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traitaient encore de « cher frère, » ainsi que le prouve une lettre du 9 octobre, adressée par Gaston-Phébus à Jean ler 1. Le comte de Foix y accuse son adversaire de menées secrètes contre lui près de la cour anglaise de Bordeaux. Malheureusement, il est impossible aujourd'hui de contrôler cette assertion. Le fait serait-il vrai qu'il n'y aurait pas à s'en étonner autrement. Car ce ne serait pas, il s'en faut de beaucoup, le premier exemple d'esprits assez déliés et assez diplomates pour attacher, momentanèment du moins, à leur cause d'anciens ennemis qui euxmêmes, en leur témoignant des sympathies plus ou moins sincères mais effectives, espèrent les gagner et se faire d'eux des amis. En réalité, nous verrons plus loin combien le Prince Noir chercha à rallier à lui le comte d'Armagnac, et il peut parfaitement se faire que, par le sentiment dont nous venons de parler, il l'ait, en réalité, quelque peu secouru dans la circonstance présente. Mais cela n'enlève rien au caractère de la lutte, tel que nous l'avons signalé plus haut, et qui mit du côté de Jean Ier tous les plus dévoués partisans de la France dans le Midi.

Elle fut d'ailleurs désastreuse pour le comte d'Armagnac. La rencontre des deux antagonistes eut lieu à Launac, non loin de l'Isle-Jourdain. Après une mêlée des plus ardentes, les com

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1 Voici le texte gascon de cette curieuse lettre, tel que nous l'a conservé le président Doat dans sa collection, t. CXC, fo 326: Car fray, Nos avem vistes vostres letres, de las quaux vos regratiam. Car are connexem que vos nos estimats cum hom deu far à son bon amic. Totes bets (toutefois), auguns de vostres parts et tot le mon nos dit que no es vostre entente de tenir nos la pats; auts ac (au contraire) es de tremeter entaux Anglex mossen Bertucat de Labrit (Albret) ab d'autres per far guerre sus nostre païs La quau cause, car fray, nos no creirem que ac vissem, gardan la dite pats e lo gran segramen que feit n'auets e la petite occasion que ayes. Car fray, ades, quant aqueste letre fo escriute, ere bienut a nos mossen Johan de Bilh, lo quau nos a dit mot de grans causes, lasquaus no podem escriuer de present. Mas quant lo prior de Madirua et Mauri de Birua bieran à nos, nos los y diram totes, et aquets las bos reportaran. Car fray, Diu sie garde de bos. Escriute a Pau le nau jorn de octobre. Lo comte de Foix. Et au-dessus est escript : « à nostre car fray lo comte d'Armanhac. Quelques notes sur les personnages

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mentionnés dans ce document ne seront peut-être pas inutiles. Jean de Bilh nous est inconnu son nom a été fort probablement mal orthographié par Doat. Maurin de Biran était un bourgeois d'Auch qu'on retrouve maintes fois dans les textes entre 1360 et 1380. Bertucat ou Perducas d'Albret avait longtemps commandé des compagnies de routiers pour le compte des Anglais; il était l'un de leurs plus redoutés capitaines; Jean Ier l'avait enrôlé avec plusieurs autres Albrets. Quant au prieur de Madiran, son nom ne nous est pas connu : Madiran (Hautes-Pyrénées) était le siège d'un prieuré cluniste en RivièreBasse, pays appartenant au comte d'Armagnac. La date de 1362 n'est pas dans le manuscrit. Mais elle ressort avec netteté des faits eux-mêmes.

pagnies du comte de Foix l'emportèrent. Plus de neuf cents prisonniers restèrent en leurs mains, et, parmi eux, presque tous les chefs, c'est-à-dire Jean Ier, les comtes de Coinminges, Pardiac et Aure, le sire d'Albret et la plupart des siens (5 décembre 1362) 1. Les captifs furent aussitôt conduits à Foix.

Il convient de reconnaitre que le vainqueur agit, sous certains rapports, en bon gentilhomme avec tous ces gentilshommes. C'était l'hiver, et la prison, autant que le froid, pesait lourdement à ces natures si actives. Aussi, dès le 16 décembre, les prisonniers demandèrent-ils de pouvoir sortir de Foix et d'être envoyés en d'autres lieux du comté tels que Pamiers et Mazères et d'y avoir la liberté de chasser et se promener durant tout le jour, du soleil levant au soleil couchant; ils s'engageaient d'ailleurs à ne pas franchir dans leurs courses les limites du comté de Foix, et à rentrer chaque soir au lieu assigné pour leur demeure, le tout sous des cautions variant, suivant l'importance du personnage, de 200,000 à 50 ou 60,000 florins d'or 2. Le 23 janvier 1363, les comtes d'Armagnac et de Comminges, encore détenus à Foix, cautionnèrent tous ces engagements 3.

