Slike stranica
PDF
ePub

sans doute que la curiosité bien explicable de savoir où passerait l'argent octroyé : ils nommèrent deux chevaliers choisis parmi les députés de la noblesse et chargés d'assister le comte d'Armagnac dans ses conseils 1.

[ocr errors]

Jean Jer n'accepta pas ces coadjuteurs ou ces surveillants et se plaignit au roi. Celui-ci répondit de Bordeaux en lui confirmant ses pouvoirs de lieutenant général et en cassant la décision des États, déclarant qu'il veult et entend que le conte d'Armignac soit son lieutenant souverain sur toutes aultres personnes et mande qu'il en uze partout, nonobstant quelconques ordonnances, réformations ou commissions faictes et baillées au contraire par les Estats du pays de Languedoc 2. De ce chef, toutes les oppositions durent se taire, et Jean ler, réintégré dans le plein et entier exercice de sa lieutenance, passa l'hiver de 1356-1357 à réaliser les projets volés aux États. Dès les premiers jours du printemps (mars 1357), il est à Avignon, négociant l'imposition du clergé, s'informant des progrès des pourparlers alors engagés pour la paix par la cour pontificale, et tenant le pays au courant de cette importante affaire par de nombreux messages aux bonnes villes. Une trève ayant été enfin signée à Bordeaux le 27 mars, il se transporta sur le littoral de la Méditerranée et était à Agde le 15 avril 3.

Rentré bientôt après à Toulouse, il y convoqua de nouveau, vers le 5 ou 6 mai, les États de la province. Sur sa demande, l'assemblée ordonna la continuation du subside extraordinaire voté en octobre précédent jusqu'à la paix et qui avait reçu le nom de capage ou capitation, parce qu'il reposait sur le cap ou la tête de chaque chef de famille, à raison de trois petits deniers tournois pour chacun d'eux par semaine, avec cette clause que les nobles, ne prenant pas une part personnelle à la guerre, paieraient un capage double. La raison de la continuation du capage en dehors du temps primitivement fixé était d'ailleurs trop évidente d'un côté, les Anglais ne désarmaient pas et l'on devait prévoir une reprise prochaine des hostilités; de l'autre,

1 Hist. gen. de Languedoc, t. IX, p. 670. Dom Vaissette exprime un doute sur cette nomination. Mais le document dont nous allons parler ne permet plus d'hésiter.

2 Arch. des Basses Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezensac, no 112. 3 Hist. gen. de Languedoc, t. IX, p. 671.

les compagnies de routiers, que la paix rendait libres, commençaient à se répandre dans la province, et il était nécessaire de se maintenir sur le pied de guerre pour empêcher leurs exactions.

Mais le peuple n'entrait pas dans ces motifs. Aussi, quand on apprit à Toulouse que le capage allait continuer, le Midi bougea, et une violente émeute éclata. Jean ler et ses officiers, assiégés dans le château Narbonnais, qui était la citadelle de Toulouse, et d'ailleurs surpris très à l'improviste, durent céder à la force de l'ouragan et s'évadèrent comme ils purent. L'insurrection demeura maitresse de Toulouse pendant plusieurs jours et même, semble-t-il, jusque vers la mi-juin. Le comte d'Armagnac, qui s'était retiré à Verdun-sur-Garonne, se trouvait encore en effet dans cette ville les 7 et 17 juin, après avoir fait un voyage à Avignon dans les derniers jours de mai. Dans la soirée du 17 juin, il rentra à Toulouse et fit aussitôt saisir tout ce qu'il put prendre de coupables, une partie d'entre eux ayant pris la fuite. Mais, distinguant sagement dans leur nombre les véritables agitateurs de ceux qui avaient eu seulement la faiblesse de se laisser entraîner, il garda les premiers, dont il fit exemple; quant aux seconds, après quelques jours d'emprisonnement, il les mit en liberté (juillet 1357) 1.

