ainsi il est parfaitement organisé. Quant aux inspecteurs aux revues, que diable voulez-vous qu'il en fasse en campagne ? Il n'a qu'à en faire les fonctions lui-même.

Il n'y a aucun mécontentement à Barcelone. Le général Duhesme

est une commère. On donne des coups de stylet à des Napolitains 1; c'est dans le caractère des habitants. Du reste, on est bien disposé, et, quand on a la citadelle, on a tout....

Napoléon avait craint que la famille royale d'Espagne, malgré les dissensions intestines qui la divisaient, n'imitat l'exemple de la cour de Portugal et n'abandonnât l'Espagne pour se retirer dans ses coloníes d'Amérique. L'entrée sur son territoire d'une armée de plus de cent mille hommes, sans nécessité apparente et sans but avoué, la saisie de toutes les forteresses et places fortes, la marche rapide de Murat vers Madrid et les réponses évasives que ce général d'un côté, Napoléon de l'autre, faisaient aux questions et aux représentations du gouvernement espagnol, tout cela était bien fait pour causer une extrême frayeur au faible Charles IV et à son favori le prince de la Paix. Le prince des Asturies, Ferdinand, plus hardi, certes, et plus aimé du peuple que son père, mais génie médiocre et esprit indécis, ne voyait pas d'un meilleur œil cette invasion des Français. Pour empêcher l'exode de la cour espagnole, l'Empereur avait envoyé, par une voie sûre et rapide, au vice-amiral Rosily, qui, depuis plusieurs mois, se trouvait bloqué à Cadix avec une escadre par la flotte anglaise, l'ordre de prendre dans la rade une position qui lui permit, le cas échéant, d'empêcher toute sortie du port, et surtout de s'opposer, même par la force, à l'embarquement et au départ de la famille royale.

Il ne suffisait pas d'avoir paré à cette éventualité. Ces riches colonies d'outre-mer, le Mexique, le Pérou, le Chili, le territoire de la Plata, Napoléon tenait extrêmement à les conserver à l'Espagne, après le changement de dynastie. Il savait bien que, du jour où les Bourbons seraient tombés du trône de Madrid, ces pays deviendraient la proie de l'Angleterre; mais il regardait comme très avantageux que ces colonies n'en ¡vinssent pas. à se révolter et à appeler les Anglais; il aurait voulu même que, par loyalisme, elles restassent fidèles à la mère patrie et tenlassent de résister aux entreprises anglaises. Pour atteindre

Quelques soldats des régiments napolitains qui se trouvaient dans le corps du général Duhesme avaient été assassinés à Barcelone. Mais, comme le dit l'empereur, c'était une suite de la haine séculaire qui existait entre les Catalans et les Napolitains, et ces attentats n'étaient pas dirigés contre les Français.

ce but, il donna l'ordre au ministre de la Marine d'envoyer dans ces pays un agent intelligent et énergique. L'amiral Decrès crut entrer dans la pensée de l'Empereur en rédigeant des instructions précises et détaillées; les ayant soumises à Napoléon, il en reçut le lendemain la réponse suivante :

Saint-Cloud, 26 mars 1808.

Je vous renvoie vos instructions. Ce que vous dites est inutile à écrire et doit être dit de vive voix à l'agent que vous enverrez. Il faut lui écrire ostensiblement : « Vous irez à Montevideo; vous y ferez votre « débarquement, et, aussitôt qu'il arriverait des nouvelles d'Espagne << qui pourraient inquiéter les colonies, ou si vous les trouviez déjà «< inquiétées, vous vous présenterez devant les autorités, vous leur <«< ferez connaître qu'elles n'ont rien à craindre, que nous sommes les << amis des Espagnols, et que vous les engagez à se conduire d'une << manière convenable et à rester tranquilles. » Il n'y a pas autre chose à dire.

En même temps, il prescrivait des mesures d'un autre ordre pour empêcher que les événements d'Espagne ne s'ébruitassent trop vite. Les puissances européennes, si elles avaient connu rapidement ce qui se passait au delà des Pyrénées, auraient pu lui susciter bien des embarras. Il fallait à tout prix éviter toute complication jusqu'à ce que le fait accompli et l'occupation totale du pays par l'armée française ne permissent plus à l'Europe d'agir efficacement. Pour arriver à ce résultat, il y avait un moyen simple, sinon honnête; c'est pourquoi il écrivit le 29 mars à M. de Lavalette, directeur général des postes :

Il est nécessaire d'arrêter à la poste toutes les lettres des ministres étrangers qui résident à Madrid. Il faut les retenir une quinzaine de jours; on les laissera passer après ce délai.

Le déchiffrement des dépêches du sieur Henry, chargé des affaires de Prusse à Madrid, serait très essentiel dans les circonstances actuelles.