En même temps, Jean ler entrait en pourparlers avec GastonPhébus en vue de la paix à faire. Ils furent longs et difficiles 4. Les obstacles portaient principalement sur la quotité des rançons des prisonniers. Mais il fallut bien en passer par ce que voulut le comte de Foix. Bref, l'accord définitif fut signé le 13 avril 1363, et solennellement juré le même jour par les deux parties dans l'église abbatiale Saint-Volusien de Foix sur la sainte Eucharistie, que tenait entre ses mains Raymond Étienne, dominicain du couvent de Pamiers 5. On aura une idée des exigences, qui avaient fait trainer la paix en longueur, lorsque nous dirons que, pour le seul comte d'Armagnac, la rançon fut fixée à

1 Hist. gén. de Languedoc, t. IX, p. 747.

2 La Collection Doat, t. CXCV, fos 27-115, nous a conservé plusieurs de ces engagements. Tous ces actes sont rédigés le 16 décembre in loco de Campo Ventoso propè Fuxum et n'étaient valables que jusqu'au IV dimanche après Pâques.

3 Collect. Doat, ibid.

4 Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic Fezensac, no 426, acte signalant un caier de pappier contenant huict feuilletz, dont les sept escripts, où il y a plusieurs demandes faictes par le conte de Foix au conte d'Armignac, luy estant prisonnier aud. conté de Foix, et les responses faictes par led. d'Armignac auxd. demandes.

Bibl. nat., collect. Doat, t. CXCV, fo 258.

300,000 florins d'or, somme des plus considérables pour le temps. Délivré du comte de Foix, Jean Ier dut se préoccuper de se créer des ressources pour payer ce qu'il lui devait. C'est ici que nous allons retrouver l'action du Prince Noir. Avec les vastes contrées de l'ouest, du sud-ouest et du centre de la France, que le traité de Brétigny lui avait cédées, le roi Édouard III avait constitué une principauté particulière sous le titre de principauté d'Aquitaine, et l'avait donnée en apanage à son fils aîné, tout en la conservant toujours sous la dépendance de la couronne d'Angleterre. Le Prince Noir, presque souverain dans sa principauté, chercha, dès les premiers jours, à se concilier tous les cœurs et à effacer le plus possible les souvenirs des anciennes haines. Tout d'abord, nous le voyons faire un voyage à Avignon, près de la cour pontificale, qui s'était montrée fort attachée à la cause française, sous des apparences obligatoires d'impartialité. C'est de là, à Villeneuve-lez-Avignon, le 13 mars 1362, qu'il date sa lettre annonçant la paix générale et l'érection de la principauté d'Aquitaine 1. C'est aussi vers ce même temps. (1362) qu'il semble bien, comme nous l'avons rappelé plus haut, avoir voulu favoriser son grand adversaire, Jean Ier, contre le comte de Foix et, par lui, tous ceux si nombreux qui lui tenaient de près. Quant aux concessions et ménagements divers apportés envers les villes et leur bourgeoisie déjà très puissante, et à la création d'une administration habile et judicieuse, tout cela est aujourd'hui très bien mis en lumière, et nous n'y insisterons pas autrement 2.

1 Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezensac, n° 211; la date indiquée dans le document, 1393, est fautive; il faut lire 1362.

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2 Cf. les intéressants chapitres V, VI et VII du Prince Noir en Aquitaine. Il y a néanmoins quelques endroits de ces chapitres qui nous semblent appeler des observations. P. 89, tout ce qui est dit du dépeuplement de certaines contrées, de la disparition des villes, et de leurs habitants se transformant en bandes de brigands, est entièrement à revoir: cf. Les Livres des comptes des frères Bonis déjà cités. — Ibid., il faut noter que l'emplacement des bastides ne fut pas toujours et nécessairement choisi pour la défense, comme on paraît le croire. Plusieurs bastides furent en effet élevées dans l'intérieur des terres, loin des frontières, parfois même sans autre enceinte que des exhaussements de terre plus ou moins bordés de fossés; ces sortes de bastides répondaient beaucoup plus à une idée commerciale qu'à des projets militaires; on les bâtissait, principalement à cause de la source abondante de profits que le seigneur constructeur, roi, évêque ou gentilhomme, espérait y trouver par la mise en valeur des terrains avoisinants possédés par lui, par les rentes féodales des futurs habitants, par le développement du commerce,

L'année suivante, 1363, fut aussi consacrée à l'apaisement et à la conciliation. Le Prince Noir parcourt en pacificateur, du nord au sud, de Bordeaux à Tarbes, toute la Gascogne, avec une nombreuse et brillante cour. A Tarbes, Jean Ier, qui avait besoin de lui, le reçut avec un grand éclat. On peut lire dans Froissart comment il obtint par l'intermédiaire de Jeanne de Kent, femme du Prince Noir, une assez notable réduction de sa rançon de Launac près du comte de Foix, venu aussi à ces fêtes. Édouard se montre alors ostensiblement favorable au comte d'Armagnac, et celui-ci répond volontiers à ses avances.

Devant cette attitude si correcte et presque amicale, et voyant se produire en sa faveur une certaine détente, le prince crut enfin le moment venu de demander à ses nouveaux sujets le serment de fidélité. Mais là encore il ne procède qu'avec une grande prudence, pas à pas, entrainant les uns par les autres. C'est ce qu'établit clairement la longue et intéressante liste des hommages que lui rendirent les seigneurs et les villes, à des dates. successives et même assez éloignées parfois, du 9 juillet 1363 au 4 avril 1364 1.