Au reste, il n'y eut que trop occasion d'employer aux combats les fonds provenant du capage. L'extrême Midi, la Provence surtout, étaient alors désolés par les routiers, qui rançonnaient à discrétion ce pays regorgeant de richesses et où la guerre n'avait pas sévi depuis fort longtemps. On signalait principalement, et avec la plus vive horreur, les bandes commandées par un aventurier, Arnaud de Cévolles, surnommé l'Archiprêtre, parce que le bruit courait qu'il avait été clerc jadis et avait même possédé un titre d'archiprêtre quelque part. Devant les pillages et les violences sans nombre dont ces compagnies se rendaient coupables, un cri universel s'éleva et, d'instinct, chacun se tourna vers le grand défenseur du parti national, Jean Ir. Le pape, menacé dans Avignon, et le sénéchal de Provence l'appelèrent à leur secours et conclurent avec lui un traité d'alliance (13 septembre 1357) 2.

1 Hist. gen. de Languedoc, t. IX, p. 672-673.

2 Ibid., t. IX, p. 673.

Dès cet instant, le comte d'Armagnac se mit en devoir de constituer une forte armée, et le jour même où il signait le traité à Avignon, il prenait à sa solde divers gentilshommes 1. Il revint aussi dans le Languedoc et en Gascogne faire appel à ses fidèles. En peu de jours, sa voix ayant été entendue, il réunit des forces imposantes et se mit en marche vers le Rhône. Le 3 octobre, il entrait à Nimes. Vers le 6 ou le 7, il était à Avignon et demeurait quelque temps aux environs pour prendre ses dernières dispositions 2. On le trouve encore à Beaucaire le 6 novembre. Le roi et la reine de Sicile, souverains de la Provence, lui avaient donné les chasteaulx de Pertus, de Maraignes, de las Penes et de Sador en la conté de Provence. » Lui-même s'était engagé à conduire en Provence 1,000 hommes d'armes à cheval et 1,500 forrageurs et à occuper Arles et Tarascon 3. Ce programme allait s'accomplir lorsque, sentant venir sur eux le châtiment avec Jean Ier, les routiers, qui le connaissaient bien pour avoir servi parfois sous ses ordres, évacuèrent la Provence et, remontant le Rhône en toute hâte, coururent se réfugier loin des coups du comte d'Armagnac, en Bourgogne 4.

[ocr errors]

D

Durant son absence, et afin que l'intérêt public n'eût pas à en souffrir, Jean ler avail confié le soin de son gouvernement à deux de ses sénéchaux, Barbazan et Rabastens. C'est aussi dans le même temps que le roi, pour reconnaître ses services, lui donna divers revenus féodaux confisqués sur quelques seigneurs de l'Agenais et du Quercy qui s'étaient jetés dans le parti anglais 5. L'expédition de Provence apporta également une amélioration

1 Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezenzac, no 143.

2 Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 675. Rappelons aussi que, pendant ce séjour autour d'Avignon, quelques soldats de Jean ler ayant commis diverses déprédations, celui-ci, après vérification du fait, et sans pitié pour les coupables, les condamna à mort et les fit exécuter.

3 Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezenzac, n° 147, 150, 171: la date de ce dernier acte est 1367 dans le manuscrit; mais elle est fautive, comme le prouve le rapprochement avec les n° 147 et 150, et il faut lire 1357. 4 M. Molinier, dans la note où il complète si savamment le texte de dom Vaissete sur cette expédition de Provence, dit qu'on ignore « la cause du départ subit du comte d'Armagnac de la région du Rhône. Mais cette cause nous semble tout indiquée dans ce que nous apprend dom Vaissete de la fuite de l'Archiprêtre en Bourgogne. Tout simplement, le combat n'eut pas lieu, faute d'adversaires.

D

Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezensac, n° 144, 145.

appréciable dans ses finances par les crédits qu'il obtint du Saint-Siège et du roi de Sicile. Ce dernier notamment lui assura le paiement annuel de 4,000 florins d'or, garanti sur les revenus de la ville et bailliage d'Aix et lieux voisins jusqu'à acquittement complet de la somme de 30,000 florins d'or qu'il lui avait promise 1.

