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rale dont ils apercevaient la souveraineté et dont ils proclamaient la nécessité? Nous l'ignorons, nous en doutons même. Ils appartenaient trop au dix-huitième siècle pour s'en séparer tout-à-fait.

En écrivant ces lignes, nous ne pouvons nous défendre de penser à l'étonnement qu'éprouverait en les lisant celui qui ne connaîtrait de notre ouvrage rien de plus que cette préface. Certainement, ce serait à ses yeux chose monstrueuse de voir présenter presque comme des moralistes ce Robespierre et ce Saint-Just, qu'il a entendu partout nommer comme les auteurs des crimes qui ont souillé le sol de notre France. C'est qu'il ne saurait pas que ces hommes furent, autant qu'ils le purent, les ennemis du philosophisme atheiste qui dépouilla les églises, du philosophisme colère et exagérateur qui fit les massacres de Lyon, de Toulon, et de Nantes; c'est qu'il ne saurait pas que ceux par qui ils furent tués les chargèrent de leurs propres crimes.

Mais comment pouvaient être reçues à la Convention les déclarations de Robespierre? quelle valeur pouvaient-elles avoir, pouvaient-elles conserver, en supposant même qu'il eût triomphé de tous ses adversaires? lorsqu'il était simple membre du comité de salut public, pouvaient-elles être prises pour plus que pour des opinions individuelles? et eût-il possédé seul le pouvoir tout entier, eût-il été dictateur, ces déclarations auraient-elles acquis un seul degré de plus en autorité réelle et durable? Ce sont là des questions graves et qui méritent d'être examinées. Il s'agit de savoir en effet si en quelque lieu, en quelque siècle, il est possible que les hommes obéissent à une morale qui leur serait donnée comme humaine seulement.

En effet, l'une des premières conditions d'existence de la morale est qu'elle soit accordée comme souveraine, ou comme absolument obligatoire. Il lui faut plus que des sanctions pénales; car celles-ci n'obligent que les corps, et ne peuvent atteindre que les actions publiques. Il est nécessaire qu'elle atteigne jusqu'aux pensées, qu'elle les gouverne et les règle; en un mot, il lui faut une sanction qui soit de nature à régner sur les consciences. Or, il n'y a point de différence, quant à la morale, entre la question de sanction et celle d'origine. L'une émane de l'autre.

Le philosophisme est loin d'être d'accord avec lui-même sur la source d'où peut émaner la morale: il lui en assigne quatre différentes, parmi lesquelles on est libre de choisir. L'une est la nature; l'autre est la convenance humaine; l'autre est le sens humanitaire; l'autre est l'invention

individuelle. Nous allons nous occuper de chacune de ces origines et voir à quel point elles constituent une sanction obligatoire.

La première de ces opinions appartient particulièrement au dix-huitième siècle, et c'est aussi celle qu'invoquent le plus souvent les orateurs de la Révolution, ainsi que nos lecteurs ont pu s'en assurer. Le mot de nature intervient à tout propos dans les théories philosophiques sur la législation. Or, le sens de ce mot n'était pas même fixé, on ne l'avait pas défini. Signifiait-il la nature en général? il est certainement pris quelquefois dans cette acception; mais, alors, qu'entendait-on par là ? Était-ce ce vis à Deo insita que reconnaissait le moyen âge, cette natura naturans dont on avait tant discuté dans l'école? Au moins, il est évident qu'on la douait de volonté et de bienveillance, qu'on en faisait une cause spontanée, qu'on la faisait agissante. On supposait donc Dieu, ou bien on essayait de remplacer ce nom de Dieu par un nom nouveau qui n'avait d'autre mérite qne d'être inintelligible pour le grand nombre, et de mettre la confusion dans la science générale. Dans les deux cas, l'emploi de ce terme était une puérilité. Évidemment tous ces penseurs profonds se payaient de mots. Croyaient-ils avoir chassé Dieu du monde, parce qu'ils en avaient changé le nom? comment ne voyaient-ils pas qu'accepter une cause initiale constamment agissante, douée de volonté et de bienveillance, c'était toujours reconnaître Dieu, c'était toujours admettre son influence sur les sociétés humaines, et même donner à celle-ci, dans les affaires de ce monde, une part bien plus grande que celle que lui avaient faite les catholiques, puisqu'entre cette volonté et nous ils ne mettaient aucun intermédiaire? En effet, selon le catholicisme, le monde où nous sommes est mu par des forces inintelligentes, mécaniques en quelque sorte, celles que l'on nomme naturelles; ce monde est notre domaine; l'homme y est appelé non pour lui obéir, mais pour être libre au milieu de lui, et y choisir de mériter ou de démériter devant Dieu et ses semblables, en acceptant ou en refusant la loi morale que Jésus-Christ nous a révélée afin qu'elle fût proposée et enseignée à tout enfant qui viendrait au monde. Le philosophisme, en supprimant tous ces intermédiaires, concluait évidemment à diminuer la liberté humaine. Mais ces philosophes se proposaient-ils, en employant le terme nature, d'indiquer seulement que la cause initiale n'avait pas de mémoire? Si telle était leur intention, que prétendaient-ils par là? Ils ravalaient l'homme en le plaçant sous la domination d'une force brute; ces