Il est nécessaire aussi de retarder toutes les lettres venant d'Espagne et adressées à la division espagnole qui est sous les ordres du prince de Pontecorvo 1. Prenez des mesures pour cela; vous me ferez connaître ce que vous aurez fait. Il faut apporter une vingtaine de jours de retard dans le passage de ces lettres, et les faire visiter attentivement pour en ôter toutes celles d'un mauvais esprit,

Dans les provinces baltiques,

Ces mesures exceptionnelles étaient commandées par les graves événements qui venaient de se produire dans la péninsule. Le 17 mars, la populace d'Aranjuez, où se trouvait la cour, s'était soulevée contre le prince de la Paix, avait envahi son palais, et il n'avait échappé à la mort que couvert de blessures el grâce au dévouement des gardes du corps. Le 19, Charles IV, affolé par cette révolte, avait abdiqué, et Ferdinand VII avait été proclamé roi aux acclamations du peuple. Mais le vieux souverain n'avait pas lardé à regretter cette détermination prise sous l'empire de la terreur; il protestait contre son abdication forcée et avait demandé, par l'intermédiaire de la jeune reine d'Étrurie, sa fille, la protection de Murat. Celui-ci s'était aussitôt dirigé à marches forcées sur Madrid, où il était entré le 23 mars. Conformément à ses instructions, Murat temporisa et ne prit pas parti entre le roi et son fils. Il leur conseilla de s'en remettre à la décision de Napoléon, et se contenta d'occuper fortement Madrid et ses alentours et d'assurer la tranquillité de la capitale par d'énergiques mesures de police.

La nouvelle de la révolution d'Aranjuez décida Napoléon à se rapprocher du théâtre des événements. Le 2 avril, il quittait Saint-Cloud et se rendait en poste d'abord à Bordeaux, puis à Bayonne, où il s'installa le 14. Il entrevoyait alors le moyen de terminer selon ses désirs les affaires d'Espagne; il fallait attirer Ferdinand à Bayonne pour s'emparer de lui et l'empêcher d'agir. Quand on n'aurait plus devant soi que le faible Charles IV, il serait facile d'arracher la couronne à ses mains débiles. La seule difficulté était de décider Ferdinand à se rendre auprès de l'Empereur. Pour cette mission délicate, Napoléon jeta les yeux sur le général Savary, qui devait, l'année suivante, remplacer Fouché au ministère de la Police générale. C'était un homme souple et adroit, dont l'Empereur avait déjà éprouvé l'habileté en plusieurs circonstances. Il lui dévoila ses projets et le fit partir immédiatement pour Madrid; il s'agissait d'amener le prince à venir soumettre à Napoléon le différend qui existait entre son père et lui.

Savary, aidé de Murat, réussit dans sa mission. Désireux de se concilier l'appui de son tout-puissant voisin et de faire reconnaitre sa royauté récente, Ferdinand accepta sans difficulté d'aller au-devant de lui; car Savary avait prétendu qu'il ren

contrerait l'Empereur sur la route de Madrid. Jusqu'à Burgos, le voyage s'accomplit lentement, mais sans encombre, au milieu de l'enthousiasme des populations qui acclamaient Ferdinand VII. Mais, arrivé dans cette capitale de la Vieille-Castille, le prince, ne recevant aucune nouvelle de Napoléon et un peu effrayé de se trouver au milieu des armées françaises, refusa d'aller plus loin. Il fallut toute l'éloquence et l'adresse de Savary pour le décider à gagner Vittoria. Là, il apprit que Napoléon n'avait pas passé la frontière, et quoi que pût dire Savary, il persista dans sa résolution de ne pas s'avancer davantage. Devant cette résistance, le général prit le parti d'aller demander des instructions à l'Empereur. Quelques jours plus tard, il revenait chargé pour Ferdinand d'une lettre insidieuse qui devait l'attirer presque à coup sûr à Bayonne. Dans le cas où le prince, pris de peur, serait revenu en arrière, le maréchal Bessières, qui commandait à Burgos, avait ordre de s'assurer de sa personne, et Napoléon écrivait dans le même sens à Murat, le jour même du départ de Savary:

Bayonne, 17 avril 1808.

Savary part au moment même. Il se rend auprès du prince des Asturies; il lui porte la lettre dont copie est ci-jointe 1. Je le charge de vous écrire de Vittoria tout ce qui se passe. Si le prince des Asturies vient à Bayonne, vous avez le temps de recevoir des ordres sur ce que vous avez à faire. Si le prince des Asturies retourne à Burgos, je donne des ordres convenables à Bessières. S'il retourne à Madrid, vous enverrez à sa rencontre et vous le ferez arrêter, et, s'il y a lieu, vous publierez la lettre que je vous envoie et la protestation du roi Charles, et vous forcerez O'Farill et les autres, et surtout l'infant don Antonio, à prêter serment au roi Charles. Vous ferez faire par le grand inquisiteur une proclamation pour faire connaître que le roi Charles ayant protesté contre son abdication, c'est lui qui est roi. Agissez vigoureusement: les gouverneurs, les intendants, les évêques doivent répondre des désordres qui se commettraient dans les communes et villages. Vous devez déclarer que je reconnais le roi Charles IV, que je garantis l'intégrité des Espagnes, que le prince de la Paix est exilé, et que je me charge d'assister le roi Charles de mes conseils et des forces de mon empire pour la bonne organisation de son royaume; que le sort de l'Espagne est entre les mains des Espagnols. Vous ferez faire des pamphlets et des articles de journaux

1 Voyez Correspondance, no 13750, lettre du 16 avril.

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