Sur ces entrefaites, Jean Ier, rentré à Toulouse, résigna sa charge de lieutenant général entre les mains du roi. Le motif de sa décision, entièrement inconnu, a donné lieu à plus d'une conjecture. Mais, si l'on se rappelle les ferments d'opposition qui se manifestèrent contre lui ou ses officiers aux États d'octobre 1355 et pendant l'émeute de mai 1356, on peut croire qu'ils n'avaient fait qu'augmenter avec les mesures sévères, par conséquent impopulaires, qu'il dut prendre peu après. Ce qui témoigne aussi de l'existence et de la force relative de cette opposition, c'est que, pour lui en imposer davantage, le roi nomina son propre fils, Jean, comte de Poitiers, à la lieutenance générale du Languedoc et des provinces adjointes (8 janvier 1358) 2. Mais le prince était fort jeune et sans expérience. Jean Jer demeura encore dans le Midi quelque temps pour l'assister dans ses débuts. En janvier 1358, on le trouve tour à tour à Avignon et à Castel-Sarrasin. Il se rendit ensuite en Normandie, où le Dauphin, régent du royaume, lui confia la direction de la lutte contre les Anglais 3. Le suivre dans ces lointains parages serait notablement sortir du cadre de ce travail. Nous ne dirons pas autre chose par conséquent de cette expédition en Normandie.

Au reste, il n'y demeura pas longtemps. En mai-juin 1358, il parcourt les diverses localités du comté de Gaure et en prend personnellement possession 4. Dès ce moment, il figure partout aux côtés du comte de Poitiers et devient son conseiller le plus intime. Le 12 août, à Albi, il obtient de lui un arrêt portant que nul ne fût mis en possession du comté de Bigorre, sur lequel le comte d'Armagnac élevait des prétentions du chef de Mathe de

I Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezenzac, n° 147.

2 Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 676. Les lettres du roi, datées de Windsor, mentionnent formellement la démission du comte d'Armagnac.

3 Id, ibid.

Bibl. nat., coll. Doat., t. CXCI, p. 239-272. L'acte de donation du comté de Gaure était, nous l'avons vu plus haut, de 1354.

T. LIX. 1er JANVIER 1896.

5

Béarn, son aïeule 1. Le 15 novembre, il est à Gimont, toujours avec le comte de Poitiers 2. Durant cet automne de 1358, les Anglais rompirent la trêve de divers côtés et quelques-unes de leurs compagnies menacèrent même le Languedoc. En décembre, Aymeri de Narbonne, sénéchal de Beaucaire, décréta tout un système de signaux pour avertir les populations de l'approche de l'ennemi. Ces craintes se réalisèrent sur quelques points, et l'ennemi prit notamment Saint-Julien, près Lunel 3.

Jean Ier était alors le seul véritable lieutenant général du Languedoc. Son passé, sa connaissance du pays et des hommes l'eussent imposé au comte de Poitiers, quand bien même ce dernier ne se fût pas senti attiré vers lui par des sympathies évidentes. Gaston-Phébus, comte de Foix, de plus en plus outré de cette prépondérance marquée de son rival, s'en prit au jeune prince et lui déclara la guerre, après avoir toutefois envoyé au roi des députés pour lui protester qu'il armait, non contre lui, mais contre le comte de Poitiers, et ajouter qu'il mettrait bas les armes si le roi enlevait la lieutenance du Languedoc au prince et l'en revêtait lui-même. Or, il était fort riche, n'ayant point jeté son argent dans les luttes précédentes auxquelles il n'avait pris presque aucune part. Grâce à la prospérité de ses finances, il enrôla sous sa bannière bon nombre de compagnies qui cherchaient fortune et entra aussitôt en campagne (vers l'Épiphanie de 1359, 6 janvier). Pour ses débuts, il s'empara des châteaux d'Auterrive et de Cintegabelle et les réduisit en cendres 4.

En février et mars, la lutte se ralentit. Le comte de Poitiers profita de ce répit pour réunir les États du Languedoc à Montpellier, le 25 mars 1359. Jean Ier y parut avec lui et inspira toutes les décisions. L'assemblée vota un impôt sur le sel payable jusqu'à la Noël et délégua divers receveurs pour le prélever. Touchés aussi du malheur national qui faisait du roi le captif de l'Angleterre, les États, dans une réunion d'octobre ou novembre 1359, avaient déjà député, près de l'infortuné souverain, quelques-uns de leurs membres chargés de lui porter leurs

1 Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezensac, no 146.

2 Hist. gén de Languedoc, t. IX, p. 689.

3 Ibid., p. 692.

Ibid., p. 699. Il brûla également l'hôpital Sainte-Catherine des Roigneux ou Lépreux, dans les faubourgs de Toulouse.

« PrethodnaNastavi »