que ce papier ne perdrait que 40 ou 50 pour cent; cela n'est jamais arrivé! (On rit.) Quels seraient alors les résultats? Il y en aurait deux, deux effroyables pour les particuliers et pour l'État. Pour les particuliers. On vous a dit déjà que le papier-monnaie était, pour les particuliers, une véritable spoliation. On a prononcé quelquefois, à l'occasion de la propriété, un mot bien étrange, le mot de vol. Eh bien, le papier-monnaie, savez-vous ce que c'est? C'est le vol, le vol par la loi. (Oui! Oui! — Vous avez raison.) Assurément, entre deux individus qui traitent immédiatement après l'émission du papier, si ce papier perd 50 pour cent, il n'y a pas perte pour celui qui vend ou qui achète. Il est bien certain que celui qui a reçu du papier pour ce qu'il vaut, à 50 pour cent, par exemple, et qui va chez un fournisseur, chez un boucher ou chez un boulanger, et qui achète la marchandise avec du papier à 50 pour cent, comme il l'a reçu, ne perd ni ne gagne rien. Pour tous ceux qui traitent à ces conditions, il n'y a pas de dommage. Mais songez à ceux qui ont à recevoir des remboursements en vertu d'un titre écrit... (C'est cela! C'est cela! - Vive approbation.) Songez à tous les gens qui ont à rentrer dans des créances qu'on leur restitue en papier! C'est la classe la moins nombreuse, mais enfin, c'est une classe déjà bien intéressante. Mais songez à tous ceux qui ont leurs revenus à recevoir, et qui les ont en vertu de titres écrits! En leur donnant au pair du papier qui ne vaut que 50 pour cent, on leur vole 50 pour cent. Ainsi, pour venir au secours de quelques individus, qui m'intéressent certainement autant que vous, qu'allez-vous faire? Leurs embarras, vous allez les convertir en une crise universelle; leurs embarras, vous allez les transporter dans la poche de tout le monde, et cela au moyen d'un vol légal. Cela est d'une évidence telle, que je suis honteux d'être obligé de le dire, et que je n'y insiste pas davantage. Et, maintenant, savez-vous quel sera le second intérêt sacrifié? Je vais vous le dire, et c'est là que vous allez voir combien la comparaison avec les assignats est au détriment de votre mesure. Le second intérêt sacrifié, c'est celui de l'État, de l'État à qui je porte l'intérêt le plus grand; car, bien que mes opinions ne soient pas celles de tout le monde ici, je puis affirmer que j'aime mon pays très ardemment, autant que qui que ce soit. Les finances du pays embarrassées, ses armées désorganisées sont pour moi des souffrances cruelles. Eh bien, figurez-vous l'État qui a besoin de tous ses revenus, qui aujourd'hui subit la nécessité la plus cruelle pour un gouvernement nouveau, celle de créer des impôts nouveaux, figurez-vous l'État ne recevant, grâce à un papier déprécié, que 50 pour cent des contributions; au lieu de 13 ou 1,400 millions, n'en rece vant que 700! A l'instant même vous ruineriez ses finances! (Mouvement prolongé.) Plusieurs membres. - M. THIERS. —— Je demande la permission à l'Assemblée de ne pas m'interrompre pour ne pas perdre le cours de mes idées, j'aurai bientôt fini; quelques minutes me suffiront pour terminer cette trop longue discussion. (Parlez! Parlez!) L'État serait donc le premier le plus gravement spolié. Et ce que je dis ici, Messieurs, n'est pas contestable. Il n'y a pas d'exemple que l'émission subite d'un papier-monnaie n'ait amené la dépréciation dont je vous parle; il n'y a pas d'exemple qu'un État n'ait été entraîné à l'instant, par la réduction de ses recettes, qui se ressentaient de l'avilissement du papier, à des émissions illimitées. Et voulez-vous savoir le motif de ces émissions illimitées? Vous le cherchez dans l'incurie, dans l'étourderie de l'État : ce n'est pas là qu'il est. Il résulte de la nécessité même. (Approbation.) La révolution, par exemple, quand elle avait un budget de 500 millions, et qu'on la payait en assignats, ne recevait pas 250 millions. Avec quoi couvrait-elle ce déficit? Avec la planche aux assignats. (C'est cela! Très bien !) Maintenant voulez-vous savoir quel remède a imaginé le comité de l'agriculture pour parer aux émissions illimitées? Un remède qui vous fera juger du système tout entier. Nous y avons pourvu, nous dit-on, car, pour créer du papier, il faudra deux volontés, celle de l'État et celle des particuliers. Comme c'est pour eux qu'on créera le papier-monnaie, il est clair qu'on ne le fera que quand cela leur conviendra, et dans la proportion de la valeur de leurs immeubles; d'ailleurs on s'arrêtera à 2 milliards! Savez-vous quelle garantie vous me donnez par cette précaution? L'impuissance de l'État. C'est-à-dire que, quand il sera réduit à ne recevoir que 700 millions au lieu de 1,400 millions d'impôts, il ne pourra pas émettre de papier pour luimême. La Convention, dans son système d'assignats, qui était une nécessité politique, car c'était le secret trouvé pour mettre en valeur les biens des émigrés et du clergé, la Convention, la guerre étant aux portes, les finances étant réduites à la plus extrême pénurie, pouvait du moins recourir au moyen du papier-monnaie. On préparait, il est vrai, la banqueroute, on vivait au jour le jour, mais on vivait dans le moment dangereux, celui où il fallait repousser l'ennemi. C'est ainsi que quelquefois on brûle des maisons et des quartiers pour sauver une ville assiégée. C'est une fatale nécessité à laquelle on était réduit alors; mais tout le monde la comprend. L'État, du moins, n'était pas réduit à l'impuissance de se défendre. Aujourd'hui, au contraire, vous créez pour l'État la nécessité du papier-monnaie, et vous lui ôtez la faculté d'en émettre pour lui-même. Supposez qu'il y ait une guerre étrangère, que l'État soit obligé de recourir à cette nécessité déplorable du papier-monnaie dans le système des assignats, il pouvait s'en servir pour lui-même; dans votre système, il ne le pourrait plus. Vous lui auriez donné le moyen de créer des assignats pour quelques individus, et quand, par suite de cette création, les assignats seraient devenus nécessaires pour lui-même, vous lui enlèveriez la possibilité d'en faire usage! C'est-à-dire que vous tuez les finances régulières, que vous tuez les finances irrégulières, que vous tuez les finances qu'on veut de ce côté-ci (la droite) et celles qu'on veut de ce côté-là (la gauche), que vous détruisez enfin d'un seul coup tous les moyens de la France. Mon Dieu! je sympathise avec les souffrances que nous signalent nos collègues du comité de l'agriculture; je leur sais gré de leurs intentions, je les approuve; mais, je vous en supplie, si vous voulez avoir la reconnaissance, non seulement des quelques hommes que vous désirez soulager, mais du pays tout entier, créez des moyens sérieux, des moyens solides. Il en est de la politique comme de la médecine : on ne sauve pas la vie comme on veut aux malades, et l'on ne crée pas des finances avec une planche soigneusement gravée, qu'on applique sur du papier à chaque besoin nouveau. Quand cela a été fait, en 1790, comme nécessité politique, l'histoire, qui doit être indulgente, qui doit tenir compte des difficultés, a pu y trouver quelques excuses. Mais, quand l'expérience a été faite, quand on |