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l'Église de France, ne laisse échapper aucune occasion, se sert de tous les prétextes, exploite toutes les rivalités, sans arriver à des résultats décisifs. Sans doute, il obtient des adhésions partielles ; un des grands mérites du livre de M. Valois est de prouver l'existence de nombreux groupes clémentins dans les régions urbanistes, même les plus écartées, aussi bien d'ailleurs que celle de groupes urbanistes dans les pays clémentins. Mais, à la veille de sa mort, qui survint * en 1394, Clément VII, s'il essaya de se rendre un compte exact de la situation générale de l'Église, dut reconnaître qu'une moitié au moins de l'Europe catholique échappait et échapperait toujours à la papauté d'Avignon.

Visiblement, la grande partie engagée par la politique française en 1378 devait être considérée comme perdue. Le schisme, du moment qu'il ne pouvait plus se terminer par le triomphe des Valois, devenait pour eux une gêne et un obstacle. Sans doute, la royauté avait su, dans une certaine mesure, poursuivre la politique traditionnelle, en dépit des difficultés créées par la scission de l'Église. C'est ainsi que, pendant les premières années du règne de Charles VI, le gouvernement de ce prince n'avait point cessé de favoriser toutes les entreprises et toutes les intrigues par lesquelles il espérait arriver à l'annexion de la Provence: remarquez cependant que ce pays appartenait à la seconde maison d'Anjou, c'est-à-dire à l'oncle, puis au cousin germain du roi, qui y représentaient l'influence française; remarquez aussi que Clément VII, le protégé de Charles VI, était, comme ses prédécesseurs, ouvertement hostile à ces vues d'agrandissement de la France, se souciant fort peu de se trouver, en Avignon, enserré de tous côtés par les forces du roi. Aucune de ces objections si graves n'arrête la politique française quand il s'agit de réaliser l'unité territoriale du royaume. C'est seulement ainsi qu'on peut expliquer la tolérance longtemps laissée par la France à Raymond de Turenne, ce condottiere fameux sur les rives du Rhône, dont les incursions causèrent tant de souci à Clément VII et à la reine Marie d'Anjou. On en pourra juger en lisant l'histoire mouvementée de ce personnage, que M. Valois a fort heureusement substituée aux légendes accréditées par les anciens historiens de Provence.

Que si, en certaines circonstances, on semble n'en pas tenir compte, le schisme pèse cependant comme un lourd fardeau sur la politique française. Il ne pèse pas moins sur les consciences et sur les intérêts. L'Université, qui le supporte impatiemment, a déjà émis, lors de l'avè nement de Charles VI, le projet de rétablir l'union au moyen d'un concile 1; ce projet reparaît en 1385, et dès lors les divers procédés

1 Le projet de concile apparut d'ailleurs dès les premiers temps du schisme.

qui pouvaient conduire au rétablissement de l'union furent l'objet de fréquentes discussions; les publicistes s'en émurent tout autant que les âmes pieuses. Peu à peu le roi lui-même finit par laisser voir qu'il concevait un dénouement autre que le triomphe du pape d'Avignon. Dans des lettres qu'il écrit au pontife de Rome en 1393 (sans d'ailleurs donner à Boniface IX le titre de pape), Charles VI marque un refroidissement sensible à l'endroit de Clément VII: « il donne même à entendre que la patience des princes, comme celle des peuples, est à bout, et que les deux pontifes, s'ils continuent de montrer tant d'attachement à leurs tiares, pourraient bien arriver à s'en repentir un jour. » En tout cas le roi ne veut plus soutenir son protégé par les armes. Vers le même temps, il adresse de graves remontrances à Clément VII. Il rappelle que l'Islam avance sans que la chrétienté divisée puisse l'arrêter: « heureuse encore si le clergé s'occupait sérieusement de mettre un terme au schisme et s'il avait d'autre souci que d'étaler son luxe ou d'accroître ses biens! Charles V ne se fût pas si facilement lancé dans une telle aventure, s'il eût prévu l'indifférence et la somnolence des clercs. » Allant plus vite que le roi, l'Université, à cette époque, confond les deux papes dans une même réprobation.

