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tandis qu'il reprenait la direction de Toulouse, il faisait partir à marches forcées vers la Bigorre un de ses plus vaillants capitaines, Arnaud-Raymond de Castelbajac, et lui donnait quelques compagnies pour se défendre. C'est peut-être à cela que la Bigorre et la riche plaine de Tarbes durent leur salut, étant toutes les deux fort menacées lorsque le Prince Noir brûla Plaisance et avait déjà un pied dans la contrée. A Toulouse, Jean Ier rallia le connétable Jacques de Bourbon et le maréchal de Clermont. Ils allaient ensemble essayer de barrer le chemin à l'invasion, lorsque la défection de plusieurs compagnies génoises et lombardes, qui servaient sous leurs étendards, vint mettre le désordre dans leurs troupes. Trop faibles alors pour arrêter l'invasion, Jean er et ses collègues durent se borner à protéger Toulouse et laisser passer le torrent 1.

Ayant pu enfin reconstituer assez bien ses contingents, le comte d'Armagnac se mit en route vers le Lauraguais ?, dans le dessein de rencontrer l'ennemi et de lui faire expier ses dévastations innombrables. Mais, mal instruit de sa marche, il le laissa échapper. Celui-ci en effet, apprenant par des prisonniers l'approche de Jean ler 3 tandis qu'il revenait sur ses pas, se résolut à suivre un chemin différent de celui qu'il avait adopté pour envahir le Languedoc et se dirigea vers Limoux, La Bastide-deSerou, Mazeres et l'abbaye de Boulbonne, où le comte de Foix vint le saluer, Carbonne, où il repassa la Garonne, Rieumes et Lombez, continuant à tout ruiner devant lui. Jean ler, lui aussi, dès qu'il sut ce changement de direction, se hâta de rebrousser chemin et, arrivant de Toulouse par Mauvezin et Gimont, entra à Lombez le 20 novembre, comme le Prince Noir ne faisait que d'en sortir. Les deux adversaires n'étaient plus séparés que par la largeur de la Save, dont les eaux baignent les murs de la cité; durant la nuit, les feux des deux camps éclairaient les rives

1 Cf. Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 653. Dom Vaissete y défend le comte d'Armagnac contre les reproches d'inaction que certains historiens lui adressaient déjà et nous le montre, préparant activement une armée, à Agen au mois de mai, à Moissac le 8 juin, et de nouveau campé à Agen le 6 octobre. On a le droit d'être étonné que le P. Moisant n'ait pas profité de ces informations et, en ne disant rien des efforts tentés par le comte d'Armagnac contre l'agression imminente du Prince Noir, ait laissé, lui aussi. croire à son inaction.

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opposées. Une bataille était imminente. Mais le lendemain matin, dès l'aube, Jean I crut plus prudent de se retirer à Gimont, sans qu'on sache bien le motif de cette retraite inopinée. Toutefois, vu son habituelle bravoure, il y a lieu de croire que cette décision lui fut dictée par des raisons graves et inéluctables, très probablement par des défections semblables à celles qui l'avaient déjà immobilisé à Toulouse. Le texte en effet de la lettre du Prince Noir à l'évêque de Winchester fait entendre que l'armée de Jean ler s'était débandée à Lombez plusieurs compagnies isolées furent surprises par lui, tandis qu'elles passaient devant Gimont, où Jean ler et ses fidèles avaient dû s'enfermer et où le Prince Noir les poursuivit aussitôt 1.

Durant toute cette journée et celle du lendemain, ce dernier resta en armes devant Gimont, espérant que le comte d'Armagnac sortirait et viendrait lui offrir la bataille. Mais les mêmes raisons qui avaient empêché toute rencontre à Lombez persistaient autant que jamais et ne permirent pas à Jean ler de s'aventurer en dehors de Gimont. Sur quoi le Prince Noir, de l'avis de son conseil, leva son camp et prit la direction de Bordeaux. A Mezin, le 28 novembre, son armée, gorgée de butin, se disloqua, et bien des chefs rentrèrent dans leurs manoirs des Landes 2. Le reste continua sa route vers Bordeaux, que l'on atteignit le 2 décembre. Tous laissaient derrière eux les souvenirs les plus néfastes. Depuis les invasions barbares, jamais le Midi n'avait vu de pareils fléaux s'abattre sur lui, jamais le glaive et l'incendie n'y avaient promené de tels ravages 3.

