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soldat, j'en appelle à tous les militaires, et je leur demande si de pareilles idées sont vraies. Il y a quelque chose qu'on ne donne pas en six mois, et c'est là ce qui fait les armées et les grandes nations: c'est l'esprit militaire, qui est tout autre chose que l'instruction et la bravoure. L'esprit militaire, si je pouvais le définir, le véritable esprit militaire, que Napoléon plaçait au-dessus de tout, et que les grands militaires ont comme lui placé au-dessus de tout, l'esprit militaire, si j'ose le dire, ce n'est pas le courage, ce n'est pas l'instruction, c'est la vertu guerrière, c'est le caractère, c'est la tenue, la suite, la solidité. Vous pouvez avoir une troupe jeune et brave; savez-vous ce qu'elle fait, cette troupe? Tous les militaires vous le diront : elle raisonne, elle juge ses généraux, et, ce qui est pis, elle les juge tout haut ! Quand elle est bien disposée, elle fournit un service excellent; quand elle est mal disposée, il ne faut rien lui demander. Quand elle souffre, quand elle n'a pas mangé, quand elle est fatiguée, on en obtient peu de chose.

Voilà une troupe jeune et brave. Mais à côté voyez une troupe bien disciplinée, bien solide elle juge quelquefois son général, mais pas tout haut; elle est parfaitement soumise; qu'elle soit bien ou mal disposée, elle marche également à l'ennemi; elle ne marche peut-être pas aussi vite que la troupe jeune et téméraire, mais elle ne recule jamais. Qu'elle ait souffert, qu'elle n'ait pas mangé, que le temps soit beau, qu'il soit mauvais, elle est toujours la même : voilà la

véritable armée, résultat du véritable esprit militaire.

(Très bien! Très bien!)

Un membre. C'est l'amour du drapeau!

M. FROUSSARD.

la liberté !

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M. THIERS. Avec ces armées-là, non seulement on gagne une bataille, mais on en gagne une, deux trois, on en gagne beaucoup; avec ces armées-là, on ne va pas seulement à l'offensive, mais on exécute les belles retraites, et les nations ne périssent pas avec elles. (Très bien! Très bien!)

On m'a dit dans le couloir de gauche: Avec ces armées-là on détruit la liberté! Non, Messieurs, je n'en crois rien; je ne voudrais pas croire que la liberté de mon pays fût menacée par ce qu'il y a de meilleur, et qu'une armée qui a toutes les qualités nécessaires pût être nuisible à la liberté. Ces armées-là, savezvous pourquoi elles n'attentent jamais à la liberté? C'est qu'elles ne connaissent que la loi, c'est qu'elles n'obéissent jamais qu'à la loi, et je ne sache pas que les armées qui servent fidèlement la loi aient jamais nui à la liberté. (Très bien! Très bien!) Je les crois, moi, bien moins nuisibles à la liberté que ces armées indisciplinées et enthousiastes qu'on enlève avec quelques paroles, à qui l'on permet de juger les gouvernements, qui renversent les uns parce qu'ils ont le malheur de leur déplaire, qui maintiennent les autres parce qu'ils sont à leur convenance. Ces dernières peuvent être braves un jour, elles ne le sont pas longtemps.

Eh bien, l'esprit militaire, qui fait la qualité essentielle du soldat, ce n'est qu'avec le temps qu'on l'acquiert. Les soldats de six mois n'ont jamais cet esprit. C'est le temps seul qui le donne. Et ici je pourrais vous citer les plus grandes autorités, les plus décisives; je pourrais citer, ce qui est plus décisif que les autorités des individus, celle des faits. Mais vous me permettrez, sans venir apporter à la tribune le résultat de mes recherches historiques, ce qui serait inconvenant, vous me permettrez de vous rappeler pourtant une autorité devant laquelle, en fait de guerre, tout le monde doit s'incliner. Il y a une séance, connue, je crois, de beaucoup de personnes, une séance du Conseil d'État, dans laquelle Napoléon traita la question qui nous occupe avec l'amiral Truguet. L'amiral était un homme de beaucoup d'esprit; il avait un mérite, celui d'être indépendant, et devant Sa Majesté Napoléon il se permettait, et il avait raison, d'avoir un avis. Il se trompait, mais il est glorieux de se tromper devant un maître tout-puissant; et un jour, parlant marine au conseil d'État, il disait : « Il me faut, à moi, de vieux marins, mais vous, gens de terre, avec des soldats de quelques mois de service, vous pouvez gagner des batailles. »