Ces idées se répandaient chez tous les hommes éclairés quand, le 16 septembre 1394, une mort soudaine emporta Clément VII. Avec lui, l'alliance de la royauté française et des papes d'Avignon descendait dans la tombe. La France, «peu désireuse d'accaparer plus longtemps les faveurs d'un souverain pontife discrédité, peu jalouse de garder le monopole d'une orthodoxie qui lui était contestée, mit toute son ambition à reprendre, au milieu des puissances catholiques, le rang qu'elle avait anciennement occupé. Ce n'était pas encore la fin du schisme (il y faudra plus de vingt ans d'efforts); c'était la fin d'un genre tout particulier de gallicanisme, s'il est permis d'appeler ainsi une tendance qu'avaient les Français d'alors, non pas à écarter la Papauté, mais à l'attirer et presque à l'étouffer dans leurs bras. »

Par ce jugement si grave se termine le livre de M. Valois. J'ai essayé d'indiquer au vol les conclusions principales de cette œuvre de premier ordre, où ne manquent ni les vues générales ni les portraits dessinés d'un trait ferme et précis, où les mérites du fond se trouvent encore rehaussés par les qualités de la composition et de la forme. Véritablement, l'auteur a su renouveler l'histoire des relations de la royauté française avec l'Église au temps du schisme, et du même

Le concile était l'objet des vœux des cardinaux italiens, qui avaient manifesté leur pensée à Charles V dès le mois de juillet 1378, c'est-à-dire entre l'élection d'Urbain VI et celle de Clément VII (Valois, t. I, p. 76 et 321).

oup, sur bien des points, l'histoire générale de l'Église et de l'Europe 1. Il faut souhaiter que M. Valois nous donne, sans trop tarder, la suite et la fin de l'œuvre si heureusement commencée.

PAUL FOURNIER.

1 J'ai signalé, chemin faisant, quelques-uns des résultats nouveaux auxquels est parvenu M. Valois. En voici quelques autres :

En France, la masse de la nation reconnait d'abord Urbain VI sans aucune difficulté (t. I, p. 94 et suiv.). M. Valois montre nettement que la politique secrète de Charles V, favorable au schisme, devança de plusieurs mois la déclaration officielle du roi (Ibid., p. 106 et suiv.); c'est que l'opinion populaire en France, comme celle de l'Université d'ailleurs et du clergé, était plutôt sympathique au pape de Rome (Ibid., p. 116). L'adhésion au schisme fut donc surtout un acte de politique. On sait que le duc d'Anjou se fit d'abord payer de son dévouement à Clément VII par la concession d'un royaume d'Adria, qui devait être créé dans l'Italie centrale: or, du consentement de Clément VII, il maintint ses prétentions au royaume d'Adria quand il fut devenu héritier de Naples ainsi c'était toute l'Italie centrale et méridionale, y compris une bonne partie des États de l'Église, que le Pape d'Avignon lui sacrifiait (Ibid., p. 188)! - Jean de Roquefeuille, envoyé officiellement par Urbain VI en Castille, comme Pierre de Marles en France, fit contre son maître le jeu des cardinaux révoltés (Ibid., p. 91 et 198). L'histoire du schisme en Portugal a été faite pour la première fois par M. Valois (t. I, p. 225 et suiv.; t. II, p. 208 et suiv.). Ce n'est point, comme l'affirme le religieux de Saint-Denys, le roi de Castille, mais bien le roi des Romains Wenceslas qui s'unit au roi de Hongrie en 1381, pour agir à Paris en faveur d'Urbain VI (t. II, p. 447 et suiv.). La conquête violente qu'aurait faite Louis d'Anjou de la Provence, en 1382, n'a existé que dans l'imagination des historiens provençaux (t. II, p. 21 et suiv.). En 1391, alors que Charles VI méditait une grande expédition à Rome, il comptait y emmener Clément VII (t. II, p. 177). En 1393. le duc Louis de Bourbon se proposa de conduire une expédition en Italie (t. II, p. 170). Les aventures de Raymond de Turenne, la politique traditionnelle de la France dans la vallée du Rhône, l'importance que le gouvernement de Charles VI attachait au vicariat impérial dans ces régions, sont fort bien mis en lumière (t. II, p. 332 et suiv., et passim).- Un document inédit, emprunté aux archives de la Loire-Inférieure, prouve la duplicité de Jean de Montfort, qui n'adhérait que par politique à Clément VII (t. II, p. 372). — Le livre de M. Valois est extrêmement riche de renseignements nouveaux sur la composition et les variations des deux obédiences; il montre, par exemple, le parti clémentin rayonnant sur la Guyenne et la Bretagne, gagnant dans l'Empire des adhérents qu'on ne lui soupçonnait pas, et poussant quelques racines jusques en Irlande et dans les pays scandinaves. En ce qui touche le rôle de l'Université, M. Valois a mis le premier à contribution les importants documents publiés dans le Chartularium Universitatis Parisiensis, t. III, par le R. P. Denifle et M. Châtelain; en ce qui concerne les événements de l'année 1382, il a pu, le premier aussi, tirer parti des précieux papiers du cardinal Gérard du Puy, conservés dans la collection de M. William Poidebard. Enfin l'ouvrage de M. Valois est rempli d'informations et de textes sur les productions (dont beaucoup étaient inconnues ou mal connues) auxquelles le schisme donna lieu : c'est là tout un côté de la littérature du XIV° siècle qui est fort heureusement mis en lumière.