Jean le s'appliqua tout d'abord à prévenir le retour de pareils désastres, en pressant énergiquement la restauration des rem

1 Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 654. Le P. Moisant assure (p. 42) que les Anglais devancèrent le comte d'Armagnac à Gimont. La lettre du Prince Noir établit au contraire que Jean I arriva à Gimont avant lui. Le Prince l'y suivit de très près; mais il trouva la ville occupée et dut se borner à camper dans la plaine de la Gimone en vue de la cité. C'est à son arrivée qu'il maltraita si fort les compagnies qui s'étaient séparées de Jean I.

Le Prince Noir en Aquitaine, p. 43.

3 Ces ravages eurent en général pour théâtre les campagnes et les villes ouvertes ou peu fortifiées. Le Prince Noir ne s'embarrassa guère d'assiéger et prendre des places fortes. Il passa, rapide et terrible comme une avalanche. Du reste, la plupart des villes murées avaient conservé leurs capitaines et leurs garnisons. Les Sceaux guscons, t. II et III, mentionnent un grand nombre de ces capitaines en 1355 et 1356. Jean Ier n'avait pas dégarni la région; et s'il ne put éviter tous les désastres, du moins les circonscrivit-il un peu en maintenant presque partout les garnisons.

parts dans les villes encore trop accessibles et en activant le relèvement des localités ruinées par l'invasion. Le 29 décembre il approuvait les mesures adoptées par les consuls de Narbonne pour rebatir leurs faubourgs incendiés. Le 15, il faisait nommer par le sénéchal de Carcassonne des commissaires chargés de veiller à la construction immédiate des fortifications dans quelques villes de l'Albigeois qui, malgré les ordres donnés durant l'année précédente, n'avaient pas remis en état leurs murailles. Le 20, Nimes prenait également, à son instigation, diverses mesures de sécurité. Durant le printemps de 1356, il continua à donner ses soins à cette œuvre de défense et de protection. En février, il accorde des secours en argent aux villes de Castelnaudary et d'Alzonne pour les aider à renaître de leurs cendres. Le 25 avril, il somme Montpellier d'avoir à réparer ses remparts. Il favorise également le relèvement d'Avignonnet, Montgiscard, Carbonne. En même temps, il obtient des États des diverses sénéchaussées de Languedoc une nouvelle levée de contributions, en vue de la guerre qui déjà reprenait 1.

Mais cette fois, c'est surtout l'Ouest et le Nord qu'elle menacail. Jean Ier, dont le regard vigilant étudiait tous les mouvements du Prince Noir par crainte d'une autre sanglante chevauchée, avertit le roi des préparatifs belliqueux qu'on faisait à Bordeaux. De son côté, sachant qu'Édouard cherchait à s'attacher le roi d'Aragon, il traverse heureusement ces pourparlers et conclut avec le monarque un traité d'alliance qui met la flotte aragonaise au service de la France en vue d'une expédition alors projetée sur les côtes anglaises 2. Il lui fallut aussi chercher à déposséder les Anglais des positions qu'ils avaient reprises en décembre 1355 et janvier 1356. A la suite du succès de leur invasion, ils n'avaient eu qu'à se présenter pour qu'une foule de villes, conquises par le comte d'Armagnac en Agenais, Quercy, Périgord, leur ouvrissent leurs portes. Castelsagrat, Brassac, Lavardac, Tonneins, Monrevel, le Mas-d'Agenais, Mirabeau-de-Quercy, Rocamadour, Clairvaux près Rodez et beaucoup d'autres furent ainsi réoccupés par les Anglais, presque sans coup férir 3. De nombreux gentilshommes, qui s'étaient

1 Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 655-662. Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 660.

3 Ibid., p. 663, et le Prince Noir en Aquitaine, p. 44-46.

ralliés à Jean Ier après ses victoires de 1354, revinrent également aux Anglais 1. Grâce aux subsides des États du Languedoc, le comte d'Armagnac se mit alors en mesure d'enrayer ce mouvement funeste à la cause nationale et réunit une nombreuse armée.

Cependant d'inquiétantes rumeurs commençaient à prendre pied. On disait partout que les préparatifs de Bordeaux étaient dirigés contre le Languedoc et annonçaient une seconde invasion. Terrifiés par cette perspective, une foule de gens émigraient déjà et passaient en Espagne. Jean ler dut rassurer les esprits et proscrire sévèrement toute sortie du royaume (1er juin 1356). Mais les mêmes bruits persistaient toujours, et l'alarme devenait de plus en plus vive. Le 4 juillet, les consuls de Montpellier écrivaient à ceux de Nimes qu'une invasion anglaise était imminente 2.