Napoléon, l'interrompant avec la vivacité ordinaire de son caractère, s'écria : « Monsieur l'amiral, vous ne savez pas ce que vous dites. Oui, on se plaît à répéter qu'en six mois on fait des soldats; c'est faux. Ce sont des hommes qui ne connaissent pas les armées

qui prétendent cela; ce n'est pas en six mois, pas même en douze mois! Ah! certes, j'ai de bons soldats; mais ils n'ont été bons qu'après six, sept et huit ans de service. Il faut longtemps pour inspirer l'esprit militaire à une armée. »

Et, appliquant ce qu'il disait aux Italiens, Napoléon ajoutait que c'était après dix années seulement de service près de lui qu'ils étaient devenus de vrais soldats. Napoléon pensait ainsi. Il a mieux fait que de le penser; il en a fait une cruelle expérience... Je suis désolé de citer un nom, un nom funeste dans nos annales, car il a été un de nos plus grands malheurs Baylen! Eh bien, voulez-vous savoir les vraies causes de Baylen? On s'en est pris..... (Interruption.)

Je vous demande pardon de choisir un souvenir sinistre de nos annales; mais, quand on veut disposer du pays d'une manière dangereuse pour son avenir, permettez-moi d'employer tous les moyens, de citer les faits, de citer même les malheurs, pour sa plus grande instruction. Baylen est la plus sanglante leçon qu'un pays ait jamais reçue; car, dans cet événement, il y a eu plus que sa fortune, plus que sa gloire engagées; il y a eu son honneur compromis. Ce malheureux général Dupont... (Interruption.)

Oui, je l'appelle ce malheureux général Dupont, et, quand vous m'aurez écouté, vous verrez que j'ai bien raison, car cet homme avait été un héros à Ulm, à Halle, à Friedland. Eh bien, ce même homme, croyezvous qu'il fût moins brave, moins dévoué, moins hé

VIII.

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roïque à Baylen? Non, sans doute; mais, dans tous les temps, sous tous les gouvernements, sous le plus grand même, le gouvernement du génie, on voit souvent la bassesse se ruer sur le malheur. Et je soutiens que c'est la bassesse qui porta le jugement qu'on rendit en 1808 sur le général Dupont. J'ai lu la procédure... (Interruption.) Messieurs, c'est une leçon utile, car les grands malheurs, savez-vous ce qu'il faut en tirer? Un enseignement qui profite. Eh bien, laissezmoi, pour mon pays, faire sortir de ce terrible événement de nos annales la leçon vraie, la seule, après celle de la bassesse se ruant sur le malheur, que nous devions en recueillir.

Les faits, les voici. C'est dans la correspondance de Napoléon qu'ils se trouvent consignés... lui-même savait l'injustice qui avait présidé à cette affaire... les faits, dis-je, les voici.

Napoléon, pressé d'envahir l'Espagne, ayant laissé la grande armée entre la Vistule et le Rhin, prit dans les dépôts de Mayence et de Strasbourg des soldats qui avaient huit ou dix mois de service, qui étaient dans des cadres assez bons, non pas dans les meilleurs, mais dans des cadres assez bons, et les envoya au delà des Pyrénées.

L'Espagne fut surprise de voir ces enfants, qui manoeuvraient à peine, qui n'avaient point encore cette assurance, cette instruction militaire que le temps seul donne aux armées, et qu'on lui envoyait pour la soumettre. Il en naquit sur-le-champ (cela est constaté

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