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Guignicourt, Charles leur écrivit une lettre qui leur parvint le 18 septembre. Il est vrai que, quarante-huit heures après la réception de cette lettre, dont nous ignorons le contenu, les cardinaux élurent à l'improviste, sous le nom de Clément VII, un ami dévoué du roi de France, mais nul n'a le droit d'affirmer que cette élection ait été conseillée par la lettre du roi. Ce qu'il est permis de croire, c'est qu'en agissant ainsi les cardinaux ont pensé qu'ils ne seraient point désapprouvés à Paris. L'élection de Clément VII était d'ailleurs la conséquence presque forcée de la situation périlleuse où s'étaient placés les cardinaux en se séparant de l'implacable Urbain VI. Pas n'est besoin, pour l'expliquer, de supposer une exhortation directe de Charles V.

J'en viens maintenant au second point. Le schisme fut consommé par l'élection de Clément VII, le client de la maison de France qui, pour mieux marquer ses sympathies, introduisit trois fleurs de lis au revers de ses bulles. Cette fois, le parti de Charles V fut bientôt pris; il se résolut à soutenir Clément. Peut-être, d'ailleurs, partageant l'illusion des cardinaux demeurés en Avignon, crut-il que sa décision formelle entraînerait non seulement l'Écosse, Naples et la Castille, mais encore l'Empire et la Hongrie 1. Si l'on accueille cette hypothèse très vraisemblable (les plus sages s'illusionnent souvent sur leur crédit), on en déduira que le roi a pensé, par sa détermination, abréger la querelle plutôt que la prolonger. D'ailleurs, une fois sa résolution prise, il procède avec la prudence dont il est coutumier. Il ne brusque rien, car il sent qu'il doit ménager les répugnances du clergé et de l'Université. Lui-même ne publie sa décision qu'après quelques mois, qui parurent bien longs aux clémentins. Devant sa fermeté patiente, toutes les résistances s'évanouissent: bientôt le royaume est définitivement acquis à Clément VII. « En somme, conclut fort bien M. Valois, si Charles V n'est pas l'auteur du schisme, il est en grande partie responsable du rôle que la France va jouer dans le conflit. D'une main souple et puissante, d'un geste irrésistible et mal dissimulé, il la pousse dans le parti de Robert de Genève. » Ce qu'on peut dire de plus favorable à la mémoire du roi, c'est que, tenant tous ses renseignements du parti des cardinaux, il a pu agir de bonne foi a.

Les cardinaux demeurés en Avignon croyaient savoir, en octobre 1378, que l'empereur Charles IV et le roi de Hongrie Louis I conformeraient leur opinion à celle de Charles V. Cf. le mémoire adressé à Clément VII, au nom de ces cardinaux, par Gilles de Belle mère, publié par M. Valois dans les Mélanges Julien Havel, p. 452 et suiv.

2 Il est fâcheux, pour la mémoire de Charles V, d'avoir à constater que l'un de ses principaux conseillers, Jean de la Grange, cardinal d'Amiens, person

III.

Désormais le roi de France se trouve engagé à travailler de toutes ses forces au triomphe du pape d'Avignon. Le livre de M. Valois raconte par le menu les efforts tentés par le roi et les princes de sa race pour arriver à ce but,

Partout où elle put exercer son influence, la diplomatie française s'appliqua à faire reconnaître Clément VII. Je ne saurais songer à suivre M. Valois à travers l'enchevêtrement des négociations et des faits, si complexe qu'il semble inextricable, quoique pourtant l'auteur s'y meuve fort à son aise. Ici encore je me borne à rapporter quelquesunes des impressions que j'ai retirées de la lecture des chapitres consacrés à l'action diplomatique des rois Charles V et Charles VI, combinée avec celle de Clément VII.

L'influence de la France a fait beaucoup pour créer une obédience au pape d'Avignon. D'abord, le roi entraîne tout naturellement après lui des princes qui lui sont étroitement unis, comme les Lusignan de Chypre et le roi d'Ecosse, puis des Français de langue ou tout au moins de sympathies, quoique soumis à une domination politique étrangère, tels que ces nombreux habitants de la Guyenne et de la Bretagne qui adhérèrent à Clément VII. Par tradition, les rois de France, depuis plus d'un siècle, avaient une clientèle parmi les princes de l'Empire; en l'affaire du schisme, quelques-uns de ces princes cédèrent à l'action de la diplomatie royale: ainsi les ducs de Lorraine, de Bar, de Luxembourg; ainsi Albert de Bavière (le beaupère de Wenceslas) qui était alors régent des comtés de Hainaut, de Hollande, de Zélande et de Frise, les comtes de la Marck et de Clèves, le duc Léopold III d'Autriche et plusieurs autres. Tous les alliés du roi ne se montrèrent pas aussi dociles. Par exemple, le roi