Elle approchait en effet beaucoup; seulement, c'est d'un autre côté qu'elle devait porter ses pas. Le 6 juillet, Édouard quittait Bordeaux et s'avançait jusqu'à la Réole. A cette nouvelle, l'émoi fut grand dans le Midi. Le comte d'Armagnac ordonna aussitôt d'enfermer tous les vivres disponibles dans les places fortes 3. Il allait lui-même marcher à la rencontre de l'ennemi, lorsqu'on apprit qu'il se dirigeait vers le Poitou et la Normandie, afin d'aller donner la main aux partisans de l'Angleterre alors soulevés dans cette dernière région. Rassuré désormais en ce qui le concernait, Jean Jer permit à quelques-uns de ses gentilshommes d'aller combattre l'Anglais dans l'Ouest sous la bannière royale. Déjà il se remettait à l'œuvre de réparation et de restauration, lorsqu'il apprit le désastre de Poitiers et la captivité du roi (19 septembre 1356). L'un de ses chevaliers, Arnaud d'Espagne, seigneur de Montespan en Comminges, était au nombre des prisonniers de cette néfaste journée 5.

La douleur qu'il éprouva de ces tristes événements peut se mesurer à l'activité dont il fit preuve, dans sa sphère, pour remédier au mal. Tout d'abord, subvenant aux nécessités les plus

Cf. les intéressantes lettres du Prince Noir au connétable de Bordeaux, en avril et mai 1356, publiées par le P. Moisant, en pièces justificatives, p. 175-196. 2 Hist. gen. de Languedoc, t. IX, p. 663-664.

3 Hist. gen. de Languedoc, t. IX, p. 666.

4 Sceaux gascons, p. 276-277.

Ibid., p. 277.

immédiates du royal vaincu, il fit parvenir à Bordeaux une quantité de meubles, de vaisselle d'argent et de provisions de bouche. Puis, de Moissac où il se trouvait alors (1er octobre 1356), il convoqua les États de Languedoc et envoya promptement une foule de messagers chargés de voyager nuit et jour pour transmettre jusqu'aux extrémités les plus reculées de la province les lettres de convocation. Nimes les reçut le 7 et nomma ses députés le 9. Le 13, les États se réunissaient à Toulouse. Tout le Midi y était représenté, sauf l'Agenais et le Périgord, que les Anglais détenaient en grande partie, et le comté de Foix, où Gaston-Phébus, à cause des inimitiés de sa maison avec celle d'Armagnac, observait une réserve hostile. Jean Ier présida l'assemblée, et, par ses discours qu'enflammait le zèle de la cause nationale, la décida à de nouveaux et importants sacrifices pour la continuation de la lutte et la délivrance du roi 1. D'un commun accord, la noblesse et les villes votèrent, le 21 octobre, les sommes nécessaires à l'entretien de 7,000 cavaliers avec deux chevaux chacun, et de 2,000 fantassins pendant un an, et, en outre, édictèrent de nombreuses dispositions pour répartir les impôts nouveaux et en assurer le recouvrement. Quant au clergé, il déclara ne pouvoir rien faire sans une autorisation spéciale du Saint-Siège. Le comte d'Armagnac se rendit peu après à Avignon pour l'obtenir. Il s'efforça aussi, faisant droit aux plaintes exprimées par les États, de corriger certains abus. De plus, comme les subsides votés devaient suffire à tous les besoins, il considéra qu'il était de son devoir de supprimer certaines tailles extraordinaires précédemment établies et notamment celle de six deniers pour livre sur toute marchandise vendue, afin de ne pas charger les peuples plus qu'il n'était juste ou nécessaire (26 octobre 1356). De concert avec lui, les États décrétèrent encore que, pour marquer le deuil général, il ne serait permis à personne, tant que le roi serait prisonnier, de porter des bijoux en or ou en argent, ni des perles, ni des étoffes précieuses, et que les bals, jongleries et autres réjouissances publiques seraient supprimés. Enfin, avant de se séparer, ils prirent une autre mesure qui put paraître une marque de défiance envers le comte d'Armagnac, mais où il ne faut voir

Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 667-668.

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