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par les péages établis sur les foires et marchés, par les amendes, frais de justice et autres revenus policiers provenant de ce groupement même d'un certain nombre de familles. P. 90: « l'administration municipale appartenait au bailli, juge royal. » Erreur. Personne n'ignore que seuls les consuls, et, dans une certaine mesure, les jurats, avaient en main l'administration municipale. Les textes qui le prouvent sont aussi clairs qu'innombrables. Le bailli n'était appelé aux jurades que comme représentant de l'autorité exécutive et n'avait, hors certains cas prévus, que voix consultative. Ajoutons qu'il n'était pas seulement juge, mais aussi commissaire de police, huissier, gendarme, geôlier même quelquefois, etc., etc. P. 91 le Prince Noir, cédant à des récriminations de certaines municipalités, s'asbtint de créer des bastides. En réalité, quand le Prince Noir vint en Aquitaine (1362), l'époque de la fondation des bastides était close. Ces fondations, très nombreuses au XII° siècle et dans le premier tiers du xiv siècle, devinrent fort rares un peu avant 1350. Après cette date, nous ne croyons pas qu'on puisse en citer beaucoup. Cette question des bastides n'a donc pas pu causer de grandes inquiétudes au Prince Noir. P. 90: on a déjà signalé dans la Revue de Gascogne, 1895, p. 484, les erreurs géographiques et historiques qui s'y trouvent. P. 111: l'auteur mentionne la sénéchaussée du Bas-Armagnac;» nous pouvons lui assurer qu'il n'y a jamais eu de sénéchaussée de ce nom mais seulement une sénéchaussée d'Armagnac. Le « Bas-Armagnac» est une expression encore fort usitée, mais qui n'apparaît pas dans l'histoire avant le commencement du xvr* siècle; elle désignait et désigne encore un petit pays sis sur les confins du Gers et des Landes et maintenant célèbre par ses excellentes eauxde-vie.

1 Collection générale des documents français qui se trouvent en Angleterre, par J. Delpit, p. 66-121.

Le premier des jureurs fut Arnaud-Amanieu d'Albret. C'est son nom qui ouvre la liste, le 9 juillet 1363, à Bordeaux. Viennent ensuite, parmi nos grands feudataires gascons de l'ancien parti français le comte de l'Isle-Jourdain, 19 novembre, à Poitiers; Jean de Lomagne, sire de Fimarcon, 26 décembre; Arnaud, sire de Lavedan, 8 janvier 1364; Jean d'Armagnac, vicomte de Fezensaguet et de Bruilhois, le 20 janvier, tous à Agen. Gaston-Phébus prėta serment le 12 janvier aussi à Agen. Quant à Jean Ier, sa disposition d'esprit, en présence d'un tel acte à accomplir, est des plus curieuses à observer. Il ne peut se décider à sauter ce pas. Et tandis qu'un certain nombre de ses compagnons d'armes se soumettent à leur condition nouvelle, il hésite, il écrit au roi Charles V et sollicite ses ordres. Celui-ci, par lettres datées du Louvre le 25 novembre, répond, ne pouvant faire autre chose sans violer la paix de Brétigny, en lui mandant qu'il veuille faire foy et hommage de toutes les terres, qu'il tient de luy, au roy d'Angleterre, nonobstant qu'il soit entré en foy et hommage envers luy-mesme, dont il le quicte 1. » Néanmoins, Jean ler ne se rendit pas encore. Et ce fut seulement cinq mois après, bien au loin, à Angoulême, qu'il se présenta devant le Prince Noir pour remplir enfin ce devoir douloureux de l'hommage qui l'arrachait à la France. C'était le 2 avril, et il fut quasi le dernier à jurer obéissance à l'Angleterre après lui, la liste ne contient plus que huit noms de gentilshommes, tous assez obscurs.

Ayant ainsi subi la loi des faits accomplis, Jean Ier s'appliqua de nouveau à vivre en bons termes avec le Prince Noir. Celui-ci, du reste, ne travaillait pas moins à se l'attacher le plus possible. Il lui prête des sommes assez considérables pour l'aider à payer sa rançon à Gaston-Phábus 2. Il l'appelle dans ses conseils secrets, le nomme maistre de son ostel 3, » accorde diverses grâces importantes sur sa demande 4. En 1366, le paiement de la rançon de Launac, urgent de plus en plus, et les États du Rouergue en ayant voté une partie sur les représentations de la

Arch. des Basses-Pyrénées, Inventaire de Vic-Fezensac, n° 427.

2 Le Prince Noir en Aquitaine. Pièces justificatives, p. 208-210. M. Molinier, dans la note 3 de la page 769 (Hist. de Languedoc, t. IX), semble révoquer un peu ce fait en doute. Nous mentionnerons plus loin un acte qui le rend incontestable.

3 Id., ibid.

Biblioth. nat., Collect. Doat, t. CXCVI, for 97-100.

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