nage moins scrupuleux qu'habile, a dù exercer à Rome, dans les premiers jours du pontificat d'Urbain VI, une influence que M. Valois qualifie d'irritante, et qui certainement contribua beaucoup à fortifier l'opposition des cardinaux. Évidemment il prit cette attitude de son propre chef, avant d'avoir pu demander et recevoir des instructions; sans doute le roi, toujours prudent, n'eût pas adopté de propos délibéré une conduite qui menait tout droit au schisme. Cependant Charles V ne saurait être exonéré de toute responsabilité à cet égard, puisque Jean de la Grange était son homme de confiance (Cf. Valois, t. I, p. 69). — Il ne parait pas d'ailleurs qu'au dernier moment de sa vie Charles V ait témoigné une confiance absolue dans le parti qu'il avait adopté. M. Valois (t. I, p. 325 et suiv.) pense avec raison que sur son lit de mort, le roi entrevit le moment où la question du schisme devrait être tranchée par un concile œcuménique; aussi crut-il devoir adhérer, par avance, aux décisions de l'Eglise universelle.

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de Castille, Henri de Transtamare, qui devait son trône à Charles V et à Du Guesclin, était «< fatalement enchaîné à la politique française » non seulement par la reconnaissance, mais plus encore par l'intérêt ; cependant, il se borna à garder entre les deux partis qui se disputaient le pouvoir spirituel une neutralité plutôt favorable à Urbain VI. Ce ne fut qu'après trois ans que son successeur Jean Ier (en 1381) se prononça solennellement pour Clément VII.

Si, en Castille, la politique française n'obtint d'abord qu'un demisuccès, ailleurs les tentatives des agents de Charles V aboutirent à de véritables échecs. Ainsi, en Flandre, tant que vécut le comte Louis de Male, c'est-à-dire jusqu'en 1384, ni Charles V ni Charles VI ne réussirent à exercer quelque influence au profit de Clément VII. Le roi Louis Ier de Hongrie, tout membre de la maison capétienne qu'il fût, garda à Urbain VI un inébranlable attachement. Mais la déconvenue qui dut être la plus sensible aux Valois leur fut infligée de leurs parents l'empereur Charles IV et son fils Wenceslas: quoique au début du schisme ils fussent les alliés politiques de la France, ils demeurèrent fidèles au pape de Rome, en dépit des pressantes sollicitations de Charles V.

Tandis que plusieurs des alliés du roi de France trompent ses espérances, il est d'autres princes dont l'adhésion à Clément VII ne s'explique point par l'influence des Valois. Charles le Mauvais, roi de Navarre, « n'avait que trop de motifs de hair le roi de France; » il fut cependant clémentin décidé dès l'origine. Pierre IV d'Aragon, sans se prononcer formellement, se rapprocha de bonne heure du pape d'Avignon; cependant, en matière politique, ses sympathies allaient plus aux Anglais qu'aux Français. Enfin, le roi de Portugal Ferdinand (fait contraire à l'opinion de tous les historiens, jusques et y compris M. Pastor) se déclara très nettement, dès 1379, en faveur de Clément VII; mais il paraît certain que le roi de France << ne fut pas l'instigateur » de cette déclaration, encore qu'il en ait ensuite profité pour s'unir au Portugal.

Ces observations, et d'autres analogues, que multiplie M. Valois, l'amènent à une conclusion qui mérite d'être relevée ici. « On a trop répété que l'unique question était de savoir si la France continuerait d'exercer sa tyrannie spirituelle en Europe et que le parti urbaniste recruta tous ceux qui entendaient réagir contre l'omnipotence française. » On est allé jusqu'à considérer le schisme comme une lutte d'influence entre les peuples germaniques et les latins. Or, à coup sûr, « le désir de faire échec à la suprématie française ne suffit pas plus à expliquer les succès d'Urbain VI que le désir de complaire à Charles V ne rend compte de toutes les adhésions au pape d'Avignon.... Il y eut des consciences souples, il y en eut de vénales, mais il y en

eut de sincères,

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on semble l'oublier parfois, — et ce ne sont peutêtre pas les moins nombreuses. >>

IV.

