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ment du capital prêté, et l'hypothèque conférée à l'État devait primer toutes les autres, qu'elles fussent légales, judiciaires ou conventionnelles. Le minimum de chaque prêt était fixé à 200 francs, le maximum, à 50,000 francs, et un milliard était réservé pour ceux dont le gage consisterait en biens ruraux.

Le comité d'agriculture avait pensé, dit M. Flandrin, son rapporteur, que c'était à l'union du crédit et de la propriété que l'État devait, dans la crise actuelle, demander le salut de la France. En effet, l'État, le négociant, le commerçant, avaient chacun déjà leur papier de crédit; il convenait que le propriétaire eût aussi le sien, papier qui serait le titre représentatif d'une portion du sol, et la confiance du public ne saurait manquer à une nature d'effets dont la valeur serait non moins certaine que celle du numéraire métallique. Dans tous les cas, l'institution proposée aurait pour résultat inévitable de détruire l'usure dans les campagnes, et d'améliorer ainsi le sort des populations agricoles.

M. Léon Faucher, tout en reconnaissant la nécessité de venir en aide à l'agriculture, combattit le projet proposé, d'abord au point de vue de l'opportunité, parce qu'au taux de 7 ou 8 pour cent auquel se trouvaient les capitaux, le moment n'était pas favorable pour fonder une institution de crédit, puis au point de vue du système en lui-même, système qui, laissant subsister le régime hypothécaire actuel avec toutes ses défectuosités, aurait pour effet unique, en créant un papier-monnaie, d'ajouter à la crise commerciale une crise financière.

M. Turck, auteur d'une des propositions dont avait été saisi le comité d'agriculture, répondit à M. Léon Faucher que l'Angleterre avait dû au papier-monnaie de pouvoir soutenir sa longue lutte contre la France. D'ailleurs, fit-il observer, ce n'était pas une planche aux assignats qu'il s'agissait de confier au gouvernement; ce que voulait le

comité d'agriculture, c'était la création, par l'intermédiaire de l'État et des propriétaires, de valeurs ayant infiniment plus de solidité que celles de la Banque, par la raison que le gage de ces dernières pouvait disparaître, tandis que celui des autres resterait toujours.

M. Thiers prit la parole après M. Turck, et prononça le discours suivant.

Citoyens représentants,

Ce n'est point pour répondre à un fait personnel que je monte à cette tribune. Je m'étais inscrit d'avance pour traiter la question elle-même, qui me semble l'une des plus graves qu'on puisse soumettre à votre jugement. Vous en avez assurément discuté et résolu, ces jours derniers, qui avaient la plus haute importance, car le repos du pays pouvait en dépendre. Vous n'en avez cependant encore discuté aucune qui pût avoir des conséquences aussi graves que celle-ci, et, pour ma part, bien que je n'aime pas à abuser de votre attention, je me serais regardé comme coupable si je n'étais pas venu vous dire ce qu'en toute sincérité, en toute conviction, je pense de ce sujet. Je n'aime pas les exagérations, je n'en pas le goût. Eh bien, j'espère justifier la parole que je prononce ici : Si vous votiez un tel projet, c'est la ruine immédiate du pays que vous auriez

ai

votée. (Interruption prolongée.

Plusieurs membres :

C'est vrai!) Je n'ai pas, je le répète, le goût des exagérations, mais j'espère justifier toute l'énergie des expressions que je viens d'employer en cette circon

stance.

Je n'ai pas l'habitude de dénigrer la révolution française; je me suis appliqué à la relever quand ses ennemis triomphants s'appliquaient à la rabaisser. (C'est vrai!) Il n'en est pas moins resté vrai qu'avec l'immensité du bien qu'elle a fait à la France et au monde, deux souvenirs terribles pèsent sur sa mémoire c'est l'échafaud et le papier-monnaie. (Très bien!) Toutes les fois que ces sinistres souvenirs se rappellent à votre esprit, il y a ici un élan des cœurs, un élan que j'honore, pour repousser toute assimilation entre le temps présent et le temps d'alors. (Sensation.)

Eh bien, tandis qu'on s'applique à flétrir le souvenir de l'échafaud, et, je le répète, c'est un élan de cœur que j'honore, lorsqu'il s'agit, au contraire, du papier-monnaie, des hommes très sages, très amis de l'ordre, le regardent comme une des imitations possibles de la révolution française. Cela prouve une chose, Messieurs, c'est que nos cœurs ont fait plus de progrès que nos esprits... (Interruption.)

Cela prouve, Messieurs, je le répète, que nos cœurs ont fait plus de progrès que nos esprits, que nos sentiments se sont améliorés, mais qu'en fait d'économie sociale nous n'en savons pas plus que nous n'en savions il y a un demi-siècle.

Cependant l'expérience de la révolution française, et non seulement de la révolution française, mais d'une quantité de temps et de pays où la même chose a été tentée, devrait nous éclairer.

Si je pouvais citer quelques passages de l'histoire que j'ai écrite sur la révolution française, passages qui sont relatifs au papier-monnaie, vous y verriez cette pensée bien distincte, que, comme moyen politique, les assignats avaient été indispensables, mais que, comme mesure financière, ils étaient une détestable mesure.

Mais vous calomniez les assignats, quand vous voulez comparer le papier-monnaie d'aujourd'hui avec les assignats. (On rit.) Il y a de moins le gage, il y a de moins la nécessité, il y a de moins l'utilité politique. Je vous le prouverai tout à l'heure. Je me contente, à l'heure qu'il est, de l'assertion; mais je m'engage à la justifier.

Pour le moment, il faut d'abord examiner la nature du mal auquel on veut pourvoir; il faut s'attacher à la connaître, car, d'après le projet, il paraîtrait qu'on ne s'en doute pas. Et, quand nous aurons examiné la vraie nature du mal, il faudra examiner ensuite les divers remèdes possibles.

D'abord, si l'on veut parler de la détresse générale du pays, elle est incontestable; il faudrait être aveugle, barbare, pour la nier. Nous la reconnaissons, nous la

sentons comme vous.

Mais voulez-vous parler de la détresse particulière

de la propriété foncière? Oh! alors il faut s'expliquer. Vous êtes dans le faux; vous vous trompez sur les faits.

J'ai beaucoup d'estime pour M. le rapporteur; mais j'ai été confondu, je l'avoue, des assertions dont le rapport fourmille. Je suis confondu que, dans ce temps, après tant d'expériences, après soixante années de discussion sur ces matières, on puisse encore émettre et les assertions et les doctrines du rapport.

Voyons d'abord les assertions.

La propriété foncière, dit-on, est accablée en France; elle supporte 12 milliards d'obligations hypothécaires pour une valeur de 40 milliards: c'est-à-dire que la propriété foncière serait endettée pour à peu près le tiers de sa valeur.

Ah! s'il en était ainsi, la propriété foncière, qui est la principale, la plus grande et la plus vaste de toutes, serait presque ruinée. Dans tous les pays où le système des substitutions aristocratiques a existé, ce qui a obligé en quelque sorte les propriétaires du sol à s'obérer, jamais la propriété foncière n'a été endettée d'un tiers. Quand nous avons payé les dettes des émigrés, il n'y avait pas un tiers de dette. Je le répète, dans les pays aristocratiques où les substitutions ont fait élever le plus la dette foncière, jamais on n'a rencontré un tiers de dette sur la propriété foncière. S'il en était ainsi, elle ne trouverait même plus à emprunter.

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