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ment en principe (je ne parle pas du mode actuel), que le remplacement en principe est conforme à l'équité, à la véritable égalité bien entendue; que, de plus, la suppression du remplacement entraînant nécessairement l'abrégement du service, il en résulterait l'affaiblissement complet, et, j'ose dire, la perte de l'armée française.

Je vais examiner la question sous ces deux points de vue. Je tâcherai de le faire brièvement, mais complètement.

Je n'ai pas besoin de répéter ici ce que j'ai dit hier, que nous sommes tous d'accord, quant aux vices du mode actuel de remplacement. Oui, dans l'état présent des choses, les vieux soldats, qu'il serait désirable de substituer aux hommes qui ne sont pas propres, par leur goût, par leur condition, à l'état militaire, les vieux soldats qu'il faudrait perpétuer dans les rangs de l'armée, ne fournissent pas les remplaçants. Il est encore vrai que des compagnies de spéculateurs, s'interposant entre les familles et les remplaçants, se livrent à des spéculations fâcheuses, nuisibles à la fois aux familles et à l'État, à l'État surtout qui n'obtient pas toujours les bons sujets qu'il serait facile de lui procurer. Dans cette situation, il y a beaucoup de choses à changer; une loi est à faire; tous les hommes éclairés en conviennent, et la plupart tendent à penser que le remplacement dans les corps, par l'État lui-même, serait le meilleur des systèmes.

Je ne veux pas m'engager à vous présenter ici une

loi sur le recrutement; j'accorde que le mode du remplacement est à changer; c'est le principe seul que je défends.

Le principe, quel est-il?

Avant 1789, l'égalité du service militaire n'existait pas plus que l'égalité de l'impôt. Tout le monde ne fournissait pas le service militaire. Ce service était en partie volontaire, en partie exigé au moyen de tirages qu'on appelait la milice; et il y avait beaucoup d'exemptés. A l'époque de la révolution, le triomphe du principe général de l'égalité fit prévaloir l'égalité du service militaire comme celle de l'impôt. Personne ne put désormais se soustraire à cette commune obligation de servir le pays. Mais voici comment la révolution et l'empire ont, sous ce rapport, entendu l'égalité. L'égalité consiste dans l'obligation imposée à tous de fournir un membre à l'armée. Mais on y a ajouté une facilité que je viens en ce moment justifier. Chacun doit à l'armée ou sa personne, ou celle d'un homme qui s'offre à servir pour lui. Y a-t-il là quelque chose de contraire à la justice, à la vraie égalité, à l'intérêt de l'État? Je vais vous en faire juges.

L'État a besoin d'un homme robuste, capable de porter les armes. Pour que la charge soit égale, il s'adresse à tous les citoyens; mais, parmi les citoyens, il y en a que leur vocation, leur force physique, leur éducation, la carrière à laquelle ils se destinent, ne rendent pas propres au service militaire. Il y a convenance pour eux, convenance impérieuse, à ne pas

faire partie de l'armée. A côté d'eux se trouvent d'autres hommes que leur force physique, leur genre de vie, la nature de leurs occupations, pourraient rendre très propres au service militaire, et qui ont en outre, dans leur situation pécuniaire, des raisons de s'y vouer. Ils se présentent à celui qui n'a pas le goût des armes, qui n'en a pas la vocation, que toute sa vie en détourne, et lui disent: Tout vous éloigne du service militaire, tout m'y attire; eh bien, je fais un contrat avec vous; j'irai servir pour vous.

Qu'y a-t-il là, je vous le demande, de contraire à la justice, à l'équité, à la vraie égalité? Rien, rien; car les deux individus qui traitent sont juges de la convenance du contrat qu'ils forment entre eux. Celui-ci ne veut pas servir, celui-là veut servir : c'est une affaire à démêler entre eux. Que faut-il à l'État? Un soldat. Il faut qu'il sorte de ce contrat un soldat qui ait toutes les qualités militaires, je le reconnais : c'est à la loi du remplacement à faire qu'il en soit ainsi. Mais le contrat n'a rien de contraire en luimême à l'égalité, à la justice, à l'équité.

Maintenant, si, par le système de remplacement, on fournissait à l'État, au lieu d'un bon sujet, un mauvais sujet, oh! je suis de votre avis, l'État y perdrait. Mais ici, au contraire, l'État gagne autant que les individus eux-mêmes. L'individu qui ne veut pas servir est généralement un homme que son éducation destine aux carrières civiles, aux carrières libérales, qui a besoin d'une éducation particulière. Quel est l'inté

rêt de l'État? C'est que les carrières civiles, les carrières libérales, ne soient pas abandonnées, qu'il y ait des commerçants, des avocats, des médecins, des notaires, et, pour cela, il faut que l'éducation des hommes qui se destinent à ces carrières ne soit pas interrompue ou rendue impossible.

Quel autre intérêt l'État a-t-il encore? C'est qu'on lui fournisse pour l'armée, non pas un homme débile, mais un homme robuste, accoutumé à la fatigue, un bon soldat en un mot, et plutôt l'enfant des champs que celui des villes. Voilà l'intérêt de l'État. Qu'avezvous à contredire ici? L'individu qui ne veut pas servir s'adresse à celui que sa vocation porte à servir; l'échange se fait, et l'armée, au lieu de recevoir un mauvais soldat, en obtient un bon. Qu'y a-t-il là, je le répète, à blâmer?

Si l'État perdait un homme, s'il en avait un de moins, je comprendrais vos objections; mais l'État a exactement le même nombre d'hommes. Quant aux individus, l'un a payé l'autre; il y a satisfaction de leurs convenances réciproques. En quoi y a-t-il, je le répète, violation de l'égalité? Savez-vous en quoi l'égalité serait violée? Elle le serait si vous vouliez imposer les mêmes conditions et le même genre de vie à des individus tout à fait différents; c'est vous alors qui blesseriez l'égalité.

Par exemple, pour l'homme des champs qu'on appelle au service militaire, quel tort lui fait-on, et quant au genre de vie auquel on le soumet, et quant à

l'interruption qu'on apporte à sa carrière? Le paysan, transporté dans les rangs de l'armée, y trouve une condition supérieure à celle qu'il avait chez lui; il est mieux nourri, mieux vêtu, il y trouve l'instruction. (Mouvements divers. - Interruption.)

La vraie égalité des charges consiste en ceci, c'est qu'on ne trouble pas la vie de l'un, plus qu'on ne trouble la vie de l'autre. Eh bien, je vous demande si vous détruisez la carrière de l'homme des champs quand vous l'appelez à l'armée. Assurément non.

Quant au genre de vie... (Interruption.)

Si mes arguments sont mauvais, vous y répondrez. L'homme des champs, je le répète, trouve à l'armée une vie meilleure; il est mieux nourri, mieux vêtu, il est instruit, et l'on observe généralement dans nos campagnes que tout homme des champs qui sort de l'armée, qui a passé sept ans au service, en revient plus fort, plus moral et mieux instruit. (Vives réclamations.)

M. PAYER.

Pourquoi y vont-ils à contre-cœur?

M. THIERS. Si l'on veut me faire l'honneur de m'écouter sans m'interrompre, on verra que les objections qui naissent dans l'esprit de mes auditeurs trouveront leur réponse, lorsqu'on m'aura permis de développer mon raisonnement jusqu'au bout.

Je cherche, et en faisant cela je suis au cœur de la question même, je cherche s'il est vrai que cette égalité de service, que vous voudriez faire peser sur tous, soit une égalité réelle. Je vous montre un citoyen dont

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