Ce ne fut pas seulement aux négociations, mais aussi à la force que le parti clémentin crut utile d'avoir recours. Son principal champ de bataille fut l'Italie méridionale; le champion de Clément VII fut le duc Louis d'Anjou, frère de Charles V, qui, dès le début du schisme, avait vendu son appui au pape d'Avignon en échange d'un royaume imaginaire dans le centre de l'Italie (le royaume d'Adria), et qui, grâce à l'appui de Clément VII, crut, en se faisant adopter par la reine Jeanne de Sicile, assurer à lui-même et à ses descendants la riche succession de la première maison d'Anjou. Il faut lire, dans le livre de M. Valois, le récit détaillé de cette ruineuse entreprise, dont les frais furent supportés par le duc d'Anjou et aussi par Charles VI et Clément VII, c'est-à-dire par le peuple et le clergé de France. Au point de vue de la politique française, M. Valois est indulgent, presque sympathique à l'aventureuse tentative de Louis d'Anjou. « Qu'eut-il besoin, dit-on, de se mêler des affaires d'Italie ? Qu'allait-il faire à Naples, si loin de son pays? Ce qu'y avait fait, cent ans plus tôt, Charles d'Anjou, frère de saint Louis 1. » En revanche, au point de vue religieux, l'auteur condamne sévèrement la campagne du duc Louis : « Quand bien même Louis d'Anjou eût expulsé de Rome le pontife italien (c'est bien ce que rêvait Clément VII), quand il l'eût pris et livré traîtreusement au pape d'Avignon, je ne vois pas que cette violence eût eu la moindre chance de faire refleurir la paix dans les âmes. Tout au plus Louis d'Anjou pouvait-il se flatter de replacer dans l'obédience avignonnaise un royaume qui, sous le sceptre de Jeanne, avait officiellement reconnu Clément VII; mé

1 A dire vrai, il y a beaucoup d'analogie entre le frère de saint Louis et le frère de Charles V. Tous deux risquèrent leurs richesses, leur réputation, leur vie dans des entreprises qui avaient pour but d'asseoir leur domination sur l'Italie méridionale, et par là de se rendre maîtres de la péninsule. Tous deux s'y heurtèrent à de redoutables difficultés. Il ne parait pas que saint Louis ait fort approuvé les visées ambitieuses de son frère; Charles V ne paraît pas non plus avoir vu avec une grande satisfaction son frère cadet se préparer à jouer en Sicile un rôle que lui-même destinait à son second fils. En tout cas, depuis Charles, frère de saint Louis, les cadets de France se laissent volontiers séduire par le mirage de couronnes à gagner en Italie ou dans le royaume d'Arles, voire même de la couronne impériale, que les complaisants leur faisaient parfois entrevoir. Les princes de la maison de Valois se signalèrent par des rêves d'une ambition démesurée : c'est de ces rêves ambitieux que devaient naître les guerres d'Italie.

diocre résultat qu'on ne jugera sans doute pas suffisant pour justifier un pareil effort. »

Cette conclusion, fort défavorable à la « voie de fait, » c'est-à-dire à la violence, sur laquelle les clémentins avaient bâti tant d'espérances, est encore corroborée par la leçon qui se dégage des événements de Flandre. On sait qu'en 1384, après la mort du comte Louis de Male, la Flandre revint par héritage à un Valois, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, le plus jeune des frères de Charles V. D'après les historiens de Flandre, ce prince, clémentin convaincu comme tous ceux de sa race, « aurait défendu à ses nouveaux sujets, sous les peines les plus sévères, d'obéir au pape de Rome, auquel ils étaient demeurés attachés. Il leur aurait imposé l'apostasie, et l'exil, la prison, les supplices, au besoin, lui auraient servi à châtier leur désobéissance. » M. Valois a entrepris de vérifier l'exactitude de ce jugement; pièces en main, il arrive à écarter les unes après les autres les accusations portées contre le duc de Bourgogne. « De tous les faits cités comme preuve de la tyrannie qu'il exerçait sur les consciences, il ne reste rien ou du moins presque rien.... La légitime antipathie qu'inspire aux historiens de la Flandre la domination bourguignonne ne saurait tenir lieu de preuves pour démontrer l'existence d'une persécution violente qui n'a laissé de traces ni dans les chartes ni dans les chroniques. » Sans doute, Philippe le Hardi exerça son influence au profit du parti clémentin, il sut déterminer en Flandre, non une évolution complète, mais « une série de conversions successives. » Ce résultat, il l'obtint surtout par sa patience et son adresse, << qualités qu'on n'a pas coutume de reconnaître en lui. » De tels procédés de propagande le rattachent plus à l'école politique de Charles V qu'à celle de Louis d'Anjou, son frère, ou de Charles VI, son neveu, dont la grande erreur fut « de méconnaître le caractère insaisissable de cette papauté romaine qui, comme celle d'Avignon, puisait sa force dans le libre suffrage d'une grande partie de la chrétienté...... A une époque où les Valois paraissaient croire que la question du schisme était de celles qui devaient être tranchées par l'épée, et au moment où se formaient, d'accord avec Clément VII, tant de projets d'invasion et de conquête de l'Italie, il n'est pas inutile de constater que la force brutale ne fut pour rien ou presque rien dans les progrès réels qu'accomplit, sur divers points, le parti clémentin. »>

V.

Pendant seize ans, le pape d'Avignon, aidé de la royauté française, dont il paya les services par des concessions faites aux dépens de

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