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le sacrifice d'une partie d'un numéraire insuffisant, et l'on est réduit au plus extrême embarras. Il ne faut donc pas regarder comme un bonheur que la circulation se fasse en papier; il vaut beaucoup mieux qu'elle se fasse en or et en argent, quand on le peut. Ceux qui n'ont pas suffisamment de métal et qui émettent du papier, je les absous, mais je dis que, de leur part, c'est de l'indigence, que ce n'est ni de l'habileté ni de la richesse.

Les gouvernements qui s'y prennent comme la Russie, qui n'introduisent le papier-monnaie dans la circulation que peu à peu, à mesure que les besoins se produisent, ceux qui, voyant que la propriété agricole manque de capitaux, lui prêtent du papier-monnaie, petit à petit, ceux-là je leur pardonne, je les comprends. C'est ainsi qu'en Russie on a prêté 50 millions peut-être à la propriété foncière. Ceux qui agissent ainsi sous cette forme, avec prudence, avec précaution, dans la proportion de leurs besoins, ceux-là sont fort excusables, parce que la nécessité est là pour donner l'explication de cette introduction du papier dans la circulation. Mais dans un pays qui a sa circulation en or et en argent, venir, à un jour donné, comme si c'était une chose insignifiante, venir créer 2 milliards d'un seul coup, c'est là ce que j'appelle une extravagance! Si vous connaissiez le chiffre de la circulation métallique de la France, vous seriez effrayés d'une telle tentative. Savez-vous quel est ce chiffre? Depuis quelques an

nées on a beaucoup discuté ce point. On avait d'abord pris pour l'évaluer le chiffre des monnaies d'or et d'argent frappées en France depuis cinquante ans, et l'on arrivait à un chiffre supérieur à 3 milliards. On a tenu compte plus tard du numéraire exporté, et, après de longues discussions, dont quelques-unes ont eu lieu dans la dernière chambre des députés, en tenant compte des monnaies d'or et d'argent sorties de France, on est arrivé à croire, d'après une évaluation non pas certaine, mais d'un haut degré de probabilité, que le numéraire circulant chez nous devait être à peu près de 2 milliards.

Voilà le chiffre auquel, après de longues discussions entre les hommes les plus compétents, entre les directeurs des monnaies, les inspecteurs des finances, plusieurs membres des chambres qui avaient des connaissances spéciales sur ce sujet, voilà le chiffre auquel on est arrivé, chiffre qui est devenu aujourd'hui la donnée générale : 2 milliards.

Comment! vous avez en France 2 milliards de circulation, et vous voulez, sans plus de difficulté, créer sur-le-champ deux autres milliards? Vous dites, il est vrai, que le numéraire manque, et que c'est parce qu'il manque que vous voulez le remplacer. J'en demande pardon à l'honorable rapporteur, mais les doctrines de son rapport m'ont causé une vive surprise. Quoi! vous en êtes là de la science que vous méprisez tant, de l'économie politique, vous en êtes à croire que le numéraire peut ainsi manquer impunément

s'arrête, et vous voulez le doubler, parce que vous croyez qu'il manque! Non, il ne manque pas, mais il se refuse. Un refus, ah! c'est très désagréable, je le sais! Nous allons voir quelle est la manière de vaincre ce refus.

Vous n'aimez pas le comité des finances; il est rigoureux, il a des principes sévères. Si vous aviez. voulu vous aboucher avec lui, peut-être, avec quelques explications bien courtes, il aurait détruit certaines illusions du comité de l'agriculture. Mais agissant à vous seuls, vous avez prétendu doubler tout de suite la circulation du pays. Quoi! créer deux milliards d'un seul coup! Y avez-vous bien pensé?

Je suppose que vous eussiez un trésor inconnu, autre que le papier-monnaie, dans lequel vous puiseriez 2 milliards, en or ou en argent, je vous laisse le choix de ces deux métaux, et que vous versassiez sur la France ces 2 milliards d'or et d'argent, savezvous ce que vous produiriez? la plus effroyable crise qu'on puisse imaginer. (Sensation prolongée. Quelques voix Nous sommes d'accord, personne ne le conteste.)

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Je suis dans des termes singuliers avec mes honorables collègues du comité de l'agriculture. A chaque instant s'échappent des bancs où il est assis (je ne m'en plains pas, au contraire, je vais m'en servir), à chaque instant s'échappent ces mots : « Nous sommes d'accord, nous ne contestons pas... >>

Quand contesterons-nous done? (On rit.)

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Un membre. Nous contesterons sur le cours forcé.

M. AUBERGÉ. Vous faites comme le chat avec la souris, vous vous jouez de nous.

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M. THIERS. Je ne joue pas, je songe au fond des choses, uniquement au fond des choses; je sais bien que vous contesterez à la fin le résultat. Cependant, en attendant, vous marchez de raisonnements en raisonnements sans pouvoir en contester aucun. Ces raisonnements, d'ailleurs, tout le monde les fait sur ces bancs; on n'a pas besoin de moi pour les faire, et je ne suis en ce moment que l'instrument de l'Assemblée, exprimant ce qui est dans la pensée de tout le monde. Je dis que vous êtes obligés d'admettre tous mes arguments les uns après les autres, et puis vous ne manquerez pas d'en contester le résultat général. Mais peu importe, poursuivons.

Ainsi vous reconnaissez vous-mêmes qu'on ne pourrait pas jeter sur le pays deux milliards d'or et d'argent sans amener une crise effroyable. Vous le reconnaissez, vous admettez que la crise serait effroyable, même avec de l'or et de l'argent, et, au contraire, c'est du papier que vous nous offrez. (Très bien! Très bien!)

Et, du reste, ce n'est pas une chimère que ce que je viens de vous dire. Ce phénomène s'est produit en Europe. Lorsque les métaux se sont introduits en Europe, au xvIe siècle, d'une manière torrentueuse

(et ils ont mis cependant plus de cinquante ans à arriver), il y a eu une révolution extraordinaire dans les valeurs. Tous les objets ont augmenté de prix, les métaux se sont avilis, et pourtant l'introduction des métaux ne s'est opérée qu'en cinquante ans; et vous, vous voudriez, en un jour, jeter dans la circulation 2 milliards de papier!

Je sais bien que vous allez me dire Les 2 milliards, on ne les émettra pas tout de suite; on ne les émettra que petit à petit.

Eh bien, je vais vous fournir la preuve que vous les émettrez immédiatement.

Je vois dans vos regards que vous devinez tous cette preuve, car elle frappe tout le monde avant que je l'exprime. Je ne dis rien de nouveau en effet; ce sont là des maladies connues dans le corps social, connues, observées cent fois; je ne vous dis que des choses admises universellement et qui n'ont qu'un mérite, celui de vous être présentées avec quelque ordre peutêtre, mais qui sont banales tant elles sont vraies et reçues par tous les esprits. Qu'est-ce que vous feriez? Vous feriez à l'instant même retirer les capitaux partout, même en supposant que le mal ne fût pas aussi grand que nous l'imaginons, et alors ceux mêmes qui, aujourd'hui, n'ont pas besoin de votre papier, seraient obligés de vous en demander, et les 2 milliards vous seriez obligés de les émettre intégralement d'ici à deux mois. (Marques d'attention.) Et ce papier perdrait peutêtre 40 ou 50 pour cent. Je vous flatte en vous disant

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