IV.

LA COLONISATION DU CANADA 1

La France n'a généralement pas été heureuse en établissements coloniaux. Ceux qu'elle a fondés n'ont acquis qu'une importance restreinte, ou n'ont point eu d'existence durable. Il faut cependant faire une exception. Seul entre toutes les colonies françaises, le Canada, s'il n'est point resté la possession de la mère patrie, est devenu le berceau d'un peuple entier, appartenant à la France par son origine, ayant une existence propre, et manifestant des qualités spéciales qui le rendent digne du plus haut intérêt. Les Canadiens français égalent aujourd'hui en nombre la population des plus grandes de nos anciennes provinces. Leur patrie a véritablement mérité le nom qu'une prévoyance presque téméraire leur avait accordé avant qu'aucun essai de colonisation y eût été effectué, celui de NouvelleFrance.

Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'il s'est réalisé en dépit de toutes les circonstances qui semblaient le rendre impossible. Ce n'est point trop s'avancer que de dire qu'aucune autre colonie européenne ne s'est jamais trouvée dans des conditions aussi défavorables, qu'aucune autre n'a demandé, pour se soutenir et se perpétuer, de pareils miracles d'énergie, de persévérance et de dévouement.

Le Bas-Canada, la seule partie de cette région qui pendant plus d'un siècle ait été accessible à des colons européens, est en effet soumis à un climat des plus rigoureux : celui de la moitié septentrionale de la Suède et de la Russie peut seul, sur notre côté de l'Atlantique, en donner une juste idée. Le sol, de tout temps livré à la végétation forestière, ne pouvait être fertilisé qu'au prix des plus rudes labeurs. Enfin les forêts de cette portion du nouveau monde étaient peuplées de tribus fières, énergiques et belliqueuses, dont quelques-unes dépassaient en férocité tout ce qu'on a vu chez les nations les plus bar

bares.

1 Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVII° siècle, d'après beaucoup de documents inédits, par le P. Camille DE ROCHEMONTEIX, S. J. Paris, Letouzey et Ané, 1895, 3 vol. in-8° de LXIV-488, 536 et 694 p.

I.

Ce fut dès le temps de François Ier que la France prit possession du Canada. Un habile et hardi navigateur, Jacques Cartier, envoyé en 1534 pour explorer le pays, remonta le fleuve Saint-Laurent jusqu'au point où la navigation devenait impossible à ses navires. Déjà, dès le règne précédent, les marins français avaient appris la route de Terre-Neuve et des côtes voisines. La pêche de la morue continua à les y attirer, et ils y joignirent souvent un commerce d'échange avec les tribus indigènes qui leur fournissaient des pelleteries. Rien ne semblait indiquer l'utilité de fonder sur un sol ingrat quelques postes permanents; aucune puissance européenne ne semblait disposée à nous y devancer. Jusqu'à la fin du siècle les troubles intérieurs ne laissèrent pas le loisir de songer à des créations lointaines. Le règne de Henri IV ayant rendu à la France une vie nouvelle, des esprits entreprenants concurent le projet d'établissements en Amérique ; ils trouvèrent auprès de ce grand monarque des encouragements et des secours. Quelques essais furent d'abord tentés en Acadie. Enfin, en 1608, Samuel de Champlain, à qui de précédents voyages avaient donné une connaissance approfondie des ressources du pays, fonda. à Québec l'établissement permanent qui fut la base et le centre de la colonisation française au Canada.

Peut-être serait-ce aller loin que de faire de Champlain un homme de génie. Mais il est certain qu'il était doué au plus haut degré des qualités nécessaires au fondateur d'une semblable colonie. D'un esprit sage et conciliant, d'une énergie qu'aucune difficulté n'effrayait, d'une persévérance qu'aucun désastre ne lassait, il semblait avoir toujours devant les yeux l'avenir réservé à cette petite colonie, dont l'existence paraissait bien précaire, et dont il était le seul à prévoir les futures grandeurs. Les ressources dont il pouvait disposer étaient malheureusement fort restreintes. Une compagnie de commerce s'était chargée de transporter au Canada des colons français et de subvenir à leurs besoins les plus essentiels; elle obtenait en échange le monopole du commerce des fourrures. Tous ses soins se concentraient sur cette seconde partie de ses attributions, la seule dont elle pût espérer des bénéfices, et elle s'acquittait fort négligemment de sa mission colonisatrice. Vingt ans après la fondation de Québec, ce poste n'avait encore d'importance que pour la traite des pelleteries, et, parmi les Français qui s'y étaient fixés, un seul avait tenté d'en cultiver le sol chose bizarre, c'était un Parisien de naissance, nommé Hébert, apothicaire de son état. Mais la direction du gouvernement était enfin venue aux mains du cardinal de Richelieu. Pas

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