grands partisans de la liberté enseignaient une doctrine dont la dernière conséquence était ce fanatisme qui, depuis tant de siècles, immobilise l'Orient, et contre lequel ils avaient eux-mêmes écrit tant d'éloquentes pages; ils donnaient enfin à la morale une singulière sanction, en assurant au méchant que tous ses crimes seraient oubliés, que ses mensonges auraient force de vérité, et à l'homme vertueux que ses bonnes œuvres ne seraient pas même récompensées par un souvenir. En vérité, on s'étonne de l'inconséquence de ces hommes qui venaient pour exalter les plus nobles puissances de l'esprit humain, l'oubli de soi-même, le dévouement aux autres, la résignation à la faim, à la soif, à la douleur physique et à la mort, et qui, en même temps, leur proposaient pour logique celle du fatalisme qui rend le peuple esclave en Orient; celle du matérialisme, que l'instinct aristocratique avait inventée pour tuer l'Évangile. On s'étonne encore plus lorsque l'on voit que de si grands raisonneurs se soient perdus dans les mots au point de ne pas apercevoir un bien simple argument qui eût ruiné le dernier but que nous leur supposons pour l'usage du terme nature. Nous voulons parler de celui-ci : il est impossible que la cause initiale soit inférieure en quelque chose aux produits qu'elle a engendrés et qu'elle conserve; or, cette cause a créé et conserve l'homme, c'est-à-dire, quant au cas particulier, un être doué de mémoire et d'intelligence. Il serait donc absurde de supposer qu'elle fût elle-même sans intelligence et sans mémoire, etc. Nous pourrions parler encore longtemps sur le sujet dont nous venons de nous occuper; mais, ce que nous avons dit paraîtra sans doute suffisant, ou du moins ouvrira une carrière facile à parcourir et où l'on trouvera sans peine tous les vices que nous n'avons pas le temps de relever. Nous avons maintenant à examiner un autre aspect de la philosophie de la nature : c'est celui où l'on voulait que la morale émanât de la nature, c'est-à-dire de l'organisation humaine.

Ce système n'est pas soutenable; de quelque manière qu'on le prenne, il n'y a pas de moyens pour le défendre. Les argumens de fait suffisent pour le ruiner. En effet, bien que nos philosophes ne se soient jamais occupés de définir la morale, ce mot cependant emporte un sens qui est le même pour eux et pour nous, il emporte le sens d'une loi une et commune à tous qui oblige uniformément tous les hommes. Il est donc évident qu'elle ne peut sortir d'une origine qui ne donnerait naissance qu'à des instincts et à des appétits contradictoires. Voyons si nos philosophes de

a nature ont réussi à montrer que l'organisme humain peut engendrer quelque tendance d'où peut émaner une unité.

Nous avons vu, dans les préfaces précédentes, comment le matérialiste Hobbes a résolu le problème. Il n'admettait, dans les hommes, que des appétits animaux, et il prouvait que ces appétits les mettaient en guerre et les conduisaient à se détruire les uns les autres; d'où il concluait que, dans l'intérêt de leur conservation, il était nécessaire que l'un d'eux devînt maître afin de les discipliner. Dans cette doctrine, le roi est la loi, ou la morale vivante. Les libéraux du dix-huitième siècle ne pouvaient accepter cette conclusion ni les premisses dont elle était la conséquence rigoureuse; ils décidèrent donc que l'homme était naturellement bon et moral. On leur objecta qu'il y avait des méchans en grand nombre, qu'il y avait des cannibales de par le monde, que les Gaulois nos ancêtres sacrifiaient des victimes humaines, et qu'ils étaient même fortement soupçonnés d'avoir mangé leurs semblables, etc.; enfin, qu'il y avait sur la terre plusieurs morales différentes, et que chaque peuple suivait celle qui lui était enseignée, etc. D'abord nos philosophes se bouchèrent les oreilles; mais enfin, à force d'être répétée, la vérité fut entendue, et la doctrine de la nature fut réduite au silence. Elle est cependant encore enseignée par quelques ignorans à d'autres ignorans; elle a subi quelques corrections, sans doute; mais aucune ne peut soutenir les raisons de fait dont nous avons cité quelques-unes. Les Allemands de ce siècle ont essayé de perfectionner le système de la nature de la manière suivante. Ils ont donné à l'homme une âme, et c'est de la considération de cette âme qu'ils prétendent déduire toute une morale. Mais il ne faut pas croire que l'acceptation de l'âme humaine les conduise nécessairement à admettre l'existence de Dieu! Non, la croyance en ce dernier dogme n'est nullement obligatoire; et nous avons connu des gens qui se disaient spiritualistes, et cependant en même temps se proclamaient athées. Quoi qu'il en soit donc sur cette question, considérée comme secondaire ou sans intérêt, ces philosophes admettent que l'âme porte en elle un certain nombre de notions, telles que celle de beau, de vrai, de juste, etc., et ce sont, disent-ils, ces notions qui sont l'origine de la morale, comme celles d'unité, de temps, d'espace, etc., sont l'origine de la science. Mais ces profonds penseurs ne sont pas plus difficiles à combattre que les superficiels écrivains de la fin du dix-huitième siècle. Ils sont arrêtés par les mêmes objections: il faut, en effet, définir ce que l'on doit enten

dre par le beau, le vrai et le juste; or,

si l'on consulte l'histoire des hommes ou seulement la géographie, l'on trouve que les idées sur ces sujets diffèrent de peuple à peuple', et que chacun d'eux croit et suit à cet égard ce qui lui a été enseigné. Ainsi, quelque voie que l'on prenne, on ne peut trouver dans la nature l'origine de la morale.

Nos lecteurs remarqueront, sans doute, que nous leur avons fait grâce de beaucoup d'absurdités et de beaucoup de réfutations échangées dans cette discussion; nous terminerons par le raisonnement suivant : l'acte qui mérite d'être appelé moral se fait ordinairement à une condition, c'est que l'auteur d'un tel acte vainque sa propre nature; car il est plus naturel de jouir que de s'abstenir, de se reposer que de travailler, de mentir que de se faire persécuter pour la vérité, de manger que de faire diète, de fair que de se faire tuer, etc., etc. La nature n'impose pas d'obligations, elle ne donne que des droits dont chacun est juge, parce que chacun sent ses instincts et ses appétits, etc. Nous avons eu tant de fois, dans nos préfaces, l'occasion d'agiter cette matière, que nous croyons superflu de nous y arrêter davantage. Il faut d'ailleurs nous hâter pour achever de parcourir la carrière que nous nous sommes donnée.

Les philosophes qui veulent que la morale soit le résultat d'une convenance sociale sont ceux qui ne voient en elle que cette loi qui limite la liberté de chacun par la liberté des autres; nous avons déjà, dans d'autres volumes, fait remarquer qu'après avoir résolu la difficulté de connaître quelles étaient les libertés humaines et leurs limites possibles, problèmes restés jusqu'à ce jour insolubles, il restait celle de faire considérer une telle loi autrement qu'un despotisme exercé par la majorité sur une minorité. Nous avons fait remarquer qu'elle n'était pas de nature à exercer la moindre souveraineté sur les consciences, et qu'elle n'aurait puissance d'empêcher que les fautes et les crimes qui ne pourraient être cachés; qu'enfin elle serait en contradiction manifeste avec le principe qui lui aurait donné origine, si elle imposait aux hommes d'autres obligations que celle de s'abstenir; en sorte qu'elle ne pourrait en aucun cas inspirer ces volontés actives et dévouées qui sont l'effet direct et le plus social de la vraie morale. Il est enfin une objection que nous ne croyons pas encore avoir faite c'est qu'il serait impossible, de ce point de départ, de constituer un droit des gens. En effet, que pourrait-il y avoir de commun entre des nations qui auraient réalisé, chacune dans leur propre sein, une loi semblable? Certes ce ne

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